Parmi les mégapoles américaines, Los Angeles fait figure de véritable berceau de la culture rap au vu du nombre de rappeurs de renom auxquels elle a donné naissance. Ermias Ashghedom, plus connu sous le nom de Nipsey Hussle, connaissait sa valeur et implorait sa communauté de prendre conscience de la sienne. La valorisation du quarter de Crenshaw et l’a vu naître et grandir est un élément central de la démarche de Nipsey, non-seulement au travers de ses textes, mais aussi de ses différents investissements. Dimanche 31 mars en plein après-midi que le rappeur est froidement assassiné devant son magasin Marathon Clothing, alors qu’il s’apprêtait à accueillir l’un de ses proches ayant achevé sa peine de prison. Sa mort dans une fusillade qui apparait comme le résultat d’une dispute ressemble tristement au genre d’histoires typiques de South Central que Nipsey a passé sa carrière à essayer de réécrire. Le jour suivant, il avait prévu de rencontrer les responsables de la Police municipale de Los Angeles pour trouver des solutions à la violence des gangs. La croyance inébranlable d’Ashghedom en son rap et en son excellence a créé un réel lien avec sa ville et sa communauté qu’il a toujours placé au centre de ses ambitions.
➡️ Un parcours à forte résonance en-dehors des circuits classiques
Plus que tout autre genre, le rap est caractérisé par une forte consonance locale. L’origine des rappeurs relève rarement de l’anecdotique, et devient souvent un trait intrinsèque de leurs textes et de leurs approches musicales. Chez Nipsey Hussle, cet aspect était tout particulièrement prononcé. C’est au milieu des années 2000 qu’il fait ses premières apparitions sur la scène rap de la West Coast. S’il se forge une réputation au travers d’une multitude de mixtapes telles que Bullets Ain’t Got No Name, The Marathon, The Marathon Continues ou encore Crenshaw, les ambitions de Nipsey s’étendent loin au-delà de la musique. Sa force, il la tire de son quartier, avec lequel il entretient une relation fusionnelle qui donnera un tour inhabituel à sa carrière. Signé sur le label Epic Records, Nipsey rêve de liberté et de devenir seul propriétaire de sa production musicale. En 2013, il commercialise sa mixtape Crenshaw au prix de 100$ l’unité. Ce modèle de distribution permettra au rappeur de réaliser un chiffre d’affaires de 100.000$ en 24h, soit 1.000 copies écoulées via un pop-up store basé à Los Angeles. Son modèle : le livre Contagious : How to Build Word of Mouth in the Digital Age, qui décrit la stratégie du propriétaire d’un restaurant ayant créé le premier steak au fromage. Cet ouvrage établit six éléments nécessaires pour mettre en place une stratégie virale : l’utilisation du bouche-à-oreille, des rappels quotidiens plutôt qu’une unique annonce à forte audience, susciter des émotions, utiliser le principe d’imitation et le suivisme à son avantage, faire du partage de son produit un facteur de valorisation sociale et utiliser le storytelling.
A une époque où le téléchargement illégal connait de nouveaux sommets, Nipsey lance une campagne intitulée Proud2Pay, qui récompense les fans les plus motivés avec des concerts et un accès prioritaire à de nouveaux cadeaux uniques comme un vieux cahier de textes ou une photo dédicacée. « Il est temps de reconnaitre ce que nous savons tous déjà, à savoir que la musique est devenue gratuite », déclare-t-il. « Plutôt que de forcer les gens à l’acheter, nous devrions trouver de nouveaux modes de monétisation de la relation entre l’artiste et son public. » Les 100.000 dollars récoltés grâce à la mixtape sont investis dans le label All Money In, dont Nipsey détient le quart. Cinq ans plus tard, lorsque son premier album finit par se matérialiser, il en fait une célébration de son statut plutôt qu’une simple introduction musicale. Victory Lap voir le jour en 2018 et récolte les éloges à foison. Il lui vaut une place de choix dans le cœur des amateurs de rap et de bon nombre d’artistes : Drake, Kendrick Lamar, Snoop Dogg, Childish Gambino, YG, Rihanna, J. Cole… Difficile de mettre en doute le talent musical de Nipsey, capable de livrer à la fois le texte introspectif d’Hussle & Motivate — une ode à l’indépendance financière construite sur un sample de Hard Knock Life — et les couplets intempestifs et passionnés de Racks in the Middle. La consécration de ce parcours artistique, c’est une nomination aux Grammy Awards qui a projeté Ermias à un niveau de notoriété très différent. Pourtant, son succès s’étend bien au-delà de la musique…
➡️ L’empire commercial et philanthropique de Slauson Avenue
En plus de ses mixtapes, le rappeur construit au fil des années un impressionnant empire commercial depuis son avenue natale de Slauson et offre des opportunités aux jeunes de la région pour entrainer sa communauté communauté avec lui sur la voie de la richesse. Un salon de coiffure, un centre d’apprentissage pour les enfants, une poissonnerie et une entreprise de crypto-monnaie : ce ne sont que quelques-unes des entreprises qu’il laisse derrière lui, en plus du magasin de vêtements où il trouve la mort. La puissance de sa pensée s’exprimait à la fois dans la cabine du studio et dans la salle de réunion, sa volonté d’émanciper la communauté afro-américaine se retrouvant à la fois dans son travail d’entrepreneur et sans des hymnes comme Dedication. Sa mort est une perte non seulement pour le rap, mais aussi pour la ville de Los Angeles sur le plan humain et en particulier pour son quartier délaissé qu’il était parvenu à inscrire dans une dynamique positive. Interrogé par le magazine Forbes, Nipsey déclarait qu’il fallait que la communauté suive autant des entrepreneurs et figures de réussite comme Elon Musk et Mark Zuckerberg que des artistes et athlètes. Lors de ses dernières interviews, Ermias laissait entendre qu’il pourrait laisser la musique loin derrière lui et concentrer ses efforts sur l’empire commercial en plein essor de Slauson Avenue. « J’ai un concept d’album appelé Exit Strategy, qui pourrait être l’un de mes derniers », déclarait-il à ce propos à Complex, peu après la sortie de Victory Lap.
