Il y a cinq ans le rap était indivisible, la définition de ce qu’était un rappeur était limpide. Un jour, pourtant, Maitre Gims décida de sortir Subliminal. Dès lors, un grand débat s’insuffla dans le rap : « Qu’est ce qu’un rappeur ? ». En 2018, maintenant que le rap n’a plus vraiment de frontières, il est temps d’analyser le disque qui a redéfini le genre que l’on connaît aujourd’hui. Celui qui a créé ce que les médias généralistes appellent de la « pop urbaine » ou ce que d’autres appellent de la zumba et ce que Joey Starr appelle de la musique de merde. Avec Subliminal, Gims avait un objectif simple : « Dire des choses qu’on ne peut pas forcément dire dans des interviews ou dans un livre », et finalement quelles étaient ces fameuses choses dont il était question?
➡ L’histoire d’un héros subissant une descente aux enfers
Subliminal se construit sous forme d’un storytelling. L’histoire d’un héros qui subit une descente aux enfers : Maitre Gims. Le torturé, celui qui débat sur sa condition d’artiste. Quelle vie décidera-t-il de mener dans un futur proche ? L’histoire commence, forcément, dès l’intro. Une phrase simple : « Il est… solitaire », scandée par une voix qui semble céleste. Seul, c’est ce qu’est Maitre Gims quand il se retrouve face à lui-même après la réussite de son groupe. Il doit désormais faire le grand saut et livrer son tant attendu album solo. La pression est sur ses épaules, il doit réaliser un disque à la hauteur des attentes qui l’incombent, tout en restant fidèle à lui même. Le fait d’être seul pousse également Gims à se poser une question fatidique : « Dois-je continuer la musique bien que ma passion me dévore de l’intérieur ? ». Au vu de son troisième album tout récemment certifié triple disque de platine et de son concert au Stade de France annoncé pour la rentrée 2019, on a du mal à s’imaginer que Maitre Gims s’est un jour posé cette question. Et pourtant…
Pour que l’on puisse mieux rentrer dans l’album, Maitre Gims fait suivre l’intro du morceau Meutre par strangulation –également le premier single de Subliminal. Le morceau se dévoile comme une critique de la société. Gims y extériorise sa haine aussi bien sur le font que sur la forme. « Les p’tits ne parlent que de bif / Reportages sur la sère-mi s’regardent sur plasma HDMI », « Ton destin est sombre mon fils, car être un Noir en France c’est horrible / C’est un style de vie à haut risque ». Le morceau rappelle Noir . Néanmoins celui-ci possède une face cachée. En effet, dans ce morceau, Meugi souligne à plusieurs reprises le fait qu’il soit musulman et à quel point cela est important pour lui : « J’veux mourir un vendredi, à Médine ou à Taïf », « J’vais pas dormir sur le dos : le Diable est posé sur l’plafond ». Comme il le précise : « L’objectif n’a pas changé, p’tit récapitulatif : Vivre et mourir entre amis, vivre et mourir en qamis ».
➡Le doute instauré tout au long de l’album
Pourtant, au milieu de ces revendications et affirmations se cache une part de doute : « Comment être sûr d’entrer au Paradis / Quand on sait qu’Iblis faisait partie des gens bénis ? ». Malgré sa foi, ses objectifs sont compromis, car si Iblis (le diable en islam) est l’ennemi de Dieu et de ses croyants. Rien n’est garanti pour lui, qui a fait de sa profession une pratique interdite dans sa religion. De fait, la solution semble se trouver dans l’arrêt soudain de sa carrière. C’est à ce moment que commence J’me tire, une musique où Gims prend sa plume pour se faire le porte-parole de Lefa. En effet, ce dernier ayant quitté le monde de la musique brutalement et sans vraie explication devait avoir son morceau dans le premier album de son associé de toujours. On comprend alors, qu’encore une fois, ce sont des raisons religieuses qui sont à l’origine de ce départ.
