Difficile de parler de rap marseillais sans s’étendre sur la riche histoire musicale de la ville. Pour l’occasion, nous avons eu la chance de nous entretenir avec K-Rhyme le Roi, l’un des pionniers du rap de la ville, qui se fait connaitre notamment avec L’palais de justice son album commun avec Freeman d’IAM sorti en 1999, puis au sein du groupe Soul Swing aux côtés de Def Bond et Faf Larage. En décembre dernier, K Rhyme a sorti son projet Adrénaline, un album qu’il veut au croisement de sonorités et thématiques nouvelles et de son attachement à l’ancienne école…
➡️ A l’aube des années 1990, les premières heures du rap à Marseille
Comme partout en France, la culture hip-hop dans les années 1980 n’est pas spécialement répandue à Marseille. Témoin de l’époque, K-Rhyme nous raconte: « IAM, on les a côtoyé, ils s’appelaient pas IAM. On trainait sur le vieux port, un peu plus de 20 ans en arrière… On avait la même passion, on était une dizaine. On était pas beaucoup, à Marseille, à être passionnés de rap. Tout le monde se moquait de nous, on était de martiens pour eux. » En effet, en 1986 se forment déjà les prémisses du groupe, une formation répondant au nom de Lively Crew, qui regroupe déjà Akhenaton et Kheops. Alors que Shurik’n puis Imhotep s’ajoutent au groupe, celui ci devient tour à tour le B Boys Stance, puis IAM en 1989. Dans le même temps, le quartier de La Savine, au nord de la ville, voit émerger une bande de rappeurs autour du crew de graffeurs B.Vice (Bloc Venant de l’Extérieur Comme de l’Intérieur). En juillet 2011, ils fondent l’association Sound Musical School B.Vice, et obtiennent des locaux pour installer leur premier studio associatif en 1993. La même année, IAM sort l’EP Donne moi le micro et surtout son premier gros classique Ombre est lumière… Deux ans plus tard, le membre du groupe Ibrahim Ali âgé de 17 ans est abattu par des colleurs d’affiches du FN. L’évènement déclenche des énormes manifestations de la communauté comorienne à Marseille, et par la suite l’implosion de B.Vice qui quitte la scène pour se consacrer à l’associatif.
➡️ De 1993 à 2003, la décennie du premier âge d’or marseillais
Dans les faits, cette année 1993 marque la bascule vers un premier âge d’or du rap marseillais. Bien sur, cet âge d’or est rythmé par IAM, qui l’ouvre avec Ombre est lumière, le clôt avec Revoir un printemps, et surtout le meuble avec L’école du micro d’argent que beaucoup considèrent comme le meilleur album de l’histoire du rap français… A la manière du Wu-Tang Clan dont ils s’inspirent aussi musicalement, les rappeurs d’IAM s’entourent de rappeurs talentueux comme K-Rhyme, mais aussi le duo cannois Chiens 2 Paille (Sako et Hal), le duo Coloquinte (Samm et le A), issu de la ville voisine de Vallauris, 3ème Oeil, Carré rouge. Tout ce petit monde travaille régulièrement au studio d’Akhenaton La Cosca, au point de créer une « école de La Cosca », ou même est signé sur son label 361 Records, produit chez Côté Obscur ou chez Sad Hill Records, le label de Kheops. « Le point commun qu’on peut tous avoir, c’est qu’on essaye vraiment d’allier le fond et la forme au maximum », confie Samm de Coloquinte au cours d’une interview…
Ce premier âge d’or du rap marseillais, c’est aussi celui de la formation d’une autre institution de la ville, la Fonky Family. Formé en 1994 lors d’un concert, le collectif de 7 rappeurs va sortir en 1998 l’album Si Dieu veut… qui va le propulser au sommet des charts. Trois ans plus tard, la Fonky Family sortira l’album Art de rue, un autre succès qui décroche le disque d’or en huit jours. Entre temps, Le Rat Luciano qui est l’une des têtes d’affiche du groupe sort son unique album solo Mode de vie… Béton Style, un condensé de son style dont il restera insatisfait malgré tout. Après la sortie d’Art de rue, c’est au tour de l’autre star de la Fonky Family, Don Choa, de sortir son solo Vapeurs toxiques. Originaires du Plan d’Ao dans les Quartiers Nord, les Psy 4 de la rime sont produits par Sad Hill Records. Créé en 1995, le groupe ne cesse de monter en puissance, notamment suite au son Aux armes en featuring avec Dosseh, sur la compilation Time Bomb 2000. Cette ascension se conclut en 2002, avec la sortie de l’album Block Party, qui rencontre un succès local énorme.
