En 2016, quand le public rap découvre Megan The Stallion au travers de la mixtape Rich Ratchet, la rappeuse développe déjà depuis plusieurs années un public sur les réseaux sociaux. Sa mère, soucieuse de son avenir, lui demande d’attendre ses 21 ans pour se lancer pour de bon dans la musique, sans pour autant mettre de côté ses études à la Texas Southern University. Un an et demi plus tard, elle signe au sein de 1501 Certified Entertainment, un label créé par le joueur de baseball Carl Crawford et représenté par T. Farris, tous deux originaires de Houston. Quelques mois plus tard, elle signe un second contrat avec l’emblématique 300 Entertainment. Enfin, mi-2019, elle confie son management à la structure de Jay-Z, Roc Nation. À compter de ce moment, la relation entre Megan Thee Stallion et 1501 ne cesse de se dégrader. Le 1e mars 2020, elle affirme sur ses réseaux sociaux que son label l’empêche de sortir de nouveaux titres suite à sa demande de renégocier les termes de son contrat. Le jour suivant, elle dépose une plainte contre 1501 et demande une ordonnance restrictive temporaire lui permettant de sortir de nouveaux titres en attendant l’issue du procès. Cette mesure lui est accordée par un juge de district d’Harry County (Texas) jusqu’au 16 mars. Entre temps, les deux parties ont d’ores et déjà effectué des déclarations publiques qui permettent d’y voir un peu plus clair…
La version des faits de Megan Thee Stallion
Selon Megan Thee Stallion, 1501 Certified Entertainment ne lui aurait versé en tout et pour tout que 15.000 dollars depuis sa signature. De plus, le label n’aurait pas communiqué d’informations suffisamment complètes sur ses propres revenus. La rappeuse accuse également 1501 Certified Entertainment d’avoir présenté T. Farris, personnalité locale de la musique, comme l’un de ses membres fondateurs alors qu’il n’était que consultant, et de ne pas l’avoir informée suffisamment sur les termes du contrat. Sa signature résulterait, selon ses propres dires, d’une série d’omissions et d’informations erronées transmises par le label. Pour Vincent Le Nen, conseiller en stratégie et manager d’artistes : « Le problème sur ce genre de situations, c’est que les labels vont généralement se prémunir avec une clause qui indique que l’artiste a été incité à consulter un avocat. Malgré tout, il y a toujours un coup à jouer sur le terrain des vices du consentement. Ce qui est sûr, c’est que ça risque de donne lieu à un long feuilleton judiciaire. »
Autre élément à charge du procès à venir, Megan accuse 1501 Certified Entertainment de ne pas avoir rempli certaines de ses obligations élémentaires, en particulier les dépôts de marques et de copyrights, ouvrant par la même occasion la possibilité à un tiers de s’approprier sa propriété intellectuelle. Vincent Le Nen commente : « Ça c’est intéressant, ils pouvaient être obligés d’effectuer ses dépôts de marques par le contrat, ce n’est pas automatique. Mais pour ce qui est des dépôts copyright, c’était forcément une de leurs obligations parce qu’ils sont éditeur. » Enfin, Megan The Stallion et son producteur Lil Ju accusent Carl Crawford et J. Prince d’avoir effectué plusieurs menaces à leur encontre et d’être à l’origine du leak d’une arrestation de Megan vieille de cinq ans et du mugshot qui l’accompagnait.
