Apparences a eu quatre ans il y a deux semaines. Par conséquent, si vous avez commencé à écouter du rap il y a deux ou trois ans, vous n’avez peut-être jamais entendu parler de Dinos Punchlinovic. Après une entrée remarquée au Rap Contenders à 17 ans, Dinos s’est illustré en 2013 et 2014 au travers de deux EP, respectivement nommés l’Alchimiste et Apparences. C’est en juin 2015 qu’il annonce que son premier album Imany est en préparation. Tout semble assez logique jusqu’ici, sauf qu’après cette annonce, le rappeur a décidé de se faire rare. Six chutes de studios postées sur ses chaînes YouTube et SoundCloud : qui ont été les seuls morceaux faisant patienter jusqu’à la sortie de son premier album.
Dans un rap français où l’on nous rabâche depuis plus de trois ans qu’il est impossible de survivre sans sortir de projet tous les six mois, Imany ne serait-il pas le plus grand pari de cette année ?
Dans un rap français où les termes de mixtape et d’album ne représentent plus rien, que la majorité des sorties sont plus proches de playlists que de la perception initiale d’un album. Ainsi ce même Imany prend à contrepied le rap français en ayant les caractéristiques d’un album, et finalement Imany ne serait-il pas le vent frais que l’on n’attendait plus ?
➡Imany, la profession de foi de Dinos dans le rap français
Imany est un prénom issu de la religion musulmane, imany signifie » foi » ou » âme « , ou peut être traduit comme » qui a la foi »
La foi et l’âme, voici deux termes illustrant à la perfection le premier album de Dinos (ex-Punchlinovic). Ici, la foi ne sera pas exclusivement un moyen de démontrer une appartenance religieuse, mais plutôt d’un attachement quelconque (famille, amour, passion, etc.). Il est possible d’entrevoir beaucoup de spiritualité dans ce LP. La foi dans Imany, c’est d’abord la foi que Dinos s’est accordé à lui même. Son parcours – bien que tout tracé à la base – fut particulièrement compliqué : « J’me suis barré d’là où tu rêves de signer / J’n’ai rien inventé, ce n’sont qu’des faits » « Capitol, Sony ou Def Jam / Comprenez mon style n’est pas leur esclave ». En effet, durant ces trois années, Imany et son interprète ont été ballottés de label en label jusqu’à finalement paraître en indépendant. Les moments de doutes ont évidemment dû être nombreux.
L’âme, elle, est le moteur même d’Imany. Le but du projet est de procurer de l’émotion, pour son auteur c’est l’essence même de la musique . Il le fait à la perfection dans Hiver 2004 lorsqu’il raconte ses maux d’enfance : «Maman venait nous chercher dans la nuit sombre / Elle a pas souri depuis longtemps / Alors, le bonheur, nous ferons sans / Elle croit qu’j’ai pas vu quand elle pleurait / Elle croit qu’j’ai pas vu quand elle pleurait / Mais je pleurais quand elle pleurait /Je m’enfermais dans ma forteresse » .
https://twitter.com/PunchyDinos/status/992125601489268737
Helsinki est le climax du projet. On y retrouve notamment l’inspiration de J. Cole qui avait quelque chose de ressemblant sur Lost Ones et le sample de Sing About me de Kendrick Lamar. En se mettant à la place d’une fille qu’il vient de quitter, Dinos dépeint la difficulté de se remettre d’une relation. Le morceau est cependant un peu plus complexe car Dinos chante le refrain en duo avec Yseult, si bien que l’on ne sait plus si c’est l’homme qui s’adresse à la femme ou l’inverse. Ce qui laisse, forcément, l’auditeur sur le questionnement suivant : « Dinos utilise-t-il la fille comme excuse pour utiliser des mots qu’il n’aurait pas le courage de sortir ? »
Cette question restera bien évidemment en suspens et c’est là toute la finesse du rappeur. En permettant à l’auditeur d’interpréter le morceau comme bon lui semble, l’artiste du 93 ouvre les portes de compréhension et d’appropriation du morceau. De ce fait, il n’est pas si étonnant que le morceau ait particulièrement touché.
Hiver 2004
Pour ce qui est de la spiritualité, Dinos laisse entendre qu’il est croyant : « J’m’abandonne à Dieu, je me repens / Beaucoup le disent, très peu le pensent. » Sa foi est pourtant parfois mise à l’épreuve jusqu’à le faire douter : « J’ai vu l’amour sur une civière, je n’sais pas où vont mes prières / Mais ça ira mieux demain, même si j’l’ai déjà dit hier ». Et parfois Dinos met sa foi et l’amour de côté, un verre de bloody mary à la main, pour cracher sa haine et laisser le jnoun de Despo Rutti parler à sa place.
➡ Le quartier mais pas la rue, le paradoxe Dinos
Une maxime revient constamment dans l’ensemble des interviews et autres vidéos promotionnelles d’Imany « Je suis le quartier mais pas la rue ». D’après Dinos, cette phrase le représente. Cette maxime, qui voudrait dire que bien qu’il soit un mec de quartier – originaire de la cité des 4000 à la Courneuve – il n’est pas une caillera. Il n’inventera pas un personnage fictif.