Le message subliminal ici est que Gims parle très sûrement de lui après avoir sondé son esprit et du départ loin de la musique et des vices qui l’accompagnent : «J’suis en tournée tout le temps […] donc au bout d’un moment que ce soit dans la musique ou pour un autre taff, ou dans le sport, t’as envie de te tirer, t’as envie de te tirer. T’as envie de te poser un peu, t’as envie de retrouver les gens de ta famille, les gens que tu ne vois plus du tout. Parce que plus tu montes, plus tu grimpes, plus de l’autre côté tu tombes un peu, tu redescends, parce que ça tire des deux sens. Donc j’ai écris ce texte, j’ai chanté cette chanson pour ça. […] J’ai besoin de me retrouver un peu… ». L’autre côté ? C’est la descente aux enfers amorcée par l’autre Maitre Gims, celui qui est l’allégorie de la soif de gloire. Ce sont l’argent et le diable lui-même qui le retiennent dans le monde de la musique.
➡ Les 7 péchés capitaux subliminaux
Pour un musulman, ce qu’il y a de mauvais dans la musique est savamment expliqué dans l’album, mais encore une fois il faut prendre le temps de lire entre les lignes. Dans MPS une phrase particulière retient l’attention. A l’image de « Il est solitaire » en intro, il est scandé : « Fais-moi voir le colis ». Cette phrase est une référence à la scène final de Se7en de David Fincher . L’histoire tourne autour des sept péchés capitaux. Ces sept péchés qui mènent à d’autres péchés prennent place tour à tour dans le projet. Dès l’intro il met en exergue l’envie et la gourmandise : « La jalousie de l’Homme l’abîme, il désire ce qu’il n’aura pas / Il est plus noir que son ombre solitaire / Boire un lac d’or et d’argent ne dérangera jamais son ventre / Empoisonné par ce qu’il sème. » La colère, elle correspond à MPS.
L’acédie (ou paresse spirituelle) pourrait s’apparenter à l’épuisement. La luxure est personnifiée en Bella dans la track éponyme : « Mais quand je la vois danser le soir / J’aimerais devenir la chaise sur laquelle elle s’assoit ». L’orgueil est, selon Gims, ce qui anime le game : « Le game n’est qu’une course à l’orgueil qui divise / Les gens et nombreux finissent en béquilles ». Pour l’avarice, il serait plus correct de parler d’avidité. C’est l’avidité qui le poussera à courir après le score quitte à sacrifier sa vie de famille « J’me détruis, sacrifie tout mon temps et ma famille »
➡Conversation avec les anges de l’épaule
Kaaris disait : « En chacun de nous y’a un ange et un démon et leur voix se ressemblent » dans son morceau Les Oiseaux. C’est cet ange et ce démon qui conversent en plaidant chacun leurs causes à Maitre Gims tout au long du projet. Leurs voix se ressemblent et c’est en cela qu’il est difficile pour l’auditeur de comprendre la situation aux premières écoutes. Pourtant, les discours sont bien différents. On peut retrouver le discours du démon dans les morceaux où les phrases se réfèrent aux péchés capitaux. Les tubes de l’album sont sa zone de confort même si l’ange se permet d’y faire irruption de temps en temps. Comme si Maitre Gims était toujours pris par un moment de lucidité à chaque fois qu’il se laissait emporter par le démon. Comme à la fin du morceau Ça marche par exemple : « Foutez-moi la paix / J’ai pas la tête à faire la fête / J’ai dit foutez-moi la paix » étant répété plusieurs fois. Ou bien encore, le fameux : « Ma soif de gloire / M’a fait faire des choses qui contredisaient ma foi / J’suis dans le noir total » dans One shot.