La version des faits de 1501 Certified Entertainment
De son côté, Carl Crawford a contesté la plupart des accusations de Megan Thee Stallion au cours d’une interview pour le magazine Billboard. Il affirme pouvoir justifier de 500.000 à 800.000 dollars de versements à la rappeuse depuis la signature de son contrat, dont 10.000 dollars d’avance initiale et une part de 50.000 dollars sur les 200.000 dollars d’avance versés par 300 Entertainment, malgré l’absence d’obligations. Ce dernier point semble plausible à Vincent Le Nen : « En soi, à partir du moment où l’avance prévue dans le contrat d’artiste a déjà été versée, même si le producteur prend un million derrière en licence ou en distribution, il n’a pas d’obligations d’en reverser une part. Après, normalement, il le fera parce que s’il veut que son artiste se concentre sur sa musique, il doit lui en donner les moyens. C’est à la fois de la logique et du respect de base de l’artiste, lorsque les proportions ne sont plus les mêmes. »
Selon le producteur, Megan aurait cessé de communiquer avec lui depuis sa signature chez Roc Nation en août 2019. Elle aurait également suspendu les versements des revenus générés par ses concerts et le merchandising. Cette affirmation intrigue Vincent Le Nen : « Normalement, c’est eux qui devraient toucher ces revenus en premier et lui donner sa part. En 360, ça passe par le label qui reverse à l’artiste et pas l’inverse : 1501 est tourneur, c’est lui qui touche les revenus des tournées et qui reverse, il est éditeur donc il va aussi toucher directement l’argent de l’ASCAP ou autre, et ainsi de suite. Pour le merchandising, c’est bizarre aussi sauf si on parle de merchandising non-exclusif. Ce que ça veut dire, c’est que producteur peut faire du merchandising, mais l’artiste aussi en lui reversant une part. C’est une logique qui se fait aussi sur de l’endorsement : le contrat va dire que si une opportunité vient du label, il touche par exemple 30%, et si elle vient de l’artiste, le label ne touchera plus que 15%. Après, c’est aussi possible que le management ait pris en charge certaines choses et récupère l’argent à la place du producteur, que ça arrangeait dans un premier temps. »
Pour appuyer ses propos, Carl Crawford affirme que Roc Nation aurait décidé avec T. Farris, qui était dans les faits l’interlocuteur de Megan avec 1501 et son tourneur, de procéder à cette stratégie d’éloignement pour le forcer à renégocier les termes du contrat qui le lie à la rappeuse pour quatre albums. Vincent Le Nen précise : « Ça peut clairement nuire à Megan de ne pas verser la part du producteur, tout simplement parce que c’est prévu au contrat. Au vu des montants en jeu, c’est totalement possible que Roc Nation ait cherché à mettre de son côté quelqu’un qui travaillait déjà avec le label. Ça pourrait aussi expliquer le point des revenus non-versés. »
Ce qu’on sait des termes du contrat de Megan
Les déclarations de Megan Thee Stallion et de Carl Crawford permettent de dessiner les grandes lignes du contrat qui les lie. Sur les royalties, les deux parties se sont accordées sur un partage à 60%-40% en faveur du label. De plus, selon Carl Crawford, la rappeuse aurait partiellement conservé la propriété de ses masters. Cependant, pour compenser ces conditions avantageuses, il aurait imposé un contrat à 360 degrés incluant : 30% sur les éditions, 30% sur les revenus live, 30% de son merchandising ainsi que les droits associés et une part sur ses contrats de sponsoring et d’endorsement. La contestation se concentre sur les frais de production : selon Megan Thee Stallion, les featurings et frais de studio étaient prélevés sur sa part, tandis que 1501 assure le contraire. Vincent Le Nen décerne deux hypothèses : « Si on parle d’un contrat d’artiste, 40% c’est énorme. Normalement, le maximum c’est 18 à 20%. Si en plus elle garde une partie de ses masters, c’est clairement une situation assez avantageuse. Les 360, encore aujourd’hui, c’est toujours quelque chose qu’on voit souvent chez des producteurs indés. Par contre, le fait qu’elle doive prendre en charge une partie des frais de production laisse plutôt penser que c’est une co-production, auquel cas ça devient tout de suite moins intéressant financièrement. Normalement, le producteur paye l’intégralité des frais de production, rien ne sort de la poche de l’artiste. »
En parallèle de ce contrat initial, Megan a également conclu un second contrat avec 300 Entertainment en novembre 2018. Si les détails de ce contrat n’ont pas été communiqués, la configuration laisse à penser qu’il pourrait s’agir de distribution. En août 2019, la rappeuse conclut également un contrat de management avec Roc Nation, la structure de Jay-Z. Dans sa plainte, elle demande l’annulation du contrat qui la lie à 1501 Certified Entertainment, ainsi que plus d’un million de dollars de dommages intérêts. Si les conflits entre producteurs et artistes, d’autant plus sur des contrats conclus en début de carrière, sont loin d’être rares dans la musique, celui qui oppose Megan Thee Stallion à 1501 Certified Entertainment pourrait prendre des proportions importantes du fait de la complexité de la situation, mais aussi des ressources des deux parties. La rappeuse a d’ores et déjà fait appel à Richard Busch, ancien avocat de Suge Knight réputé pour être dur en affaires. De son côté, Carl Crawford estime être déficitaire de deux millions de dollars sur le développement de Megan et n’entend pas lâcher prise aux bénéficies, selon lui, de Roc Nation.