Les auditeurs de Maes se sont retrouvés avec une belle surprise le matin du 9 novembre : un nouveau titre du rappeur, 90Gang, était sorti sans avoir été annoncé sur les réseaux sociaux. Bien entendu, 90Gang était en réalité un faux titre passé entre les mailles du filet de vérification des plateformes de streaming. La semaine précédente, le collectif à l’origine de cette opération avait réussi à faire entrer un faux titre de Ziak, Rasmoilcul, en 40ème position du Top Spotify France avec plus de 99 000 écoutes en 24h. Autre pratique en pleine explosion : le reupload de titres inédits ou absents des plateformes. Le titre Caramelo de Ninho, supprimé en 2017 pour un sample non autorisé du groupe de rock américain The American Dollar, est ainsi régulièrement remis en ligne par des internautes. Ces références dépassent largement le cadre de l’erreur de référencement, parvenant à atteindre plusieurs centaines de milliers, voire millions d’écoutes. Comment expliquer cette recrudescence de faux titres sur les plateformes ? Nous avons interrogé plusieurs membres de la team 90%, partiellement à l’origine du phénomène.
Derrière les faux titres, des distributeurs peu regardants
À l’origine du problème, les distributeurs habilités à transmettre les titres de leurs artistes aux plateformes de streaming. Si Spotify recommande une petite dizaine d’entre eux pour les artistes indépendants, il en existe en réalité plusieurs centaines. Loin de la rigueur des leaders du marché, DistroKid et Tunecore, ces derniers effectuent des vérifications beaucoup moins poussées sur les métadonnées, permettant ainsi aux faussaires de faire apparaître le titre sur le profil d’artistes établis. NVA, membre du collectif 90% à l’origine de plusieurs de ces fausses sorties, nous assure que si cette technique peut fonctionner, elle est en général inefficace avec les têtes d’affiche signées en major. « Un label/distributeur nous a rejoint. Avec le label, on pourrait même modifier les profils de n’importe quel artiste (même si on ne le fait pas pour ne pas le compromettre) : supprimer les sons des artistes, modifier les images sur leurs profils… Ça dépasse complètement le simple upload de titres. »
90%, collectif « troll mais pas malfaisant »
NVA nous affirme que le but de son groupe n’est pas monétaire : « En réalité, aucune loi ne nous dit que ce qu’on fait est illégal quand on met des sons. Par contre ce qui est illégal, c’est de gagner de l’argent sur le dos de l’artiste. On ne fait pas ça pour l’argent mais pour faire rire les gens, donc on modifie le nom de l’artiste dès que le son a atteint un certain seuil de visibilité. » Un propos confirmé par Ashetey et norisk, fondateurs du collectif : « On a fondé 90% à deux, une team de hackeur avec un seul but : être présents partout sur Spotify. On n’avait pas réellement de but, juste rigoler et profiter de l’impact médiatique. » Le collectif compte notamment dans ses rangs Freeze Korleone, rappeur troll qui compte aujourd’hui plus de 50 000 auditeurs par mois sur Spotify à travers ses diverses parodies du vrai Freeze Corleone. Celui-ci est l’homme derrière le micro sur le titre Femmes, dernier coup de force du collectif 90% qui est parvenu à la fois à mettre le titre sur la page artiste de Django mais aussi à modifier son artist pick, et donc donner une visibilité maximale au titre sur Spotify.
Un manque de sécurité des plateformes ?
Les récents évènements ont ainsi mis à jour quatre pratiques potentiellement révélatrices d’un manque de sécurité des plateformes de streaming :
- La non-identification de leaks d’inédits ou d’autres titres absents des plateformes. Pour s’en prémunir, les distributeurs mettent en place des dispositifs de fingerprinting, à l’image du DistroLock de DistroKid, qui ne se révèlent pas toujours efficaces. Grand point d’interrogation, celui de la répartition des revenus générés par les écoutes de ces titres. En 2019, le magazine Billboard estimait ainsi que plus de 250 millions de dollars de droits d’auteurs étaient bloqués par les plateformes de streaming du fait de métadonnées incorrectes.
- La possibilité de mettre en ligne un titre sur le profil d’un artiste bien identifié, sans approbation ultérieure du producteur de ce dernier. Une pratique qui, si elle n’exploite souvent pas de contenus protégés, pourrait s’apparenter au parasitisme économique.
- D’autres stratégies peuvent être employées : aux États-Unis, le rappeur Wali Da Great a amassé plusieurs millions de streams en prétendant faire des collaborations avec des stars émergentes, telles que Lil Loaded, Blueface ou Tay-K. Le faussaire utilisait un couplet recyclé d’un ancien son du rappeur en question pour duper l’algorithme de référencement Spotify. La technique était si bien rôdée qu’il s’est même retrouvé dans la playlist algorithmique This is Lil Loaded, créée par Spotify dans le but de faire découvrir aux néophytes des titres de l’artiste.
- La capacité de certains groupes à modifier les profils artistes, à l’image de 90%. Membres du collectif, Ashetey et Norisk nous promettent qu’une action coup de poing de leur part est à prévoir le 24 décembre 2021. De plus, NVA informe que plusieurs copycats ont reproduit son mode opératoire au cours des dernières heures, notamment en mettant en ligne Femmes sur le profil de menace Santana.