Rap et sport ont toujours fait bon ménage, une tendance souvent attribuée au fait que ce sont les deux moyens les plus accessibles de court-circuiter l’ascenseur social. Surtout, les deux activités présentent la caractéristique commune d’être peu coûteuses à pratiquer, du moins avant d’atteindre un stade proche de la professionnalisation. Aux Etats-Unis, cette proximité a donné naissance à un diction populaire selon lequel « les basketteurs veulent être des rappeurs et les rappeurs veulent être des basketteurs ». A vrai dire, l’adage colle à la réalité quand Shaquille O’Neal sort entre 1993 et 1998 quatre albums studios qui recueilleront un accueil critique mitigé mais un succès commercial incontestable, ou encore quand notre Tony Parker s’essaye à son tour au rap… Avec plus ou moins de succès ! Si aucun joueur hexagonal n’a jamais encore osé franchir la ligne qui le séparait des studios d’enregistrement (sur un titre solo à proprement parler, cependant certains comme Karim Benzema et Benjamin Mendy ne se sont pas fait prier pour répondre à des invitations) si l’on fait abstraction d’une aventure peu glorieuse de Youri Djorkaeff, Rohff a récemment déclaré sur RMC Sport avoir écrit un couplet pour Antoine Griezmann…
➡ La popularité croissante des sports de combat et arts martiaux dans les quartiers populaires
Là où football et basket semblent occuper une position centrale dans la construction de la culture rap aux Etats-Unis et en Europe, la fascination pour les sports de combat a elle suivi une évolution perceptible à vue d’oeil. Dans les années 60 la boxe anglaise est incontournable, portée par l’icône Mohamed Ali qui trouve un écho dans les quartiers populaires autant pour ses capacités sportives que pour son statut de porte parole de la cause noire. Initialement pratiquée par la haute société, la boxe anglaise s’est peu à peu convertie en sport de prolétaire par excellence. A la fin des années 90, un tournant s’opère en France avec l’apparition de la boxe Thaïlandaise. Destination privilégiés des nouveaux barons de la drogue, la Thaïlande devient rapidement un véritable paradis du banlieusard français. La découverte du Muay Thaï s’y fait d’autant plus facilement que les clubs d’entrainement acceptent des nouveaux élèves, même étrangers, sans restrictions majeures. Cette ouverture relative permettra à de nombreux jeunes de se former aux sports de combat et de se lancer dans la compétition ou d’ouvrir leurs propres salles d’entraînement dans l’hexagone…
Cette période du Muay Thaï roi atteint son paroxysme en 2005 avec la sortie de la série de films d’arts martiaux Ong-Bak, pour laquelle la Sexion d’Assaut réalisera d’ailleurs une deuxième version du hit T’es bête ou quoi. Au même moment, le MMA (pour Mixed Martial Art) commence à faire parler de lui. Cette discipline de combat libre développée au sein de l’UFC (Ultimate Fighting Championship) dans le courant des années 1990 est plus souvent sous le feu des projecteurs à cause des polémiques à répétition dont elle est le sujet que pour les performances sportives de ses pratiquants. Pourtant, après une dizaine d’années, elle finit par transmettre sa fièvre au Vieux Continent, où des clubs se structurent rapidement, puis des compétitions. Seule exception, la France, où la puissante Fédération Française de Judo parvient à les faire interdire. Malgré cette interdiction, la pratique du MMA est de plus en plus courante dans l’hexagone pour l’entrainement, et un certain nombre de combattants français sillonnent les combats européens, parfois jusqu’à l’UFC pour les plus talentueux. Cette nouvelle popularité vaut au MMA bon nombre de références dans les textes et clips de rap, qui ne délaissent pas pour autant la boxe anglaise ou thaïlandaise.
➡ Une popularité qui vaudra aux textes puis aux clips de rap d’être parsemés de références en tout genre
Parmi ces références, le morceau Boxe avec les mots d’Arsenik est particulièrement marquant en cela qu’il est construit sur le modèle d’un combat de boxe. Chaque couplet commence par une sonnerie de cloche, signal de début d’une déferlante de punchlines à couper le souffle, comme si Calbo et Lino travaillaient leur adversaire au corps. Une fois les couplets terminés, la cloche retentit à nouveau pour laisser place au refrain. A noter également, le fameux « tch-tch » que Lino place à chaque fin de phrase, comme un combattant qui expire pour libérer toute la puissance de son coup. Boxe avec les mots est loin d’être le seul morceau marquant du registre, il faut aussi mentionner Patate de Forain de Seth Gueko et Sefyu. Bien que moins travaillé en termes d’ambiance que le morceau d’Arsenik, le morceau s’apparente plus à un combat de rue qu’à un combat de boxe dans les règles de l’art. Au-delà de la chanson, les scènes représentant Nessbeal, Lino, Alonzo, LIM, Sinik ou encore Alpha 5.20 s’entraîner au shadowboxing avec la caméra ont durablement marqué les auditeurs.
