Il existe indiscutablement une sorte de bipartisme dans le rap français, entre la scène marseillaise et son homologue parisienne. De son côté, la région alsacienne a vu un nombre croissant de jeunes rappeurs émerger ces dernières années, faisant d’elle une véritable pouponnière dans l’hexagone. Il est en revanche difficile de parler d’une scène alsacienne à part entière, en raison d’une absence de véritable identité dans le rap, au contraire de Marseille et Paris. Les rappeurs alsaciens partent bien souvent à Paris afin de s’imprégner d’une certaine culture, moins développée dans leur région. Les Alsaciens dans le rap n’ont pas tous le même style, mais séduisent par le caractère unique de leur art. Loin des clichés, le rappeur alsacien n’a ni accent allemand, ni de liens familiaux avec M. Pokora. En revanche, sa visibilité s’étend de plus en plus souvent à l’échelle nationale…
➡ New African Poets, les pionniers du rap alsacien débarquent de Neuhof
Les New African Poets furent les premiers à poser une pierre dans le rap alsacien. C’est l’histoire de six potes originaires du Neuhof, quartier strasbourgeois, qui écument les tremplins rap au début des années 1990, bercés par le rap venu d’outre-Atlantique, notamment celui de N.W.A. Sous l’impulsion de son leader, Abd-Al-Malik, le groupe réalise une carrière respectable, avec à son actif quatre projets dont le très bon La fin du monde et des collaborations avec Wallen, compagne du leader, Shurik’N ou Rockin’ Squat – qui n’est pas étranger au succès du groupe – pour ne citer qu’eux… Leurs textes engagés, parfois mélancoliques et une plume soignée les caractérisent, tout comme les hommages à leur quartier. Si le groupe a eu une popularité qui n’a jamais su vraiment aller au-delà du rap, Abd-Al-Malik l’a eu, grâce à sa carrière solo et à d’autres activités. En effet, son goût pour la prose lui a permis de s’imposer plusieurs fois aux Victoires de la musique, mais aussi d’écrire des livres comme l’excellent Qu’Allah bénisse la France, qu’il a lui-même adapté au cinéma.
➡ Siboy, un mulhousien cagoulé, pétri de talent et promis à une grande carrière
Siboy n’est pas né en Alsace, mais a passé son adolescence dans cette région, à Mulhouse pour être précis, après de multiples galères lors de son enfance, à cause de la guerre sévissant en République Démocratique du Congo, son pays d’origine. A l’origine beatmaker, il se met au rap en même qu’il enfile sa cagoule, après avoir fait des beats pour Seth Gueko. Sa carrière, il la doit à sa grande maîtrise musicale mais également à Booba. Le duc de Boulogne le repère et le fait signer chez 92i en 2015. Premier fait d’arme, le featuring Zer présent sur Nero Nemesis. Son morceau Enemy fait ensuite partie de la BO du film Divines, énormément récompensé. Mais il affirme sa trap acérée sur une multitude de morceaux, notamment en 2015, avant de connaître un incroyable succès critique et même commercial en 2017, obtenant un disque d’or pour Spécial. Cet album, que nous avons par ailleurs élu album de l’année 2017, montre son aisance dans la trap, mais arrive aussi à intégrer de l’afro-trap avec Mobali, tout en se muant parfois en chanteur dans certains tracks. Si Damso est étiqueté comme le meneur évident de l’écurie de Booba, il est certain que Siboy est bien plus qu’un second couteau, et est promis à une grande carrière.
➡ MRC, du centre de formation au succès musical et aux millions de vues
Ce rappeur a un parcours clairement atypique mais a quand même réussi à percer. Pensionnaire du centre de formation du Racing Club Strasbourg, il rêve à l’époque de devenir professionnel dans son sport. Malheureusement, des blessures l’empêchent d’accéder à ce niveau et il doit « se contenter » de jouer avec l’équipe réserve de ce club. C’est à ce moment-là qu’il commence à rapper, notamment sur les réseaux sociaux, où il envoyait dans un premier temps des mini-freestyles de quinze secondes. La mayonnaise prend avec le public, une fanbase se développe et sort ses premiers sons. Plusieurs de ses clips dépassent le million de vues sur Youtube, il est écouté aux quatre coins de la France et il finit par sortir un projet, intitulé MRC. Sofiane l’a convié à un épisode de Rentre dans le cercle, soulignant l’engouement qu’il suscite. Il développe un rap parfois autotuné, parfois simplement chanté, comme dans le son A l’aise, sorti il y a quelques jours de cela, faisant parti d’un futur projet. Il a donc su tirer profit au maximum de l’influence que peut exercer les réseaux sociaux sur un public potentiel.
➡ Ash Kidd, un esthète du rap épuré en provenance de Strasbourg
Le 9 mars dernier sortait STEREOTYPE, le quatrième projet d’Ash Kidd. Conservant les caractéristiques de son rap mêlant mélancolie, mélodie et douceur, le résultat final donne quelque chose d’épuré, sensation que nous donne souvent les sons du strasbourgeois, très actif depuis un an. En effet, c’est son deuxième projet depuis l’année passée, le premier étant le très bon Mila 809. Cette succession de projets signale un tournant dans la carrière d’Ash Kidd, qui était beaucoup moins actif les années précédentes. Entré dans le milieu avec Chillance Avenue en 2014, il commence à faire beaucoup parler de lui en 2015 avec Cruise. Indépendant depuis le début, il a néanmoins collaboré avec des poids lourds comme Twinsmatic ou encore Dany Synthé sur Lolita. Claude Bourgeois (son patronyme) reste fidèle à lui même et à sa rue, tout en y ajoutant une atmosphère romantique et envoûtante. Inévitablement un esthète du rap actuel, qui s’éloigne des codes présents dans le hip-hop francophone.