➡️ De 2003 à 2013, Marseille sur la pente descendante
Après la sortie de Revoir un printemps d’IAM en 2003, le rap marseillais perd cet élan qui faisait de lui le premier et seul réel concurrent de la scène parisienne. Bien sûr, cette nouvelle décennie va connaitre ses propres temps forts, à commencer par la dominance éblouissante des Psy 4. Le groupe collectionnes les disques d’or pour Enfants de la lune en 2005 et pour Les cités d’or en 2008, après le succès de Block Party. De plus, Soprano puis Alonzo vont lancer leurs carrières solo en parallèle du groupe, notamment au travers d’excellents projets comme Puisqu’il faut vivre et La colombe pour le premier, et Amour, gloire & cité pour le deuxième. Cependant, en 2013 le quatrième et dernier album du groupe 4ème Dimension connait un succès moindre qui marque la fin de leur suprématie. Deux ans plus tard, le DJ des Psy 4 Sya Styles décède des suites d’un cancer. K-Rhyme confie « le dernier concert qu’on a fait en mémoire de Sya Styles des Psy 4, tout le monde était là, tous les anciens, tous les nouveaux. »
Outre les Psy 4, la Fonky Family sort son dernier album Marginale musique en 2006, mais celui-ci marque la dissolution du groupe. L’année suivante, Don Choa sort son deuxième album solo Jungle de béton, sur lequel on retrouve Menzo et Le Rat de la Fonky Family, mais aussi Soprano… D’autres artistes se font un nom à la même époque, notamment Keny Arkana qui fait ses débuts au sein du collectif Etat Major avant de sortir son premier album studio Entre ciment et belle étoile en 2006 et d’acquérir un public à l’échelle nationale, et de concrétiser l’essai 6 ans plus tard avec Tout tourne autour du soleil. De même, El Matador se fait un nom entre 2005 et 2010 avec ses albums Parti de rien et Au claire du bitume qui bénéficient du soutien d’Alonzo et Soprano des Psy 4 et du Rat Luciano. Aussi proche de Soprano à ses débuts, L’Algérino sort son premier album Les derniers seront les premiers sur la structure d’Akhenaton d’IAM 361 Records avant de connaitre ses premiers vrais succès chez Six-O-Nine après sa rencontre avec Sinik.
➡️ Depuis 2013, vers un nouvel âge d’or du rap marseillais?
A la fin de l’ère des Psy 4, Marseille est un véritable désert de créativité musicale duquel il est extrêmement difficile d’émerger. L’un des premiers phénomènes de la génération qui va remettre la ville sur la carte du rap français, ce sont les Zbatata, un groupe de rappeurs du centre-ville qui connait ses premiers succès avec Zahia et Marseille c’est cramé en 2012. Le point culminant de ce succès, ils le connaissent avec le clip de Rompompom réalisé par REDoutBLACK, qui seront par la suite derrière un grand nombre de réalisations marseillaises… La même année, R.E.D.K. du groupe Carpe Diem sort E=2MCs en collaboration avec Soprano, et manque de peu le disque d »or, l’album est salué comme étant une référence des albums communs dans le rap français. Enfin, avec son premier projet Mon manuscrit, le rappeur de la cité de La Solidarité M.O.H se situe dans cette nouvelle scène émergente de la ville qui ne connait pas encore son plein succès. Il concrétisera un an plus tard avec la mixtape King Kong vol. 1.
Il serait difficile de le nier, le véritable électrochoc de la scène marseillaise s’appelle Jul. Avec Dans ma paranoïa et Lacrizeomic en 2014, le rappeur amène un style totalement différent de ce qui se faisait auparavant. Alors qu’il fait face à ses débuts à un torrent de critiques, il finit par s’imposer à la force de ses chiffres de ventes exceptionnels et de sa productivité impressionnante comme une tête d’affiche de la scène marseillaise. En 2015, Alonzo s’offre un second souffle avec Règlement de comptes, certainement le meilleur album de sa carrière. En fin d’année, SCH s’impose avec A7 comme un deuxième artiste à l’univers et au style uniques issu de Marseille… Ces trois projets sont autant de causes de la naissance d’une scène marseillaise au style caractéristique, et au succès de plus en plus visible. A l’heure où Naps se réjouit encore du disque d’or récompensant la sortie de Pochon Bleu, Elams cumule des millions de vues sur toutes ses vidéos, YL signe chez Def Jam France, et Miaouss de Zbatata se fait un nom au sein du groupe Numbers…
« Je soutiens tous ces artistes là » conclut K-Rhyme « ils apportent leurs pierres à l’édifice. Ils sont dans la lumière, ils arrivent à avancer, je parle surtout de Jul. Jul, c’est un gars qui fait tout tout seul chez lui dans sa chambre, il produit, il écrit, il sort album sur album… Après, faire une collaboration avec eux, ça peut se faire au feeling. Il y a pas de séparation entre les anciens et les nouveaux, Marseille c’est un petit village. Tout le monde se côtoie dans les mêmes studios, on se croise… »
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