Si l’on octroie souvent au rap français une image de musique misogyne, aux antipodes des valeurs du féminisme, la vérité est bien plus complexe. Entre une lecture parfois superficielle des paroles et des prises de position fortes de différents représentants du genre, nous allons voir ce qu’il en est vraiment de la question du féminisme dans le rap…
➡️ Une mauvaise réputation née des paroles crues de différents rappeurs
Les détracteurs du mouvement prennent souvent en exemple, Kaaris ou Booba pour mettre en évidence le sexisme du rap. On se rappellera notamment de la polémique engendrée par la sortie du clip Tchoin, et des articles dénonciateurs publiés par Le Parisien, reprochant l’image de la femme que le rappeur renvoie. D’autre part, Booba essuie souvent les mêmes critiques, notamment pour les paroles de Killer (« Ferme un peu ta gueule, va m’faire un steak frites ») ou de Jour de paye (“Une colombienne fait ma vaisselle”), qui associent la femme aux tâches ménagères, sans compter ses nombreuses phrases liées au sexe.
Damso, a également dû faire face à des oppositions lors qu’il a été désigné pour réaliser l’hymne belge de la Coupe du monde, notamment par la présidente du Lobby européen des femmes. Lors qu’on parle de féminisme dans le rap, on ne peut pas oublier le cas d’Orelsan, qui s’est retrouvé au milieu de procès avec des associations féministes ; Saint-Valentin et son refrain polémique (« Suce ma bite pour la Saint-Valentin ») mais surtout Sale pute qui lui porteront préjudice. Ce dernier morceau, qui raconte l’histoire d’un homme ayant découvert les infidélités de sa femme, exprime le ressenti de ce dernier dans un condensé de rage et de violence.
J’vais te mettre en cloque et t’avorter à l’Opinel
Si le rappeur caennais se désolidarise de la violence des propos en expliquant qu’il se met derrière un personnage, cela lui causera beaucoup de tort, le déprogrammant notamment de plusieurs festivals et concerts. Cependant, ces rappeurs n’en pâtiront pas par la suite, étant donné que même Orelsan qui avait subi un léger contrecoup au début de sa carrière finira par la voir exploser au fil des projets.
➡️ En-dehors du studio, des opinions souvent favorables aux combats féministes
Derrière des paroles portant parfois à la polémique se cachent souvent des opinions favorables au féminisme. Kaaris, au détour d’une interview des Inrocks, a salué l’initiative du hashtag #BalanceTonPorc, permettant la libération de la parole autour du phénomène du harcèlement de rue. En outre il a également déploré la quasi-absence de femmes dans le milieu du rap. Orelsan, pour sa part, a revendiqué à plusieurs reprises être féministe. En témoigne l’épisode 14 de la série Bloqués dans lequel il adopte ce ton féministe tout en restant dans la dérision…
D’autre part, dans son récent album La Fête est Finie, la chanson Bonne Meuf, traite en partie des difficultés dêtre une femme en comparant sa situation à celle des victimes de harcèlement de rue. Dans la dernier épisode de sa série de vidéos Rentre dans le cercle, Sofiane expliquait aussi l’importance pour lui d’inviter parmi les différentes participants des rappeuses pour offrir l’éventail le plus large et représentatif possible.
J’prends pas l’bus la nuit comme une bonne meuf
➡️ Le sujet sensible du faible nombre de rappeuses françaises
Au delà de paroles vulgaires adressées au femmes, le machisme dans le milieu du rap se symbolise également par le faible nombre de rappeuses. Les figures féminines fortes du rap français que sont Diam’s, Keny Arkana ou Casey, sont encore rares même si cela tend à augmenter. Nous citerons Shay, qui semble se situer dans le même créneau que Nicki Minaj. Elle a d’ailleurs reproché le manque de rappeuses dans sa catégorie, indiquant ainsi que le thème de la sexualité ne devait pas être exclusif au rap masculin.
Son cas exprime ainsi le retard qu’a le rap français lorsque la scène américaine compte déjà dans ses rangs des rappeuse comme Cardi B, Remy MA ou Iggy Azaeilia. D’autre part, le cas Chilla interpelle. En effet, cette rappeuse évoque le féminisme non seulement en interview, mais aussi dans ses textes. Chilla évoque ainsi ces sujets sensibles dans des morceaux comme Si j’étais un homme ou Sale chienne (« J’aurais beau rapper la peine / Résister à la haine / Je n’serai jamais la reine, chienne »).
Si j’étaiS un homme, si on inversaiT les rôles / Je soulèverai ta robe, garderais-tu le contrôle?
Le féminisme et le rap ne sont pas deux notions antinomiques. Si le rap français peut se montrer sexiste, ce n’est pas propre à ce milieu, d’autant plus qu’il présente d’autres facettes derrière un second degré que certains ont du mal à déceler. Le rap commence à se départir de cette image misogyne, notamment grâce à un public plus aguerri aux codes du genre, et des rappeurs soignant davantage leurs propos à ce sujet…