Le rap français évolue à une rapidité impressionnante sur disque. Chaque semaine un nouveau rappeur, une nouvelle mode est lancée. Plutôt que faire un état actuel du contenu du rap français comme on peut souvent le faire, essayons de comprendre quelles en sont les conséquences sur les prestations scéniques des rappeurs.
Le showcase, une nouvelle alternative devenant mainstream
Cela ne fait que quelques années, mais c’est déjà devenu pour beaucoup de rappeurs l’activité de base en ce qui concerne le live. Les showcases, ces performances d’une trentaine de minute en moyenne qui ont lieu soit en boite de nuit soit en chicha ont aujourd’hui autant d’importance qu’un concert de base en salle. Il faut dire que cela présente beaucoup d’avantage pour le rappeur, un gros cachet pour une courte performance (« avant je n’étais rien, aujourd’hui c’est 5000 pour 30 minutes »), une table VIP avec deux magnums de Grey Goose ou une chicha menthe raisin et (surtout) un taux hallucinant de meufs bonnes au mètre carré, dont une minimum finira dans la chambre d’hôtel du rappeur. Bref, tout les fantasmes du rappeur sont réunis. Aujourd’hui, le jeune rappeur français ne rêve plus d’Olympia ou de Bercy mais plutôt de Palacio ou de Crystal. Pour beaucoup de fans rap, cela peut sembler navrant.
Mais c’est une évolution logique par rapport a ce que proposent une grande partie des rappeurs français aujourd’hui. Après 15 ans de rap sous influence New-Yorkaise, le rappeur français a commencé a regarder du coté du sud des Etats-Unis (Nouvelle Orléans, Houston, Memphis, Miami et surtout Atlanta) qui pratique une musique faite pour les boites de nuit et les strip clubs, en travaillant d’avantage les mélodies sous autotune, les gimmicks, l’énergie que les textes. C’est donc la même chose en France, avec les chichas à la place des strip clubs. Et c’est arrivé assez vite quand on sait qu’à la fin des années 2000, les deux seuls morceaux de rap français qui pouvaient tourner en club étaient Boulbi de Booba et Dirty Hous’ de Rohff (Le Mia d’IAM c’était pour les soirées ringardes de trentenaires nostalgiques, donc ça compte pas). En plus de cela, un rappeur n’a pratiquement pas besoin de sortir un album long format pour faire des showcases.
Un jeune rappeur quasi débutant peut juste sortir quelques gros tubes au potentiel évident pour tourner en boite et en chicha, si le buzz est là, les demandes de booking le seront également. Cela représente donc moins d’efforts pour un rappeur pour arriver à tourner en showcase que de faire une vraie tournée de concert dans toute la France. D’autant plus qu’un concert en salle, c’est minimum 1h30 de prestation donc pratiquement 15 morceaux à apprendre par cœur et à interpréter en live. C’est bien trop demander à la mémoire du rappeur en plus de son cardio nourrit au pilon et à la chicha. Le showcase permet d’éviter ces concerts désastreux où le rappeur arrive avec minimum une heure de retard en étant soit bourré, soit défoncé, soit les deux, enchainant une prestation minable faite de playback. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes ne tournent pratiquement qu’en showcase (L’Artiste, L’Algérino, Shay, Gradur, Mister You).
L’underground prend le contrôle des petites scènes et des festivals
Mais ne croyez pas que le showcase a définitivement tué le rap en live. Des rappeurs qui font des concerts dans des salles, même les plus petites, il y’en a un paquet. C’est juste que ce ne sont plus les artistes dits « mainstreams » qui s’y produisent mais plutôt des rappeurs au buzz moins considérable et qui ont fait de la scène leur spécialité. Certains rappeurs pourront vous dire que c’est impossible de remplir des salles de concert si tu ne vends pas de disque, ce qui est complètement faux. Car si les albums peuvent aujourd’hui être consommé gratuitement, ce n’est pas le cas des concerts. Et ce n’est pas parce que ton public n’achète pas tes disques qu’ils n’iront pas te voir en concert. Avant, dans l’industrie musicale, on perdait de l’argent pour produire des concerts dans le but de faire de la promo d’un album et d’en vendre un maximum. C’est totalement l’inverse aujourd’hui.
On investit de l’argent dans la production d’un disque qu’on est pas sur de pouvoir rentabiliser mais qui sera un moyen d’aller faire des concerts dans toute la France que ce soit en tête d’affiche où dans le cadre d’un plateau organisé par des sociétés de production évènementielle réunissant plusieurs rappeurs. Prenons l’exemple de Georgio et Vald, qui ne sont pourtant pas des monstres en terme de ventes (même si Vald commence à faire son trou à ce niveau), mais dont la musique est faite pour être entendue en live. Résultat, les deux sont constamment sur les routes, enchainent les dates dans toute la France en plus des autres pays francophone (Suisse, Belgique, Québec) et sont programmés dans tout les plus grands festivals de France (Vieilles Charues, Eurockéennes, Printemps de Bourges). Le NQNTour de Vald avec Suikon Blaz AD comme backeur et DJ Weedim aux platines a comptabilisé près d’une centaine de dates en 2016!
