Le rap US nous a encore fourni allègrement cette année. Nombre de rappeurs se sont démarqués, des albums qui feront date ont bouleversé des charts alors que de plus en plus de hits de rap viennent chasser les succès pop et envahir les clubs. Parce qu’il est proprement impossible de résumer de manière exhaustive la densité rare de cette année 2017, nous allons tenter de vous offrir le panorama le plus large possible de ce qui s’est déroulé durant l’année écoulée à travers le choix d’un artiste, d’un morceau, d’un album et d’une scène. Les choix sont bien évidemment contestables mais il n’est pas exclu que, durant l’année, d’autres séances de rattrapages soient publiées afin que du respect soit mis sur les noms d’un maximum de gens.
➡ Young Dolph : L’artiste de l’année 2017
Si Young Dolph fait partie du paysage du rap américain depuis une dizaine d’années, c’est en 2017 que son personnage de simple trapper s’est érigé au rang de légende. En plein beef avec celui qui cimente la scène rap de sa ville par son aura et son label, Yo Gotti, il essuie durant cette année deux fusillades desquelles, s’il ressort indemne de la première, sera conduit à l’hôpital à cause de la seconde, légèrement blessé. De chacun de ces attentats à sa vie, il en a fait ressortir deux albums tout aussi bons que diamétralement opposés.
Alors sur les routes de Charlotte, en février, après avoir sorti un diss track extrêmement salé à l’encontre de Yo Gotti, Play Wit Yo Bitch, il se fait canarder. Plus d’une centaine de balles viennent mourir sur la carrosserie de sa voiture sans toutefois qu’aucun de ses occupants ne soit touché : Young Dolph avait pris le soin de la blinder pour la modique somme de 600 000 $. Touché par la grâce divine, à l’instar de Jules Winnfield dans Pulp Fiction, son sentiment d’immortalité lui monte à la tête de telle sorte qu’à peine rentré chez lui, il se met à bosser sur son prochain album, Bulletproof, à paraître… le 1er avril. Ces deux pieds de nez successifs ne sont toutefois que les prémices d’un disque qui se moque ouvertement de ses assaillants : ce serait mal connaître Young Dolph que de croire que son tacle se limiterait au titre de son disque. Tout d’abord, la tracklist, lue d’une traite, ne laisse peu de doutes quant au message qu’il s’apprête à adresser à ses assaillants et au reste du monde du rap. Puis, sur 100 Shots, il vante l’adresse catastrophique de ceux qui ont attenté à sa vie par un refrain articulé autour du mantra « How the fuck you miss a whole hundred shots ? » Difficile de faire plus osé, plus couillu, et ce seulement un mois et demi après l’incident.
Le 26 septembre dernier, la mort vient à nouveau souffler son haleine putride sur la nuque de Young Dolph. Sur le parking d’un hôtel à Los Angeles, une embrouille avec trois hommes tourne en bagarre à mains nues. Le rappeur est projeté au sol, un des individus sort un calibre de sa poche puis l’arrose de balles avant que le trio ne prenne la fuite. Dans un état critique, il survit, malgré tout, une fois de plus au plomb ennemi. L’album qui suivra ce nouvel attentat à sa vie sera d’une toute autre couleur. Épuré des mentions à l’incident susmentionné, l’album est parsemé de morceaux à la teinte bien plus claire. Redescendu de son euphorie immortelle, il se rend compte que la mort l’entoure : bien qu’elle ait du mal à l’attraper, elle ceint sa famille qu’il chérit tant sur While U Here. Young Dolph table sur une prise de conscience et de recul qui forcent le respect Toutefois, la malice de Dolph, même réfrénée, reste éternelle : le premier single de l’album, Believe Me, bénéficie d’un clip tourné dans l’hôpital où s’est opéré sa survie, deux semaines après l’intervention chirurgicale qui l’a tiré des griffes de la mort. Encore convalescent, il se met en scène le bras en écharpe alors qu’on lui remet ses bijoux clinquants tel le couronnement du nouveau roi de Memphis. Young Dolph, décidément, est un trompe-la-mort : en état de grâce, rien ne semble pouvoir l’atteindre.
Ces deux sorties capitales tant dans son année que dans sa discographie sont agrémentées de deux autres non moins négligeables : les mixtapes Gelato et Tracking Numbers, en collaboration avec Berner. Au-delà d’avoir écrit et publié quatre projets sur l’année, il a écrit sa légende et s’est hissé, par la seule force de son travail, au rang de nouveau roi de Memphis, n’en déplaise à l’interprète de Rake It Up, confirmant ainsi le titre de son album King Of Memphis paru en 2016 qui lui avait valu les foudres de Blac Youngsta, un rappeur signé sur le label de Yo Gotti.