Dans l’enchaînement Interlude et La chute on comprend que Maitre Gims est fatigué de lutter. Le moment du choix est proche. Ce dernier regrette tous les choix qu’il a pu faire précédemment : « Sans histoire, redevenir qui j’étais : moi / J’me détruis, sacrifie tout mon temps et ma famille / On m’chuchote que tu seras riche, p’tit à p’tit / J’réalise, j’réalise que le Diable est dans mon lit / Mes ambitions étaient nuisibles, la musique… » et compte coûte que coûte rejoindre Lefa dans le dîn (chez les musulmans c’est un comportement consistant à se soumettre à Dieu et à s’en remettre à lui) loin de la musique : « Perso moi j’vais rejoindre Abdelkarim / Dans un endroit plus tranquille / Ressasser tous mes pêchés, mes excès / Mes manquements dans mes obligations ». Mais la bataille n’est pas si simple et le troisième couplet du morceau laisse la parole au démon qui a fait une dernière offre à Maitre Gims en étant plus explicite qu’il ne l’a pu l’être auparavant : « Viens dans mes bras : t’auras tout ce que tu voudras / Ouvre les yeux, j’ai retiré le voile / Viens dans mes bras, viens dans mes bras ».
Un peu plus loin dans l’album c’est avec la track « Laisse tomber » qu’on comprend que Gims a déçu l’ange : « Confus tu me parles, je n’réponds pas/Mais je suis sûrement quelque part / « Confie toi » : j’te l’disais dès l’départ / Mais tu t’es détourné de moi ». Le climax de la longue méditation de Maitre Gims est le dernier morceau de l’album, « Changer » (qui en est le morceau le plus important selon lui). Gims répond directement aux phrases de l’ange de Laisse tomber et lui explique qu’il va changer de façon définitive : « Mais laisse-moi, j’peux tout t’expliquer / Des fois j’fais des choses que j’comprends pas / La nuit m’aide à méditer / C’est dans ces moments que j’me dis que j’vais changer / J’vais changer ».
➡L’ange n’a pas gagné la bataille finale
Le 20 mai 2013 ce morceau aurait pu sembler être le dernier de la carrière de Maitre Gims. C’était sans compter la réédition de Subliminal appelée « La face cachée » : « Zombie c’est la face cachée de “J’me tire”. Il y a 2 êtres en moi qui se livrent une bataille depuis des années. Il y a un côté qui veut repartir dans une vie simple et il y a Maître Gims qui lui aime ça et veut continuer. Donc au final, je suis comme un zombie, inanimé. Une sorte de personne bipolaire. Je pense qu’il y a plein d’artistes comme ça. A un certain niveau de succès, tu te perds, tu ne sais plus où donner de la tête. D’un côté ça marche mais de l’autre, ça marche un peu moins. Mais je préfère être comme ça qu’être un gars qui assume totalement son succès. C’est important d’être incohérent. Si tu n’es que dans le succès, c’est mort, tu deviens quelqu’un de détestable. J’en connais qui ne parle plus à leur propre frère, à leurs parents à cause de ça. ».
Et si le clip de Zombie pouvait faire penser à la mort définitive du démon, Maître Gims a rapidement répondu : « C’était Gandhi Djuna qui enterrait Maître Gims. Si tu remarques bien, à la fin du clip, il y a la main qui ressort, donc Maître Gims n’était pas vraiment mort. Il revient à la fin. Mais c’était ma manière de dire que je me mettais en retrait pendant un moment. A ce moment je me disais : c’est trop, je ne peux pas enchaîner, ça va exploser. Je décide de pas commencer la tournée alors que des gens l’ont lancée. On a annoncé Maître Gims à Bercy et j’ai tout de suite démenti car je n’étais pas prêt. »
Subliminal ne possédera pas de suite à proprement dit. Il est facile de connaître le dénouement de l’histoire avec l’album suivant de par son titre : Mon coeur avait raison . Il fait écho à la phrase dites par le démon dans La chute : « J’me suis très souvent demandé / Le Seigneur m’a-t-il détesté ? / Le Diable me disait : « T’inquiète pas, t’as rien fait / T’as laissé parler ton cœur, c’est parfait » » Comme le lui a suggéré le démon il laisse désormais parler son cœur. Comme on peut le voir sur la pochette du projet suivant, il s’est fait consumer par ses démons. Oui, le démon a gagné. Preuve en est que Maitre Gims fait encore de la musique à l’heure actuelle.
Très bon article, c’est vrai qu’on avait oublié au final qu’est-ce que tout cet album voulais dire, très bonne analyse !