Récemment, c’est encore les clips qui ont été envahis de mouvements hérités des sports de combat. En premier lieu, celui de Vrai du groupe 40000 Gang et de Booba qui met en avant le statut de soldat revendiqué par les membres du groupes en insérant des séances de combat et d’entrainement. Dans Savastano de Sofiane, l’auditeur est également happé dans l’ambiance d’un entrainement de boxe thaïlandaise. Enfin, Kery James a décidé dans Mouhammad Alix de dédier son refrain au plus célèbre des boxeurs en reprenant son adage « vole comme un papillon, pique comme une abeille ». Mieux, Kaaris dédie l’introduction de sa mixtape Z.E.R.O. au Ruam Muay, danse rituelle des combattants, en samplant les trompettes qui l’accompagnent. Aux Etats-Unis, on pourrait évoquer le clip de Fight Night de Migos qui met en scène une confrontation entre deux boxeuses, ou encore Guts Over Fear, un titre dans lequel Eminem et Sia retracent le parcours difficile d’un boxeur amateur dont le combat est le dernier espoir.
➡ Rap et sports de combat, des disciplines reliées par un grand nombre de points communs
Plus encore que ces références, rap et sports de combat ne sont pas sans présente des similitudes, en en particulier dans l’exercice du battle rap qui se pratique à deux face à un public et qui est tranché par un arbitre. Cette ressemblance est d’autant plus flagrante que, généralement, ces battles se déroulent en plusieurs rounds et qu’ils sont parfois récompensés par un titre. On y retrouve aussi la valeur du respect de l’adversaire, après chaque battles les deux rappeurs se serrent la main en signe de respect, comme lorsque après un combat. Bien sûr, il existe quelques exceptions à cette règle comme on a pu le constater récemment avec le combat qui opposait Connor McGregor à Khabib Nurmagomedov et qui a fini en bagarre générale quand le combattant daghestanais a sauté dans la foule pour s’en prendre au camp de son adversaire. Cette altercation qui a été un temps fort du combat a fait le tour des médias et a d’ailleurs inspiré quelques rappeurs, notamment Sinik qui a porté son choix dessus pour illustrer sa collaboration avec Rémy sur Enfants terribles.
Nous avons effleuré le sujet précédemment avec Lino mais les gimmicks jouent aussi leur rôle à ce niveau, le « ish-ish » de Sofiane qui s’accompagne visuellement de coups de coude en est un très bon exemple. Placé en début de couplet, il annonce une véritable avalanche de coups ; il peut aussi renforcer l’effet décisif d’une punchline (encore un terme emprunté au vocabulaire des sports de combat). Ce cri est aussi caractéristique des sports de combat, où il est utilisé pour concentrer sa force dans le coup porté. L’exemple le plus explicite est celui du taekwondo, où les combattants crient à chaque coup. Traditionnellement, le cri peut être utilisé pour déstabiliser l’adversaire en criant sans porter de coup ou en portant un coup sans crier. Autre point commun, cette fois plus avec les sports de combat qu’avec les arts martiaux, rappeurs comme combattants tendant à développer un ego surdimensionné. Des conférences de presse à la popularité du registre de l’egotrip, ces provocations résultent autant d’une volonté de créer un engouement autour de deux disciplines reliées au monde de l’entertainment que de la place centrale qui est accordée à leurs pratiquants.
➡ Cinéma, boxe et rap : le trio qui a fini par envahir les écrans de tous les cinémas du monde
La popularité croissante du rap et des sports de combat ainsi que les ressorts visuels de ces deux disciplines leur ont valu une place de choix au grand écran, tant pour des biopics que des fictions. Pour ce qui est des biopics, on retient en particulier Ali de Michael Mann où la légende est incarnée par Will Smith ou encore le film The Fighter retraçant le parcours du boxeur Micky Ward, interprété par Mark Walhberg, sans oublier Raging Bull, qui raconte la vie de Ray La Motta interprété par Robert De Niro. Pour ce qui est du rap, quelques biopics ont retracé les parcours mouvementés de quelques unes des icônes du genre, de Notorious BIG à 50 Cent en passant plus récemment par N.W.A et Tupac. Les deux disciplines finissent par se rejoindre avec la série Rocky, inspirée du personnage Chuck Wepner et de son combat contre Mohamed Ali en 1975. Le rap finit par occuper une place importante dans le spin-off, Creed, qui amène avec lui un nouvel environnement tourné vers la communauté et la culture afro-américaines.