Mentions honorables : Future, Chief Keef, Kendrick Lamar, Kodak Black, 21 Savage.
➡ Morceau de l’année : XO TOUR Llif3
L’année écoulée nous a gratifiés d’une pléthore de tubes de rap qui ont balayé les frontières des Etats-Unis pour s’exporter dans le monde entier. Le globe entier a remué aux rythmes de Mask Off, Tunnel Vision, Bodak Yellow, Unforgettable, Congratulations, ou encore HUMBLE. Toutefois, aucun de ces morceaux n’est autant le fruit de son époque que XO TOUR Llif3 de Lil Uzi Vert. De tous les tubes qui ont plastifié les charts en 2017, ce dernier est celui qui retranscrit parfaitement le bouleversement de la création d’un tube.
XO TOUR Llif3 n’avait pas l’allure d’un tube à sa sortie. Balancé sur SoundCloud avec trois autres morceaux le 26 février 2017, la veille de son premier concert dans la capitale française, en marge du Starboy Legend Of The Fall Tour de The Weeknd, ils formaient ensemble une espèce d’EP officieux, Luv Is Rage 1.5. Si Lil Uzi Vert a emmagasiné au fil des années un nombre conséquent de followers sur ce réseau, il n’empêche que XO TOUR Llif3 est devenu un tube mondial alors que YSL, Luv Scars ou Boring Shit sont restés des loosies marginaux, sans qu’aucun des quatre morceaux n’ait été accompagné d’une quelconque promotion.
Depuis quelques années, la création des tubes n’est plus l’apanage des artistes ni même des maisons de disque. Si les premiers, effectivement les créent, alors que les secondes les commandent, le public, plus que jamais, grâce à l’ère d’internet, possède la décision finale. Les mixtapes gratuites distillées par les rappeurs sur les sites sont devenues un moyen de tester leurs morceaux : Fuck Up Some Commas, un des plus gros hits de Future, était au départ issu d’une mixtape gratuite, Monster. Le succès rencontré par le morceau a été tel que le rappeur d’Atlanta l’a a posteriori accompagné d’un clip et, surtout, l’a incorporé dans son album studio DS2. De la même manière, Codeine Crazy, également initialement placé sur Monster, s’est retrouvé sur l’album, tout comme Real Sisters qui a germé sur Beast Mode avant de fleurir sur l’album charnière de Future. Lil Uzi Vert a simplement suivi avec assiduité le procédé de son compère : XO TOUR Llif3, après avoir rencontré la gloire et le succès, s’est retrouvé au milieu du premier album du rappeur de Philadelphie, Luv Is Rage 2, afin qu’il porte ce disque vers le succès.
Surtout, XO TOUR Llif3 est un hit atypique par sa thématique. Si le morceau traite de sujets usuels dans le rap – la drogue, les richesses exponentielles – il y incorpore également un autre sur lequel la danse et la fête s’y prêtent beaucoup moins : le suicide. Il empreint le refrain sans que toutefois la puissance et le charisme du morceau n’en soient diminués. Au contraire : Lil Uzi Vert met en scène sa perdition dans un théâtre psychédélique composé de drogues à foison. Sous le couvert extrêmement léger et festif de l’instrumentale de TM88, Lil Uzi exprime sans ambages ni filtre, une solitude extrême propice au suicide. XO TOUR Llif3 est le point d’orgue de ce rap « emo » qui dévore le pays.
Mentions honorables : en plus de tous les susmentionnés, T-Shirt et Motorsport de Migos, Bounce Back de Big Sean, I Get The Bag de Gucci Mane ou encore Bank Account de 21 Savage… les hits sont trop nombreux.
➡ Album de l’année : DAMN.
Impossible de résumer de manière concise l’année qui vient de s’écouler dans le rap US tout en faisant l’impasse sur le prodige de Compton. Sur la cadence d’un album par an depuis 2015, le succès de To Pimp A Butterfly l’a définitivement érigé au rang de tête d’affiche du rap, aux côtés des noms les plus populaires du genre que peuvent être, au hasard, Drake, Eminem ou encore Kanye West. De plus, il a été salué au Grammy Awards alors que son album précédent, Good Kid, M.A.A.D City, avait été snobé au profit de Macklemore.