➡️ Un hommage à la hauteur de la grandeur de Nipsey Hussle
Le 11 avril, le Staples Center accueillait une cérémonie en mémoire de Nipsey durant laquelle célébrités et membres de la famille du rappeur défilent devant une foule de 20.000 personnes. Une première depuis dix ans, puisqu’aucune cérémonie de cet ordre n’avait été organisée au Staples Center depuis celle en hommage à Michael Jackson. Evidemment, Hussle était loin d’égaler la renommée du chanteur, le rappeur de Los Angeles venait à peine de sortir un premier album studio après une carrière principalement construite autour de mixtapes. Comme le prouve cette cérémonie, Nipsey restait avant tout une figure respectée et appréciée de sa ville natale. Ses actions philanthropes et son rayonnement communautaire en plein essor dans le sud de Los Angeles semblent le définir autant sinon plus que la musique. Parmi les soutiens du rappeur : Marsha Ambrosias, Anthony Hamilton, Jhene Aiko et Stevie Wonder, qui a souligné la nécessité de mettre fin à la violence armée avant de jouer Rocket Love, l’un des morceaux préférés de Nipsey. Snoop Dogg, le parrain de la West Coast, a déclaré : « Il avait une vision que, moi-même, je n’ai jamais eu ». Pour sa part, son frère s’est contenté de rapporter comment Nipsey, âgé de 12 ans, avait construit un ordinateur de fortune pour enregistrer sa musique. Enfin, son beau-fils Kameron a raconté un rêve dans lequel il avait rencontré Nipsey : « J’étais au paradis et je jouais dans l’eau d’un océan quand Ermias est apparu. Il m’a dit ‘Comment ça va Killah ?’ parce qu’il me surnommait comme ça. Je me suis retourné, j’ai crié son nom très fort et je l’ai étreint. […] Ermias m’a dit comment était le paradis, il m’a dit tout y était parfait ».
What a strong young man! Young Cam #CelebrationOfNipseyHussle 💙🕊 pic.twitter.com/yKDEVepZ9g
— PRETTY HU$TLAZ (@PrettyHustlaz) April 11, 2019
Surtout, sa femme Lauren London a lu un message qu’elle lui avait envoyé en janvier 2018, alors qu’il écoutait un livre audio avant de s’endormir comme chaque soir. « J’ai dû écrire quelque chose parce que je n’avais jamais ressenti ce type de douleur auparavant. Son âme était majestueuse. Il était l’homme le plus fort que j’ai connu. », a-t-elle expliqué. « Il était brillant. Complètement autodidacte et toujours à la recherche de connaissances. […] Ma douleur va en premier lieu à mon fils de deux ans, qui ne se souviendra probablement pas à quel point son père l’aimait », a-t-elle raconté. « Je suis vraiment honorée et bénie d’avoir eu la chance de côtoyer un tel homme. » Consciente que cette souffrance était partagée, elle a déclare à l’attention de la ville de Los Angeles. « Cette douleur est la nôtre. Nous savons ce que Nip représentait pour nous. Nous avons perdu une âme incroyable. Nous ne serons plus jamais les mêmes. » Barack Obama et Jay-Z ont également fait part de leurs sentiments quant à cette perte, signe de l’immense poids pris par Nipsey aux Etats-Unis et dans le monde. On a tous besoin d’un Nipsey dans nos vies, quelqu’un qui croit en nous plus que nous-même, qui pense à la communauté avant de penser à lui. De nombreuses personnalités ont affirmé souhaiter continuer de porter son idéal, et on se prend à imaginer un futur ou sportifs et artistes contribueraient main dans la main au développement des quartiers délaissés et porteraient ensemble leur communautés vers de nouveaux sommets…
Comments 1