« Hey tonton ! Les cabas ils sont trop lourds ! » Tout fan de rap français connait cette phrase et la chanson qui suit. Dans ce morceau classique du rap français, qui fête ses 20 ans cette année, Rim’K décrit ses voyages au bled, les liens avec sa famille, les traditions… Son impact est tel que le 113 sera récompensé en 2000 aux Victoires de la Musique pour l’Album rap, reggae ou groove de l’année et se présentera sur scène en Peugeot 504. Les princes de la ville est devenu l’un des grands incontournables du répertoire francophone grâce aux nombreux hits qui ont marqués les esprits comme Ouais gros, Jackpots 2000 ou encore le titre éponyme Les princes de la ville. L’album comporte un second titre consacré au rôle du tonton, Tonton des îles. Interprété par AP, il rend hommage comme Tonton du Bled aux vacances passées dans les îles pour les antillais. Un peu plus récemment, il y a une dizaine d’années maintenant, le groupe Bisso Na Bisso avait également sorti un titre intitulé Tonton sur son deuxième album… Décennie après décennie la figure des tontons semble récurrente dans le paysage rap français !
Si l’on s’aventure au cinéma, c’est du côté des Tontons Flingueurs de Georges Lautner et de ses multiples dialogues passés à la postérité qu’il faut se tourner. Malgré sa déconnection totale avec les musiques urbaines (encore qu’il ait donné son nom de scène à MC Jean Gab’1), ce film offre une parfaite représentation de la figure du tonton dans le monde du rap. Ce n’est pas forcément le lien de parenté qui fait qu’on qualifie quelqu’un de tonton mais plutôt son attitude, sa vie, son passif… Mais alors, comment définir concrètement le tonton ? Si l’on se base sur les personnages principaux du film, on parle de tauliers ayant acquis une expérience de la vie au travers de nombreuses pérégrinations. Si l’on élargit un peu la définition, on peut ajouter le fait que les tontons ont souvent cette envie de collaborer avec les jeunes générations pour mieux partager leur expérience et pour prouver qu’ils sont toujours dans le coup. En suivant cette définition on se rend compte que le rap comprend quelques personnalités bien dignes d’endosser la marque de fabrique des tontons…
➡️ De la Mafia K’1 Fry à Ninho : Rim’K, le tonton éternel du rap français
Évidemment comment ne pas mentionner Rim’K ? Personnage emblématique de la scène rap française, que ce soit avec le groupe 113, le collectif Mafia K’1 Fry ou bien encore en solo, le rappeur de Vitry-sur-Seine a marqué plusieurs générations d’auditeurs tout au long de sa carrière grâce à des rimes pleines de réalisme et en s’adaptant perpétuellement aux bouleversements du registre. De ses débuts à la fin des années 1990 à ses derniers projets en date, Rim’K a toujours mis un point d’honneur à parler aux nouvelles générations. Lorsque l’on rencontre le succès en groupe, quoi de plus naturel que de tenter l’aventure en solo ? Malheureusement pour Rim’K, les années 2000 ne sont pas la période la plus fastueuse pour l’industrie musicale qui voit grimper en flèche les statistiques du téléchargement illégal. Le rappeur enchaînera donc succès d’estime sur succès d’estime sans vraiment rencontrer une réception commerciale à la hauteur de son talent. Loin d’être découragé, il enchaîne avec Famille Nombreuses en 2007, Maghreb United en 2009, ou encore Chef De Famille en 2012. Porté par Addict ou Call Of Bitume en collaboration avec Booba, ce dernier va pousser Rim’K à se remettre en question dans un contexte où le rap français bascule progressivement vers de nouvelles sonorités.
Pendant quatre longues années, Rim’k va se plonger dans un mutisme partiel et étudier ces nouvelles tendances pour se mettre à jour et revenir plus fort. Ce qu’il fera en 2016 avec la Monster Tape, désignée par le public et la critique comme la meilleure mixtape de l’année. Sur ce projet Rim’k s’approprie efficacement les codes de la trap ; on peut notamment citer en exemple les morceaux Alien et Stupéfiant, respectivement en collaboration avec Alonzo et Lacrim. Ces deux titres ont d’autant plus marqué le public qu’à cette époque, les deux rappeurs font partie des piliers de la mouvance trap en France. La Monster Tape connait un véritable engouement commercial et pousse Rim’K à poursuivre sur sa lancée avec Fantôme en 2017 et l’album Mutant en 2018. Les deux derniers opus de la trilogie s’efforceront également de faire la part entre l’univers de Rim’K et celui d’invités de la nouvelle génération qui apportent une coloration actuelle… On pense notamment au succès d’Air Max en collaboration avec Ninho qui s’impose comme le single de l’année 2018. Cette volonté de créer un pont intergénérationel sur le plan musical, cette intelligence dans l’approche de nouvelles sonorités, Rim’K lui doit ses récents succès et un statut encore unique dans l’hexagone…
➡️ Snoop Dogg aka Uncle Snoop : le sympathique tonton de la West Coast
Comment présenter Snoop Dogg sans faire d’impasse sur son parcours mouvementé ? Le rappeur emblématique de la West Coast se fait repérer dans les années 1990 par Dr. Dre. Un appui de poids qui lui permettra d’accéder très vite à la renommée, notamment grâce à son premier album Doggystyle qui s’imposera au fil des années comme un classique incontesté. À l’époque, il était compliqué pour un rappeur de Los Angeles d’esquiver l’envahissant producteur Suge Knight. Pour promouvoir le premier album de Snoop, ce dernier n’hésite pas à s’appuyer sur son implication dans un règlement de compte en 1993. Après avoir utilisé à son avantage le battage médiatique autour de cet épisode, Suge décide de lui dédier un court-métrage intitulé Murder Was The Case. Une stratégie qui vaudra un énorme succès commercial au label Death Row, et qui confèrera à Snoop une image sulfureuse pour un bout de temps. Le rappeur, qui enchaîne une série de projets à succès et d’arrestations en possession de drogues, d’armes à feu ou des deux, se rend progressivement compte que cette image de gangster risquait de le desservir sur le long terme. Il ne cessera alors de chercher à se détacher de cette image et de ce mode de vie pour adopter des nouveaux styles qui lui permettront d’évoluer personnellement ainsi que musicalement.