J’ai cité ces deux exemples mais je pourrais vous parler d’autres rappeurs encore plus confidentiel comme Demi Portion, Swift Guad, Espiiem, Davodka ou JP Manova qui sans vendre des milliers de disques ni être ultra présents dans les différents médias, ont réussi à trouver leur public en live. Leur musique, beaucoup plus basée sur l’écriture, la performance que sur les refrains autotunés entêtant, se transmet bien mieux dans une salle municipale de concert que dans une boite de nuit privée. Ces concerts proposent eux aussi leurs avantages : une meilleure ambiance, une proximité avec le public qui permet de mieux communier. De plus, pour ces artistes, la scène constitue non seulement leur principale gagne pain (en se déclarant officiellement comme intermittents du spectacle) mais aussi le meilleur moyen de fidéliser leur public. C’est pourquoi des artistes ou groupes anciens comme IAM, La Rumeur ou Scred Conexion continuent de faire des concert très régulièrement sans même sortir de disque.
Les remplisseurs de grosses salles
Au-dessus, il y a ceux dont la musique est tellement populaire et touche-à-tout qu’ils peuvent faire les deux comme Jul, PNL, SCH, Kaaris, Nekfeu, Booba… Bref, les mecs qui pèsent le plus quoi. En plus eux, ont le potentiel pour remplir les très grosses salles comme les Zéniths de France ou Bercy (c’est déjà fait pour certains, ça ne va pas tarder pour d’autres). Si par exemple Jul et PNL montrent encore des difficultés en ce qui concerne la scène ce qui est probablement du au contenu de leur musique très autotuné (« j’monte sur scène, l’impression d’être une bête de foire ») un rappeur comme Nekfeu y est comme un poisson dans l’eau. Logique, quand on sait qu’il s’est formé en tant que rappeur en brûlant tout les open mics de région parisienne à partir de 2008. Arrivé dans le milieu en 2011 avec ses différents groupes (1995, S-Crew, L’Entourage), ils ont tout de suite capitalisé leur buzz sur scène avec presque 200 concerts entre 2011 et 2014.
Il était donc bien rodé au moment d’attaquer la tournée solo qui suivait l’immense succès de Feu, son premier album. Résultat, le Feu Tour fut un carton plein, que ce soit pour les petites/moyennes salles fin 2015 que pour les Zéniths début 2016 et bien sûr l’apothéose en décembre dernier avec ce Bercy plein a craquer durant lequel il a annoncé la sortie surprise de son deuxième album solo, Cyborg. Tout y était dans ce show : la mise en scène, l’interprétation, l’énergie et la communion avec un public totalement acquis à sa cause. Si bien qu’aujourd’hui, Nekfeu est probablement devenue LA référence du rap français en live. Capable de performer dans une petite salle comme à Bercy, en festival comme dans une boite de nuit. Ce n’est pas un hasard si le Feu Tour est nommé dans la catégorie « spectacle musical de l’année » aux prochaines Victoires de la Musique. C’est pareil pour Kaaris, dont la trap de bourrin associé à son grand talent de kickeur lui a permis de faire lever n’importe quelle foule à n’importe quel endroit.
Booba lui, propose un show assez différent. Sur scène, il ne bouge pas des masses mais son charisme et sa prestance suffisent à conquérir les ratpis. C’est d’ailleurs la communion entre Booba et les ratpis qui reste la plus impressionnante dans ses concerts. C’est très simple, il suffit que Booba commence sa phrase, puis son DJ Mehdi Med coupe le son et là, c’est toute la salle qui finit la phrase en cœur. Booba n’a pas besoin de backeurs sur scène, tant son public accepte ce rôle avec grand plaisir. D’autres taulier du rap actuel se sont fait une réputation sur scène, tout cela grâce à des années d’expérience. Comme Rohff et Kery James, dont l’énergie sur scène n’est plus à vendre, ou encore Youssoupha, qui affirmait rapper au début de sa carrière devant 8 personnes dans des salles municipales pour se retrouver 10 ans plus tard devant 5000 personnes au Zénith de Paris.
Sur scène comme en studio, le travail, la patience et la persévérance font progresser n’importe quel rappeur et ça finit toujours par payer au bout d’un moment. Le rap français en live aujourd’hui est donc à l’image de ce qu’il est sur disque, diversifié et disponible pour tout les goûts. Et c’est très bien comme ça.