En 2009, le fondateur de Techdirt Mike Masnik énonçait devant l’assistance du Midem (Marché international de l’édition musicale) son équation du marketing musical en analysant la carrière de Trent Reznor, chanteur du groupe de métal américain Nine Inch Nails. « CwF + RtB = $ », c’est-à-dire que « Connecting with Fans » (trouver un public, mais aussi créer une relation avec lui) et « Providing a Reason to Buy » (donner une raison d’acheter) donne lieu à un certain succès commercial à l’échelle de l’artiste. Le point clé de cette équation, c’est le marketing relationnel, la capacité d’étendre l’univers musical de l’artiste à sa manière de communiquer auprès du public et de créer une impression de proximité. La deuxième moitié des années 2010, du fait de sa situation au confluent de l’explosion de la production de données au niveau mondial (les projections indiquent une multiplication par 20 de l’univers numérique entre 2015 et 2025), de la circulation de données (multiplication par 45 du volume des échanges transfrontaliers de données entre 2005 et 2014), mais aussi de la diversification en éventail des réseaux sociaux et de la révolution des usages introduite par la popularité grandissante des plateformes de streaming, a offert aux professionnels du secteur une infinité de stratégies potentielles. Les musiques urbaines, devenues commercialement et culturellement dominantes ont été l’un des terrains d’expérimentation les plus fertiles de ces nouveaux horizon. Parmi les artistes clés de cette tendance, Jul s’est distingué par la spontanéité de sa communication, et paradoxalement par son aspect extrêmement novateur. La capacité instinctive du rappeur marseillais à créer un lien privilégié avec son public l’a placé dans une situation idéale pour expérimenter des stratégies marketing inédites, tant et si bien qu’il est parvenu à préfigurer un bon nombre de nouveautés du secteur…
La sincérité et le rap français : une grande histoire d’amour !
➡️ Création participative, ou comment mettre en place une expérience musicale vraiment immersive
L’immersion est devenu le maître-mot de la communication d’un artiste. Il s’agit de créer un univers englobant dépassant le simple cadre de la musique, une manière de prolonger l’expérience de l’auditeur au-delà de l’écoute. L’outil tout désigné de ce virage est le marketing participatif, un ensemble de techniques dont l’objectif est d’impliquer le consommateur dans la définition et la diffusion de l’offre (Ronan Divard). L’un des exemples les plus parlants d’emploi du marketing participatif par une tête d’affiche du rap français est le fameux « marketing du mystère » de Damso. De l’annonce de la sortie de son album Lithopédion cachée dans une interview à l’incertitude qui entoure la sortie de la mixtape QALF, le bruxellois est parvenu à pousser son public à chercher des pistes et des indices derrière chaque ligne de ses textes, et à décrypter chacun de ses posts Instagram à la loupe. Maintenu dans cette atmosphère la la limite du jeu de pistes, les auditeurs sont finalement amenés à créer eux-mêmes l’actualité de Damso, en particulier sur les réseaux sociaux où la moindre parcelle d’information dispose d’un potentiel viral presque illimité, parfois même quand elle ne repose que sur des fondements douteux ou carrément erronés. Sur ce terrain, Jul est à son avantage du fait de sa maîtrise instinctive des médias sociaux et de sa capacité à susciter la sympathie du public. Début 2016, le rappeur décide de montrer sa manière de travailler et de créer de la musique. Pour ce faire, il a recours à Périscope, l’application qui popularise les vidéos en direct et qui est encore au pinacle de sa gloire, et diffuse l’intégralité de sa séance studio. Mieux, il interagit avec les auditeurs qui participent directement à la création du morceau par ce biais… Le titre, intitulé En live de Périscope, est mis en ligne quelques heures plus tard.
➡️ Les sorties échelonnées, préfiguration du bouleversement et de l’hybridation des formats de projets
L’actualité récente du rap français le prouve, les albums ouverts et plus généralement l’hybridation des formats de sortie sont l’un des terrains d’action principaux du marketing musical. C’est ainsi que Niska, récemment passé au-dessus de la barre des 475.000 ventes avec son dernier album en date Commando, vient d’y intégrer un nouveau titre inédit intitulé W.L.G. Une manière efficace de relancer les ventes de son projet pour accélérer l’obtention du disque de diamant. De son côté, Maître Gims, qui avait annoncé que son album Ceinture Noire serait amené à évoluer au cours du temps, a finalement préféré le rééditer en y ajoutant quatre titres. Le procédé n’a rien de nouveau, il avait notamment été expérimenté fin 2016 par Kanye West avec The Life of Pablo et début 2017 par Future avec FUTURE et HNDRXX. Avant même que Kanye s’y essaye, un certain Jul expérimentait déjà la possibilité d’échelonner une sortie d’album avec son premier Album Gratuit en avril 2016… En décidant de sortir un titre par jour, le rappeur a réussi à faire de la sortie d’une simple mixtape un véritable évènement étalé dans le temps et donc susceptible de mobiliser durablement le public ! Le procédé n’est pas sans rappeler celui employé par Denzel Curry, qui a réparti avec moins de succès la sortie de son album TA13OO sur trois jours (erreur stratégique, en sortant les trois parties du projet entre mercredi et vendredi, le rappeur a exclu ses deux premières journées d’exploitation du score de l’album en première semaine).
➡️ Messaging, vers une nouvelle ère de proximité dans la relation entre l’artiste et son public ?
Le messaging, c’est-à-dire la communication directe avec le consommateur au travers d’applications de messagerie comme WhatsApp et Messenger, est souvent désigné comme l’une des évolutions majeures du marketing ayant pris place dans la seconde moitié des années 2010. En 2018, ces applications cumulent plus de 3,5 milliards d’inscrits, soit l’équivalent de 90% des internautes, un chiffre qui n’a pas manqué d’attirer l’attention de marques dont la stratégies a toujours été d’être là où le consommateur était. Le facteur clé de l’exploitation du potentiel de ces applications est l’agent conversationnel, plus connu sous l’appellation de chatbot. Cette technologie développée à la fin des années 1960 a été associée au traitement automatique du langage naturel pour être capable de traiter des échanges de plus en plus complexes. Le potentiel des chatbots s’est révélé extrêmement élevé pour les entreprises de vente, qui en ont fait un outil de contact privilégié avec le client, mais aussi pour certains artistes, qui y ont vu un mode de diffusion de leur vision plus direct et donc moins sujet à la déformation que les autres. C’est ainsi qu’en mars dernier, Believe a fait appel à la société Botnik pour la mise en place de chatbots propres à chacun des artistes de ses labels AllPoints, naïve et Animal 63 et notamment pou Jul, qui est le premier à avoir bénéficié de cette nouvelle stratégie.