A l’exception d’un featuring Liga One avec Khalif Harcore et Kamikaz (qui a sorti en mai dernier son projet L’Outsider) sur une face B de Chief Keef, on a du mal à percevoir une ressemblance quelconque entre les deux artistes. Pourtant, au-delà de leurs différences évidentes sur le plan musical, les deux artistes ont en commun un certain nombre de caractéristiques, notamment au niveau de leurs statuts respectifs et de leurs carrières.
➡️ Les deux rappeurs ont mis en lumière les scènes de leurs villes respectives
Quand Chief Keef émerge en 2011 avec Bang, Love Sosa et surtout I Don’t Like, la scène rap de Chicago est totalement sortie des radars du public. Bien sûr, au cours des années, on a pu y voir émerger Common, Kanye West, ou encore Lupe Fiasco, mais la scène locale ne bénéficie d’aucune visibilité. A Chicago, il y a un avant et un après Chief Keef: ce dernier popularise la drill, une variante de la trap initialement inventée dans l’entourage du rappeur Pacman, au niveau national puis international. Tout comme son « homologue américain », Jul frappe l’imagination du public (d’une manière certes différente) avec les clips de Cross volé et Briganté. Issu de Marseille, Jul remet en avant la deuxième scène historique du rap français qui était tombée en désuétude depuis le succès des Psy4 de la Rime, malgré la longévité d’anciens rappeurs ou groupes comme IAM, Soprano, l’Algérino et Alonzo. Aujourd’hui, la scène marseillaise est l’une des plus actives du pays, des rappeurs comme Naps, Soso Maness, Elams cumulent des millions de vues et ont également acquis une réputation au-delà de Marseille.
➡️ L’un comme l’autre ont initié une tendance musicale source d’inspiration
Les scènes de Chicago et Marseille, dans l’ombre de Chief Keef et Jul, ont développé des styles locaux bien particuliers et facilement reconnaissables. Ces styles au premier abord un peu stéréotypés ont fini par donner naissances à des artistes aux identités propres qui s’inscrivent pourtant dans la couleur musicale de la ville, comme Numbers à Marseille ou SD à Chicago. Quand le style de Chicago influencé par Chief Keef, s’imprègne des guerres de gangs, de boisson codéinée et d’autotune languissant, la scène de Marseille influencée par Jul adopte un style local très rythmé aux sonorités à la limite du raï et de la pop, qui cachent des paroles et sujets beaucoup plus durs qu’elles ne le laissent penser. Là où l’identité visuelle de Chicago tourne autour de maisons pavillonnaires, de ruelles sombres et de cups de lean, celle de Marseille rassemble les véhicules à deux roues, le soleil et les chichas. Dans tous les cas, les anciens de Chicago comme de Marseille ont su récupérer les tendances et on retrouve le Rat Luciano sur le deuxième album de Jul Je trouve pas le sommeil en 2014, alors que Kanye West reprenait I Don’t Like dans Cruel Summer en 2012.
➡️ Ils ont également contribué à décomplexer le rap en France et aux Etats-Unis
Chief Keef est au pinacle de sa carrière alors que celle-ci vient juste de démarrer, en 2011/2012 il sort les mixtapes The Glory Road, Bang et Back From The Dead qui le font connaitre, puis sort son album Finally Rich qui connait un succès commercial prometteur (150 000 ventes en fin d’exploitation) et surtout qui frappe encore aujourd’hui par ses sonorités novatrices. Confronté à des problèmes personnels et notamment ses addictions, le rappeur va pourtant peu à peu sombrer dans des univers musicaux de plus en plus difficilement accessibles sur Bang Pt. 2 et Almighty So (qui rétrospectivement pourrait bien être le meilleur projet, mais le moins bien compris, de sa discographie). Alors qu’il remonte la pente en 2014 sur Back From The Dead Pt. 2, le rappeur se met à produire ses propres sons, ce qui n’est pas sans nous rappeler cet aspect autodidacte de Jul qui produit, réalise et enregistre seul ses sons depuis ses premiers projets. Confrontés à la vague Jul qui amène des sonorités inédites dans le rap, les têtes d’affiches parisiennes se décomplexent et sortent des hits aux influences pop/R’n’B assumées.
➡️ Jul comme Chief Keef sont réputés pour l’amateurisme de leur promo
C’est un dernier point commun entre les deux rappeurs, l’un comme l’autre semblent n’avoir aucune conscience des principes les plus élémentaires du marketing. A la différence notable que l’un des deux cumule les disques de platine et vient de recevoir son premier disque de diamant, alors que l’autre a dû en 2014 résilier son contrat artiste cher Interscope. A la différence de Chief Keef, tiré vers le fond par son entourage et son addiction à la codéine alors qu’il était promis à une place parmi les têtes du rap américain, Jul bénéficie de son attitude négligente sur les réseaux sociaux qui contribue largement à sa popularité. Fait remarquable, la communication de Jul sort tellement des canons traditionnels adoptés par le reste des rappeurs qu’elle en devient presque novatrice quand il enregistre un son en faisant participer son public à sa réalisation via la plateforme Périscope, ou plus récemment quand il demande sur Facebook s’il devrait ou non participer à une émission TF1. La spontanéité de Jul fait le succès de son personnage malgré, ou plutôt grâce à l’amateurisme de sa communication.