Tout récemment, Complex a délivré un top 100 des meilleurs morceaux de Kanye West. Bien que l’article fortement conseillé soit animé de passion et de justesse, les cœurs de chacun ont des amours qui leur sont propres. Chagriné par l’absence de morceaux de Yeezus dans les premières places, il fallait bien rétablir une vérité qui n’est que subjective. Voici, pour vous servir, pour fêter les treize ans du premier album de Kanye West, ses treize meilleurs morceaux.
13 – Through The Wire
Ironiquement, c’est en frôlant la mort que le Kanye West que l’on connaît est né. Jadis homme de l’ombre du succès de The Blueprint, il est victime en 2003 d’un accident de voiture qui sera la rampe de lancement d’une carrière que rien n’a arrêté à ce jour. Au-delà d’être son premier hit, il est une véritable relique d’un homme encore traumatisé par son expérience quasi mortelle qu’il exorcise deux semaines plus tard en studio, sans même pouvoir articuler correctement, les séquelles de sa mâchoire brisée étant encore audibles. Sur un sample de Chaka Khan, Kanye délivre les prémices de son futur premier album The College Dropout, rempli de réussites qui ne seront pas toutes citées dans ce classement.
12 – All Of The Lights
Fruit de deux ans de travail, All Of The Lights détient la palme de la liste de featurings la plus insensée. Sur le papier, difficile d’imaginer comment cette palette d’artistes peut collaborer sur une seule et même piste. Kanye, en visionnaire, a su quintessencier toutes ces contributions afin de peindre la plus majestueuse de ses fresques : celle d’un a priori de la vie de célébrité biaisé. Rihanna invite toutes les lumières à se braquer sur elle, et pas seulement la lumière rouge de Roxanne. Ainsi, elle dépasse cette simple connotation sexuelle par le désir de démystifier les préjugés de la vie de célébrité. De cette réunion de superstars a jailli un des plus grands morceaux de la carrière de Kanye West.
11 – Ultralight Beam
Ultralight Beam, morceau d’introduction du « gospel album » The Life Of Pablo, est une porte grande ouverte sur la lumière et le divin. Kanye est à la tête de sa propre chorale de gospel, composée en plus de lui-même de Kelly Price, The-Dream, Kirk Franklin et enfin l’héritier de sa branche gospel rap Chance The Rapper. En plus de cette profusion d’artistes, Kanye West dispose de son propre chœur dont il se sert pour transcender son œuvre et percer les cieux pour atteindre le divin. Ensemble, ils servent, comme sur All Of The Lights, un but commun : ici, il s’agit de chanter la foi de Kanye.
10 – Welcome to Heartbreak
Difficile de comprendre la portée du morceau sans une brève remise en contexte. Le morceau est issu de 808s & Heartbreak, album sorti en 2008 après que Kanye West a dû encaisser coup sûr coup la rupture avec sa compagne de l’époque et la mort de sa mère, Donda. Kanye a torréfié ses épreuves en studio pour y créer un album de chant autotuné, largement inspiré du rap de Lil Wayne, dans lequel il remet sa vie entière en question.
Welcome to Heartbreak est une complainte d’un homme seul dans sa richesse et sa gloire. Kanye, déjà trentenaire, n’a alors pas de femme, pas d’enfants, plus de mère. Il est en décalage avec le reste de sa famille par sa richesse trop grande. Il est en décalage avec ses amis qui ont déjà conjoints et enfants alors que lui n’a que des possessions à faire valoir. Sur une instrumentale se déployant à partir d’une phrase mélodique au violoncelle très mélancolique, épaulé par son compagnon de dépression Kid Cudi au refrain, il signe un de ses morceaux les plus introspectifs.
