A bien des égards, le parcours de Kaaris est inhabituel dans le paysage du rap hexagonal. De son embryon de carrière sous le pseudonyme de Fresh au début des années 2000 à son retour sur 43ème Bima en 2007, le rappeur de Rougemont a radicalement modifié sa manière de poser sa voix pour en faire ressortir la gravité et assimilé presque naturellement l’influence south qui bat encore son plein en France. Comme Booba, il saura mettre à profit cette compréhension instinctive de la musicalité en vogue outre-Atlantique et surtout de sa diction déjà lente pour s’adapter à la cadence hachurée de la trap. Fait plus surprenant, Kaaris est (en-dehors de Rohff, qui n’a jamais été particulièrement proche du rappeur de Boulogne) le premier artiste à avoir conservé une importance commerciale significative après s’être mis Booba à dos, à une période où ce dernier dispose d’une tribune élargie à l’ensemble des auditeurs francophones. De nombreuses raisons peuvent expliquer cette longévité, de la sortie d’Or Noir qui a rapidement été propulsé au rang de classique des années 2010 par les auditeurs à la prise en compte à partir de 2016 des équivalents streaming dans le calcul des ventes fusionnées par le Syndicat national de l’édition phonographique. Pour ce qui est de son rapport au public, Kaaris est bien servi par une présence et une identité qui lui sont bien propres et par une maîtrise des réseaux sociaux lui permettant de résister aux assauts de son concurrent. Plus que tout cependant, c’est sa capacité à se remettre en cause et à s’ouvrir à la critique qui fait de Kaaris un artiste solide sur ses appuis. Après le succès d’Or Noir, il dévoile le 3 mars 2014 une réédition unanimement saluée, qui soulève dans le même temps les doutes du public sur sa capacité à se renouveler. Il faut dire que les 11 titres qui viennent s’ajouter à la tracklist déjà bien garnie d’Or Noir sont sensiblement dans la même veine que les 17 premiers, une proximité musicale qu’on aurait du mal à reprocher à une réédition mais qui aurait pu mettre un terme anticipé à la carrière du rappeur si elle s’était prolongée au-delà. Cette impression se trouve d’ailleurs renforcée par la sortie fin septembre 2014 de Se-vrak, certains voient déjà Kaaris s’enfoncer dans ses propres clichés… Une impression vite corrigée par plusieurs extraits de Le bruit de mon âme, qui est à ce jour l’album dans lequel le rappeur a maîtrisé son ouverture musicale de la manière la plus optimale sans vraiment dévier de l’ADN de ses précédents projets. Contrepoids de cette ouverture, le rappeur tient à rassurer la part de son public attachée à la facette hardcore de sa production musicale avec la mixtape Double Fuck, un ensemble décousu de morceaux dans lequel il distille ses influences très américaines. Le succès modéré de Double Fuck associé à la première semaine de Le bruit de mon âme, globalement encourageante mais légèrement inférieure à celle d’Or Noir, projette alors l’image d’un Kaaris affaibli commercialement par l’inimitié de Booba et ses propres déboires musicaux. Qu’à cela ne tienne, le rappeur du 93 réinvente entièrement son image publique pour préparer la sortie d’Okou Gnakouri en novembre 2016. Fraîchement père, il se couvre d’or et accentue l’importance du surnom « Zango le Dozo » dans les extraits de l’album. Cette prise de distances lui permet également de devenir un fervent utilisateur du second degré sur les réseaux sociaux et dans la musique. A la rentrée, il sort son Freestyle Chicha sur une Face B de Minnesota de Lil Yachty, un titre comique aux allures de comptine qui va braquer les projecteurs sur le premier extrait d’Okou Gnakouri, Blow… A son avantage ! Il communiquera par la suite au travers du succès des singles de l’album, une première en 2016 qui deviendra un standard les années suivantes, une manière aussi de contrer la dynamique décroissante dans laquelle il s’était pris les pieds. Le grand défaut d’Okou Gnakouri, son manque de cohérence, sera manifestement l’une des préoccupations principales qui présideront à la conception de Dozo. A l’exception de quelques singles et en particulier de Diarabi, ce nouvel opus du sevranais est globalement mieux écrit que le précédent et plus cohérent dans les sonorités adoptées. Les critiques d’un public malgré tout très attaché au Kaaris d’Or Noir se font ressentir de manière plus pressante depuis fin 2017. Le rappeur s’est alors attelé à prouver sa capacité à manier tour à tour les musicalités plus chantantes initiées sur Le bruit de mon âme et développées à partir d’Okou Gnakouri et l’ADN hardcore de ses premiers succès. Samat, Dorsaux, Mayo et bien sûr son entrée magistrale sur 93 Empire, c’est à l’extérieur que Kaaris porte le mieux ses couleurs. Malgré un certain succès, les trois derniers titres solos du rappeur G.O.K.O.U, Livraison et Débrouillard sont loin d’avoir fait taire les inquiétudes de la part des auditeurs qu’il souhaitait rassurer. Il décide donc de repousser la sortie d’Or Noir 3, un projet dont le titre est porteur de bon nombre de promesses, au 25 janvier 2019. Une nouvelle fois, Kaaris démontre sa rare capacité d’écoute du public et sa vivacité d’esprit et artistique… Deux qualités qui lui promettent une carrière certainement aussi longue qu’il le souhaitera.
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