Empreinte d’une conscience politique forte, pétrie de fulgurances de musique noire, sa discographie fantastique risquait d’être ternie par une formule qui s’épuise. Alors que le monde attendait Kendrick Lamar sur ce créneau, c’est un véritable contrepied qu’il a opéré en 2017. HUMBLE., sorti deux semaines avant l’album et produit par Mike Will, est à des années-lumière du terrain de jeu habituel du rappeur. Sur un beat de synthétique nerveux, Kendrick Lamar débite avec sa fougue qui le caractérise tant. Le morceau est un carton, le plus gros de sa carrière et il laisse présager, quoi qu’il arrive, une réception de son album encore inédite dans sa carrière, alors que ses concurrents directs Drake et Future ont déjà épuisé leurs cartouches.
Puis, lorsque DAMN. tout entier paraît, la déflagration est immédiate : il plastifie le classement Billboard et phagocyte les charts. Toujours empreint d’une forte conscience politique, l’album reste néanmoins très axé sur lui-même : il semble se délester d’un poids, celui de porte-voix de la communauté noire, qui l’incombait tant. Il est l’évolution naturelle de To Pimp A Butterfly, dans lequel, déjà, était présent le tiraillement entre l’exemple qu’il incarne pour les jeunes malgré lui et sa volonté de déconner, d’être imparfait. Surtout, Kendrick Lamar se défait de la prégnance de la soul et de la musique noire, faisant appel à des producteurs comme Mike Will, à la pointe du son actuel. Surtout, l’album renferme des featurings de choix : Zacari, mais surtout Rihanna et U2 sont audibles à travers le disque. Kendrick Lamar, trop grand pour les frontières du rap, les a complètement dépassées pour collaborer avec les plus grands noms de la musique moderne, tous à ses pieds.
Couronné d’un disque de platine en première semaine, depuis double disque de platine, Kendrick Lamar est le seul rappeur à avoir réalisé cette performance en 2017. Par-dessus tout, au-delà du succès commercial sans précédent dans sa carrière, son quatrième album studio lui permet d’être nominé huit fois aux Grammy Awards, cérémonie suprême aux Etats-Unis.
Mentions honorables : Meek Mill – Wins & Losses ; 2 Chainz – Pretty Girls Like Trap Music ; Future – FUTURE.
➡ Scène de l’année : Miami, Floride
Résumer le bouillonnement de la scène floridienne d’âge d’or serait mépriser son passé glorieux. Quoi qu’il en soit, la jeunesse a pour de bon pris le pouvoir. Aussi dense qu’hétéroclite, elle nous a offert durant l’année écoulée des disques à foison, de grande qualité et qui ont eu une portée bien évidemment locale mais surtout nationale, voire internationale.
De toute cette jeunesse émergente, Kodak Black est à la fois un des plus jeunes mais aussi un des plus expérimentés. Il erre dans les tréfonds du rap game depuis ses 16 ans à coup d’un projet par an. Si 2016 a été la révélation, avec une place dans la promotion des XXL Freshmen et une mixtape Lil B.I.G. Pac réussie de bout en bout. 2017 a été l’année de la confirmation durant laquelle Kodak a assis son style, son empreinte. Après de multiples mixtapes, c’est le 31 mars dernier qu’il passe au format album avec Painting Pictures. Porté par l’immense succès de Tunnel Vision, le tube de l’album, et par quelques featurings de prestige, notamment les Twins Towers d’Atlanta Future et Young Thug, il décroche un disque d’or qui récompense son dur labeur. Au-delà d’être son disque le plus léché, il impose une fois pour toutes son rap à la teinte si unique dans la forme comme dans le fond. L’esthétique est marmonnée, mâchouillée, Kodak torture son propos jusqu’à le rendre illisible. Kodak Black, enfant enfermé dans une enveloppe adulte, est pris d’assaut par ses démons : tiraillé entre une conscience aiguë de lui-même et des problèmes de société et un tempérament de feu follet qui s’attire les ennuis judiciaires à tour de bras. Il multiplie, en effet, les allers-retours en prison depuis qu’il est en âge d’y être, ce qui lui coûtera l’affiche du HNDRXX Tour de Future. En juillet, il revient avec le deuxième volet de sa série de mixtapes Project Baby auquel il accordera une édition augmentée en fin d’année. Au total, vingt-sept titres, certains dispensables, d’autres fulgurants comme ce morceau d’introduction, Versatile, qui renferme l’essence même de ce qu’est Kodak Black. Après avoir acquis la reconnaissance du public, il s’est attiré celle de ses pairs, de ceux qui ont fait avant lui la scène qu’il occupe aujourd’hui. Avec Plies, vétéran floridien, ils publient le jour d’Halloween F.E.M.A, théâtre de deux écoles, de deux générations qui s’entremêlent pour un disque collaboratif qui s’érige parmi les meilleurs sorties cette année.