En effet, on y entend à de nombreuses reprises du rap en bande originale et lorsque le personnage de Creed fait son entrée pour le combat final, Hail Mary de Tupac retentit… Sans oublier les nombreuses références à la bike life de Philadelphie et donc à la place prépondérante des morceaux de Meek Mill, fervent adepte de ce style de vie. Petite anecdote, pour le film de boxe La Rage Au Ventre, Southpaw en version originale, le premier rôle devait être attribué à Eminem mais le rappeur n’a finalement pas accepté la proposition. En contrepartie, on peut entendre un morceau inédit dans la bande originale. Justement en parlant du rappeur de Détroit, comment ne pas citer 8 Miles, fortement inspiré de la vie du rappeur Eminem ? Ce dernier y interprète d’ailleurs le rôle principal, ce qui contribue grandement à mettre la lumière sur la culture des battles… Plus éloigné du monde de la boxe, Get Rich Or Die Tryin est basé les premières années de la carrière de 50 Cent. Hustle and Flow a lui montré sous un nouveau jour la culture rap du sud des Etats-Unis et particulièrement de Memphis. Ce que tous ces films ont en commun, c’est bien sûr l’envie de réussir grâce à sa passion, quitte à livrer des combats à plusieurs niveaux pour y parvenir.
➡ Les relations tumultueuses entre le monde du rap et celui des sports de combat
Comme nous venons de le voir, l’univers des sports de combat et celui du rap sont intimement liés, un lien qui n’est pas sans avoir influencé les relations entre artistes et sportifs de haut niveau. La proximité des milieux sociaux dont ces derniers sont souvent issus agit comme un facteur de proximité entre eux. L’exemple le plus parlant de cette proximité est celui de 50 Cent et du boxeur Floyd Mayweather. Des enfances difficiles et surtout une soif de victoire difficile à épancher n’ont pas tardé à rapprocher la tête d’affiche du gangsta rap et le boxeur le plus célèbre au monde… Pour un temps. Désireux de se tourner vers le secteur lucratif de l’organisation de combats, 50 Cent a proposé à Mayweather de s’associer à lui pour la création d’une société de promotion. Problème, le projet tombe au point mort quand le boxeur est enfermé 90 jours pour avoir frappé sa compagne un an auparavant. A la sortie de Mayweather, la société ne sera pas créée et les deux protagonistes s’accuseront mutuellement d’avoir dépensé en voitures et bijoux les deux millions de dollars nécessaires à sa constitution… La guerre ouverte entre les deux géants de l’entertainment laissera quelques épisodes mémorables pour la postérité d’internet.
La France a aussi son clash national entre un rappeur et un boxeur, à savoir le boxeur thaï Patrice Quarteron et Booba. Comme pour 50 Cent et Mayweather, les deux belligérants n’avaient pas entamé leur relation du mauvais pied, le premier ayant même décidé de prendre parti pour le second lors de tensions avec le marocain Badr Hari soutenu par La Fouine. La présence de Quarteron à un passage de Kaaris sur le plateau de l’émission Planète Rap conduira à une réponse largement inspirée du mode de communication de 50 Cent sur Instagram. Quarteron ayant utilisé l’exposition apportée par le clash pour promouvoir son combat contre le britannique Daniel Sam, Booba s’empressera de dédier un titre à ce dernier pour célébrer sa victoire. Ce dernier ne se laissera pas abattre et poursuivra son travail de sape sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision avec à la clé une poignée de moments mythiques. Entre temps, l’attention de Booba a fini par se reporter sur Kaaris, avec comme visée un combat libre dans un octogone qui suscite depuis quelques semaines l’intérêt des internautes…
Nous avons donc vu que les sports de combat et le rap sont deux domaines qui sont très proches de par leurs acteurs, qui sont souvent issus du même milieu, mais aussi par leurs similitudes sur certains aspects de leurs disciplines sans oublier le fait que ces deux univers attirent sur eux les projecteurs grâce à leurs histoires uniques. Cette relation entre le rap et les sports de combat va maintenant prendre une autre dimension puisqu’il semblerait que nous allions assister cette année au premier combat entre deux rappeurs. Dans Xerfi Canal, le rédacteur en chef de la Revue française de gestion Jean-Philippe Denis a d’ailleurs qualifié ce combat d’évènement majeur en matière de stratégie économique…