Un bon rappeur, c’est un artisan du langage. Il ficelle les mots, jongle avec les rimes, crée des textes aux sonorités captivantes. Un excellent rappeur, lui, raconte des histoires, des récits qui tiennent en haleine les auditeurs jusqu’à la dernière seconde du beat. On appelle ce sous-genre le storytelling (que l’on pourrait littéralement traduire par « conter des histoires »). Les rappeurs sont donc des conteurs et sûrement les dignes héritiers des plus grands noms de la littérature française et plus particulièrement de toute une génération d’écrivains du XVII ème siècle : La Fontaine, Racine, Corneille… Après tout, les fables telles que « La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf », « Le Corbeau et le Renard » ou encore « Le loup et l’agneau » ne sont que les blueprints des meilleurs storytellings du rap français. Les thèmes abordés y sont en effet similaires : pouvoir, danger, respect, et game.
Si le storytelling se veut être un véritable exercice de style, certains morceaux n’en demeurent pas moins socialement criants de vérité et peuvent être de véritables pans d’art engagé au sein desquels toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement orchestrée de la main de l’écrivain. Des dizaines de rappeurs se sont essayés à cet exercice, quels morceaux la postérité sera-t-elle susceptible de retenir ? Retour sur quelques classiques du genre.
➡ Grödash – Katie
Les plus jeunes n’ont probablement jamais entendu ce nom. Grödash, rappeur du 91, avait le vent en poupe au moment de la sortie de son premier album solo Illegal Muzik. Le morceau « Katie » raconte l’histoire d’un couple dysfonctionnel qui navigue entre infidélité et alcoolisme. Une belle prise de risque de la part du rappeur qui peint une image de la femme qu’on n’ose jamais vraiment montrer. La chute, sur le dernier couplet, est très poignante.
➡ Psy 4 De La Rime – La vengeance aux 2 visages
Une histoire offerte par un duo Soprano-Alonzo de la grande époque. Jamais le rap n’a été si visuel. Soprano offre une performance dantesque, tout particulièrement sur son premier couplet et son acting dans le clip nous montre clairement qu’il aurait pu avoir une petite carrière sur grand écran !
➡ Mac Tyer – Mon pote Omar
Belle prestation du Général qu’on pourrait synthétiser par un simple « Salut mon vieux, tu m’reconnais ? » Le refrain chantant est assez addictif. Petite référence au morceau de 50 cent « I’ll whip ya head boy » dès la première ligne : « 2 ni***s in the front, 2 ni***s in the back » qui se transforme en « 2 nég*** sur un scoot, 4 nég*** dans un hall » et, pourquoi pas, un clin d’œil à Omar Little (The Wire) sur le titre en lui-même.
➡ Rohff – Fumer un mec
Incroyable performance vocale et textuelle de Rohff qui se dédouble pour le morceau, un peu comme dans la vidéo de la pelle. D’un côté Housni : réfléchi et sage, d’un côté Rohff : sanguin et déterminé. Une schizophrénie maîtrisée avec brio.
➡ IAM – Petit frère
Biographie d’un petit frère qui pourrait en fait être celui de tout le monde. Le morceau démarre sur un sample d’une phase prononcée par Inspectah Deck sur le célébrissime C.R.E.A.M du Wu-Tang : « Life as a shorty shouldn’t be so rough » (« shorty » était un terme utilisé pour parler d’un jeune ou de quelqu’un qui démarrerait dans un business ; désormais, on l’emploie plutôt en guise de synonyme de « femme »). Véritable classique du genre, le groupe s’offre un clip en noir et blanc qui semble destiné à être intemporel, les lyrics correspondent parfaitement à chaque génération : on connait tous un « Petit frère ».
➡ Sefyu, RR & Baba – Faits Divers 1 & 2
La voix off que l’on peut entendre sur la première partie de cette collaboration ancre le morceau dans le réel et pousse l’auditeur à accepter une sorte de « pacte de lecture » avec les artistes présents sur le morceau. La détresse de certains protagonistes de ces deux pistes rend parfois l’écoute insoutenable. Un Sefyu sanguinaire et intransigeant, une des facettes du rappeur que les fans de la première heure apprécient fortement.
➡ Oxmo Puccino & Booba – Pucc Fiction
Un classique qui n’aurait pu jamais voir le jour ! En effet, la prod de ce morceau était destinée au fameux « Le crime paie » de Lunatic, et au dernier moment, le groupe décide de choisir une autre instru. Oxmo récupère la prod pour la compile L-432 à la grande époque de Time Bomb et peint cette fameuse fiction digne d’un Fincher ou d’un Tarantino. On suit les personnages empêtrés dans leurs embrouilles au fil des mesures.
➡ Dosseh – Abel et Caïn
Une véritable tragédie grecque, tout y est : l’hubris, l’honneur, le héros face à un dilemme cornélien. Un titre qui renvoi à un des épisodes les plus fameux de la Genèse. Un clip à la réalisation léchée qui fait honneur à ce morceau fleuve. Du grand storytelling.
➡ Tandem – La trilogie
Probablement l’un des projets les plus ambitieux de l’histoire du rap français. On y retrouve nos rappeurs favoris dans les jeunes jours. On suit Mac Tyer au court de trois morceaux illustrés par autant de clips qui forment un véritable court métrage. Le troisième clip, est sûrement la partie le plus connue : Le Jugement.Dans ce véritable chef d’œuvre on y retrouve Lino, Mac Kregor, Diam’s, Faf La Rage, Kery James, Tunisiano… un véritable concentré de talents !
➡ Kery James – X&Y
Fiction impressionnante menée d’une main de maître par Kery James qui empêtre l’auditeur dans une sombre affaire d’homicide. Le clip, très certainement un des plus réussis de toute l’histoire du rap français, a marqué les esprits par sa structure et son imagerie. Il est le fruit d’une collaboration entre Kery James et Mathieu Kassovitz. La fin du morceau devrait ravir les amateurs de nouvelles à chute.
Et vous, quels sont vos storytellings favoris ? Rendez-vous la semaine prochaine pour aborder les performances des homologues d’outre-Atlantique.
Vous avez oublié la discographie de Medine!!
Merci pour le très bon article. J’ajouterai « Boulevard Auriol’ de Médine, « Malik » de Georgio, « Outreau » et « Doc Martens » de Brav, « Seck » de s.pri noir, « Victoria » de Kenny Arkana, « ma souffrance » de Diams .
Ol kainry – Bobby.
On veut en savoir bcp + sur ce jeune Bobby : d’où vient-il (Ol kainry nous dit du Bénin ou Togo mais c’est bien vague), d’où lui vient cette passion pour les félins ? énormément de questions sans réponse