9 – Devil In a New Dress
Au fur et à mesure que l’on avance dans ce top, vous allez vite le comprendre : Kanye West aime les femmes. Devil In A New Dress, paru sur My Beautiful Dark Twisted Fantasy en 2010 est une ode à la luxure, à cette femme en face de lui à la robe voluptueuse, au décolleté vertigineux, cette femme qui lui procure des désirs charnelles, cette femme qui lui prodigue des plaisirs charnels. Cette figure de tentation rappelle le serpent incitant Eve à croquer le fruit défendu dans la Genèse. Sur une production lisse, auxquelles les cordes ajoutent un côté céleste, Kanye confesse ses tentations et ses péchés. Puis il s’efface pour quelques riffs de guitare de Mike Dean en guise d’interlude avant que Rick Ross, dans les meilleures dispositions du monde, dans un fauteuil, ne sorte de sa boîte pour nous offrir le probable meilleur couplet de sa carrière.
8 – I Am God
Yeezus est le disque duquel surgissent tous les démons de Kanye West. Sur I Am God, assailli de toutes parts, il sombre, tel Venom, dans une colère noire, vengeresse. Se sentant impuissant face à tous ces maux qui le blessent, Kanye se protège et se mue en contempteur fou s’imaginant en un dieu à qui tout est dû. Les basses imposantes ont une rythmique très proche des battements de cœur ; on imagine alors le cœur de Kanye pomper un sang noir qui ne saura jamais diluer toute la haine dont il est gorgé. Le ton est froid, méthodique, comme si l’âme de Kanye s’était échappée pour appeler à l’aide de cris stridents dans l’outro du morceau. Le morceau est grand, noir, profond, blasphématoire à souhait, mégalomaniaque même dans le courroux.
7 – Gold Digger
Gold Digger est la plus belle vitrine pour les michetonneuses de l’histoire du rap. Accompagné du très complet et talentueux Jamie Foxx avec qui il avait déjà fait des étincelles sur le lumineux Slow Jamz, les deux comparses remettent le couvert un an plus tard en 2005 sur Late Registration, non pas pour conquérir une femme mais pour taquiner avec légèreté celles qui jouent de leurs atouts pour croquer les fortunes des hommes. Sur une instrumentale soul, ils rappent en l’honneur de ces femmes qu’ils ne rejettent pas autant qu’ils le prétendent : aussi vicieuses soient-elles, elles restent des créatures délicieuses à leur yeux, paradoxe que Kanye met en parallèle en interprétant deux personnages dans son premier couplet.
6 – Flashing Lights
Décidément, Kanye West aime les instruments à cordes. Sur Graduation, troisième album de Kanye West paru en 2007, il s’écartée des samples soul, funk et R&B pour se rapprocher de la musique électronique comme en témoigne l’imposant Stronger. Mais ici, il est question de Flashing Lights, sans contexte le morceau le plus réussi de ce premier disque s’aventurant au-delà de sa zone de confort. Violons et sonorités électroniques se succèdent pour une instrumentale aussi versatile que les relations qu’entretient Kanye avec les femmes et qu’il aborde dans le morceau. La voix claire de Dwele soutenue par les cordes se hisse en point culminant avant que les « flashing… lights ! » de la voix de synthèse restituent ses droits à l’électronique. On peut seulement regretter que Kanye et la femme qu’il évoque ne se mêlent pas aussi bien que l’acoustique et l’électronique de l’instrumentale.
5 – Highlights
Dès que le mot lights figure dans le titre d’un morceau de Kanye West, il devient instantanément un classique. Kanye aime la lumière, on le sait. Sur Highlights, morceau issu de son dernier disque en date The Life Of Pablo, Kanye se célèbre avec toute la mégalomanie, l’arrogance et le mépris qu’on lui connaît. D’abord Young Thug fredonne la mise en bouche de sa voix de caméléon Puis, Kanye West sublime l’egotrip dans son couplet qui ferait pâlir la vanité elle-même, rappant sur des claquements de doigts nonchalants – avant que l’outro chantée par la voix angevine de The-Dream n’absolve aussitôt le déballage de l’égotisme exponentiel de Kanye – tout s’emboîte, tout est parfait.