Le quartier, car oui, comme dit précédemment c’est bien un jeune homme issu d’une des villes les plus pauvres de France qui nous parle. Un jeune homme qui a grandi dans une des nombreuses cités qui parsèment le 93, plus réputée pour sa délinquance qu’autre chose. Sans ce fameux quartier, Dinos ne serait pas ce qu’il est. Il rend au quartier ce qu’il lui a donné. Et c’est avec fierté qu’il a tourné les clips des deux premiers extraits de son album au sein de cet environnement.
Y’a plein de gens qui vont se reconnaître dans ce truc de “j’suis le quartier, mais pas la rue”. Parce que les mecs de quartiers c’est pas tous des cailleras, tu vois. Donc y’a plein de gens qui vont se reconnaître dans ça je pense.
S’il est le quartier, il n’est pourtant pas la rue. Il n’a jamais voulu être un délinquant. La phrase qui fait le mieux écho à cette philosophie de vie est dans l’introduction du projet : « Des casiers judiciaires dans l’équipe / J’suis un des seuls à être resté clean ». Cette position démontre que Dinos a décidé de rester vrai, sans doute afin de mieux toucher ceux qui pourraient se retrouver dans son rap. Mais n’y voyez aucune bien-pensance, ici Dinos n’a pour objectif, comme il l’a dit à Yérim Sar devant la caméra de booska-p, que de « Toucher les cœurs, puis les portefeuilles ». Imany n’est pas un album de rappeur pour les rappeurs, et c’est là la colonne vertébrale du projet.
Dinos a l’honnêteté de dire à son public qu’il est là pour gagner de l’argent : « J’suis sur terre pour l’oseille, pas rouler en Clio. » A l’image d’un de ses rappeurs préférés, Dinos a décidé de devenir ce qu’il aurait dû être. La soif d’argent est devenue une force pour lui, le poussant à faire des choix artistiques plus intéressants : « J’fais du bif, j’ai plus l’âge d’faire des punchlines. » Si Dinos est ce qu’il est aujourd’hui, c’est parce qu’il veut du biff et qu’il est allé à la bonne école.
➡ Quand Dinos Punchlinovic devient finalement Dinos
Certains d’entre vous ont pu se demander où était passé le Punchlinovic qui accompagnait le blase de Dinos. Ce dernier l’a effacé lorsqu’il a décidé d’améliorer son écriture et de forger son personnage actuel. En 2014, en tant que très jeune MC, Dinos pouvait se permettre d’endosser le rôle d’un Bart Simpson du rap français. Entre ses jeux de mots drôles et arrogants se glissaient souvent des phases un peu balourdes : « N*gro c’est quoi les bails, c’est quoi les hypothèques ? »
« Même avec une équerre on verrait les choses du mauvais angle » « Les derniers seront les premiers #carapacebleue #Mario ». Aujourd’hui sa mentalité n’est plus la même et les attentes autour de ses projets seront différentes. Ça, il l’a bien compris. Son écriture a gagné en maturité et un morceau comme Les Pleurs du mal en témoigne particulièrement : « En fait, la vie nous a frappé en pleine figure si bien qu’de fil en aiguille on finit avec des points d’suture », « Qui veut la guerre prépare une avance, qui veut la paix prépare un no man’s land ».
Cet aspect est également démontré par son style d’écriture imagé, qu’il reprend – de façon très assumée – au Booba de l’époque Temps Mort ou encore Panthéon. Enfin, le témoin ultime de cette évolution s’avère être l’adaptation des punchlines célèbres de ce dernier et le rappel récurrent que son enfance a été marquée par Panthéon dans Hiver 2004. Les références ne s’arrêtent pourtant pas là : Nakk Mendosa, Busta Flex, Flynt ou encore Le Rat Luciano sont cités par le grand fan de rap français qu’est Dinos. Bien entendu, quelques erreurs de parcours se trouvent dans sa quête de l’écriture la plus efficace : « Comme Caitlyn Jenner on a grandi sans règle », « J‘parle dans ma barbe comme si j’étais Ben Laden ou James Harden », « Meilleur sous tous les angles fuck un polygone ». Rien n’est trop choquant, et c’est avec enthousiasme qu’on peut affirmer que le natif de la Courneuve a désormais bâti un vrai personnage, qu’il décrit lui même comme être « entre Joke et Youssoupha ».
➡Imany, ce projet ayant vocation à distribuer des leçons
Imany fait la leçon : il prouve qu’il vaut mieux prendre son temps pour sortir son projet sans prendre en compte la tendance actuelle pour faire un album réussi. Un projet réussi n’a pas de date de péremption. Parce que oui, Imany n’est pas un album qui est logique en 2018 et sera obsolète en 2019.
Imany fait la leçon parce qu’il démontre qu’un bon texte est écrit sans forcer car vouloir créer une occasion à chaque rime fait souvent dévier du but principal.
Imany fait la leçon parce qu’il pave la voie à suivre pour les artistes que sont Némir, Alpha Wann, S.Pri Noir et Joke, qui tout comme Dinos a pu le faire, préparent leur grand retour en 2018.
Finalement, et même s’il n’est pas parfait, le projet a son charme et a tout pour se retrouver dans notre Top 20 des meilleurs albums de rap français en fin d’année. Le pari est réussi pour Dinos, artistiquement parlant. Maintenant, reste à savoir s’il va s’inspirer de J. Cole une ultime fois en calquant son succès.