Du Gangsta Rap au R&B en passant par le G-Funk et bien sûr le reggae, Snoop s’affirme comme un électron libre musical. Eclectique dans ses choix, il n’hésite pas à faire appel aux artistes de na nouvelle génération comme c’est le cas du hit Drop It Like It’s Hot en collaboration avec Pharell ou du remix de P.I.M.P de 50 Cent. Plus récemment, on a pu le voir se rapprocher de Wiz Khalifa. Au-delà de leur amour commun pour la combustion des herbes, les deux rappeurs ont collaboré à plusieurs reprises et tourné un film de qualité douteuse dont la bande originale décolle grâce au single Young Wild & Free en collaboration avec Bruno Mars. Rappeur désormais conformé dans son statut de légende, Snoop est également une personnalité publique de poids qui n’hésite pas à s’exprimer franchement sur une large variété de sujets via son compte Instagram ou la chaîne YouTube GGN News, sur laquelle il s’amuse à faire des interviews de personnalités issue de différents horizons : rappeurs, comédiens, etc. Cette présence permanente sur les réseaux sociaux permet à Snoop Dogg, qui qualifie les artistes de la nouvelle génération de « nephew », de rester sur le devant de la scène d’un point de vue médiatique plus encore qu’au travers de sa production musicale…
➡️ Gucci Mane, la carrière agitée du tonton de la Trap d’Atlanta
Au cours des dernières années, la scène d’Atlanta s’est imposée comme une référence à l’échelle du rap aux Etats-Unis. Une situation à laquelle n’est pas totalement étranger un certain Gucci Mane. Ce dernier commence le rap au début des années 2000 et se fait petit à petit un nom dans la scène underground de la ville, jusqu’à son explosion en 2005 sur le hit So Icy en collaboration avec Young Jeezy. Pour une question de droits et l’égo, la relation entre ces deux figures emblématiques va pourtant vise se dégrader et divisera la scène locale en deux. Point culminant de la rixe, Jeezy tentera de faire assassiner son rival qui se débarrassera des assaillants sans être inquiété par la justice. Fort de sa réputation grandissante, Gucci ne parviendra pas pour autant à s’exporter au-delà d’Atlanta mais confortera son statut en dénichant des talents avec lesquels il collaborera au fil des années : Waka Flocka, OJ Da Juiceman, Young Thug ou les Migos pour ne citer qu’eux doivent ainsi une bonne partie de leurs carrières au Trap God. Malgré ce talent indéniable pour la recherche et le développement d’artistes, peinera longtemps à se faire entendre d’un point de vue purement musical, une situation à laquelle son addiction à la lean et son comportement pour le moins instable ne sont pas entièrement étrangers… Tout comme ses nombreux allers-retours en prison, qui ajouteront à cette image d’électron libre incontrôlable.
Cette situation ne nuira jamais vraiment à la productivité de Gucci, qui peut revendiquer l’une des discographies les plus fournies de l’histoire du rap avec des dizaines de mixtapes à son actif.. Durant son temps derrière les barreaux, il adopte une nouvelle philosophie de vie qui lui permettra d’atteindre la position qui devait être la sienne. En 2016, à sa sortie de prison, le rappeur est métamorphosé : il s’est débarrassé de la plupart de ses addictions et a perdu en même temps sa proverbiale bedaine en se mettant au sport. Son nouvel album, Everybody Looking, est son premier véritable succès commercial à l’échelle nationale grâce à de nombreuses collaborations et une couverture médiatique inédite. Une étape décisive, qu’il enchaînera en dévoilant le hit mondial Black Beatles sur lequel il est invité par le duo Rae Sremmurd. Il s’agit du premier single de Gucci Mane à atteindre la première position du Billboard Hot 100, ce qui lui ouvre pour de bon les portes de grand public. Si cette vague de succès est retombée depuis une paire d’années, le statut de Gucci comme parrain de la scène d’Atlanta et comme rappeur à succès a été entériné pour de bon et conclut l’une des carrières les plus atypiques jamais affichée par un rappeur aux Etats-Unis ou dans le monde…