Kodak n’est pas le seul à exploiter le filon du rap influencé par ses origines haïtiennes. Bruno Mali Kidd, pas si jeune dans le milieu du rap, récemment pris sous son aile par Rick Ross, la figure de proue de Miami, a sorti son premier projet en bonne et due forme cette année, M.A.D.E. Le peu d’exposition est compensé par un rap très dense, entre le phrasé sec de Meek Mill, l’attitude gangster de son mentor et son accent des Caraïbes, Bruno Mali Kidd semble être promis à un bel avenir.
Le rap « emo » anime également la scène floridienne. Mieux, cette dernière renferme quelques-uns des noms qui font déjà le présent et l’avenir de ce rap imbibé de drogues, de maladies mentales et de dépression. Si elle balbutie encore légèrement aujourd’hui, c’est pour mieux prendre les commandes demain.
L’étendard est porté par XXXTentacion, le jeune rappeur sombre et torturé qui s’est fait connaître du grand public par le succès monstre de Look At Me !, mais aussi par ses frasques extramusicales. Si cet énorme morceau est caractérisé par des basses tonitruantes qui saturent complètement le beat et font grésiller sa voix d’adolescent, ce sont d’autres registres qu’il explore dans son premier album studio, 17, qu’il promeut en simulant son suicide sur Instagram. Cette ode à la dépression est teintée d’indie rock, de guitares et de pianos mélancoliques. Toutefois, derrière ce personnage affligé se cache un homme ravagé par la violence qui s’en prend physiquement et de manière régulière à des fans venus le voir à concert ainsi qu’à sa petite-amie enceinte. Dans son sillage, ses collaborateurs de Members Only que sont Ski Mask The Slump God, Lil Pump et Smokepurpp ont tous, en 2017 sorti leur premier album et/ou leur première mixtape.
Ski Mask The Slump God, après s’être fait un nom à travers la série de mixtapes Members Only de son ami XXXTentacion, a passé le cap en solo le 30 juin 2017 avec You Will Regret, une mixtape qui témoigne de ses grosses aptitudes techniques. Il reste toutefois dans la veine de ce qu’il faisait déjà sur Members Only : poser sur des morceaux aux beats saturés par les basses tonitruantes. Seuls Energy et Bird Is The Word explorent d’autres horizons et donnent du relief à un projet qui en a bien besoin. Depuis, il s’est réfugié sous l’aile de la légénde Timbaland et semble être enfin maître de ses influences qui le dominaient sur son premier projet solo.
Le plus intéressant de cette bande de freaks doit probablement être Smokepurpp. Deadstar, son premier projet solo, a été très bien amené par quatre singles de qualité, notamment Audi qui est aujourd’hui certifié or ainsi que par une belle liste d’invités : Chief Keef, Yo Gotti, Juicy J, Travis Scott, D.R.A.M et son pote Lil Pump. La pochette rendant hommage à GG Allin ne laisse que peu de doutes quant à la couleur du disque : une fougue rare et des basses qui résonnent depuis les remous du Styx. Si quelques morceaux sont dispensables, la deuxième moitié du projet, très mélodique, montre un Smokepurpp capable de s’ouvrir à d’autres instrumentales moins oppressives et beaucoup plus digestes. L’ensemble est évidemment très perfectible mais Deadstar est une porte vers un joli potentiel à suivre.
Le très jeune Lil Pump, lui, s’est fait un nom à travers les succès de D Rose et de Gucci Gang, deux des plus gros cartons de l’histoire de SoundCloud. Derrière son sourire de ferraille se cache un rappeur instinctif, privilégiant l’énergie, martelant des mantras différents à chacun de ces morceaux. La sortie de sa mixtape éponyme le 3 octobre dernier et le succès prometteur qu’elle a rencontrée lui vaut aujourd’hui la recherche d’un label qui devrait vraisemblablement lui offrir une avance d’une dizaine de millions de dollars.
Mentions honorables : Au-delà de la sempiternelle scène d’Atlanta, la confirmation du renouveau de New-York et la relève de « Motor City » ne sont pas à négliger.