4 – New Slaves
Yeezus rompt abruptement la dynamique de son disque précédent, My Beautiful Dark Twisted Fantasy, à l’empreinte chimérique, et opère un retour à une réalité froide et âpre. New Slaves vilipende le matérialisme, le racisme et l’esclavagisme qui tirent les ficelles du monde. Peu importe notre niveau de liberté, nous sommes tous esclaves de quelque chose, de quelqu’un. Loin de l’exprimer sans conviction, il débite un deuxième couplet névrosé sur une instrumentale basée autour d’une boucle mélodique signée Mike Dean détournée à l’infini. Cette phrase mélodique est à la fois immédiatement entêtante et complètement insupportable et nous plonge dans l’esprit déchiré de Kanye West qui se délite face aux souffrances de ce monde.
3 – Jesus Walks
Bien avant Chance The Rapper, un autre Chicagoan s’adonnait déjà à des morceaux de rap religieux. En 2004, sur The College Dropout paraît Jesus Walks à une époque où mêler religion et rap, musique de péchés, est très loin de faire l’unanimité. Cela n’a pas pourtant pas empêché Kanye West de le faire pour son premier album, avec un succès sans équivoque : le morceau est un hit et lui permettra de remporter un an plus tard le Grammy Award du meilleur morceau rap.
Le rythme apporté par le sample de Walk With Me interprété par un chœur de repentis de Curtis Lundy couplé aux couplets de Kanye illustrent à la perfection le mouvement de marche des hommes d’un pas lourd mais fier, la tête haute. Au-delà, il laisse entrevoir le divin à chacun d’entre nous, croyants ou non, par son atmosphère rappelant les plus beaux chœurs de gospel.
2 – Runaway
Runaway est sans aucun doute la plus grande expression de la géniale mégalomanie de Kanye West. Runaway transcende le statut de simple morceau de rap, de simple morceau de musique. Runaway est une tragédie grecque digne de Sophocle ou Euripide, Kanye West et Pusha-T en sont les acteurs. Habités par la luxure qui agit comme des œillères, ils s’obstinent à occulter l’amour de toutes leurs relations. Les chœurs orchestrés par Kanye ne sont autres que l’instrumentale qui, après les avoir lancés, se mue afin d’accompagner les artistes dans leur jeu.
Toutefois, la tragédie grecque n’est pas accomplie sans catharsis. Elle fait irruption lors de l’outro, après que les acteurs se sont effacés de la scène. Une voix vocodée prend leur relais et débite d’inintelligibles paroles pendant près de cinq minutes qui laissent leur mélodie s’installer au premier plan. En résulte une musique à la fois viscérale et lancinante, poignante.
1 – Hold My Liquor
Les riffs de guitare électrique lascifs trompent l’oreille. Le morceau faussement apaisant prend aux tripes l’auditeur : Chief Keef sous autotune fredonne le refrain d’une voix qui semble obstruée par les regrets tandis que Kanye semble pour la première fois, sur Yeezus, animé par d’autres sentiments que la rage. Pourtant, des sirènes retentissent durant son unique couplet, synonymes de mauvais présages.
Profitons d’être arrivé au terme de ce classement pour approfondir ce morceau tout simplement incroyable qu’est Hold My Liquor. Kanye a été plébiscité par le passé pour sa capacité à faire collaborer de nombreux artistes issus d’horizons musicaux différents sur ses précédents albums, notamment My Beautiful Dark Twisted Fantasy où il pousse cette qualité à son paroxysme. Néanmoins, son plus grand coup d’éclat dans cette pratique réside bien dans Yeezus, où il a fait d’un featuring entre un (t)rappeur de dix-huit ans et un chanteur de folk, en la personne de Justin Vernon, la bande originale de la mélancolie. Le morceau dégage dans sa pudeur une incroyable puissance et inégalée dans sa discographie.