Mai 2005. Icy est un gros tube dans le sud des Etats-Unis, au point de se faire une petite place dans les charts du pays (47e). Il est l’œuvre de Gucci Mane et Jeezy, deux rappeurs d’Atlanta au goût très prononcé pour la trap. Alors que Jeezy est déjà un nom familier du game, signé chez Def Jam depuis peu et sur le point de sortir son premier album studio en major, Gucci Mane peine à se faire connaître. Son manager lui conseille ce featuring afin de profiter de l’exposition de Jeezy pour attirer l’œil d’un large public. Le problème est que Jeezy a voulu le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière: rétribué pour son couplet, il a néanmoins exigé que le morceau soit un single de son futur album, au vu de son succès. Gucci Mane s’y est évidemment opposé : Icy sera le premier single de son premier album Trap House. Ce contentieux a tout simplement ouvert la porte des enfers. Récit d’un beef qui a déchiré la Georgie, où se mêlent évidemment rap mais aussi l’Alabama, le sang, une pelle et DJ Drama.
➡️ Les racines du clash, Stay Strapped et l’aggression au domicile de Gucci Mane
L’ego froissé par l’affront de Gucci et la frustration d’une opportunité envolée font que, très vite, Jeezy sort un premier morceau clash afin de le tuer dans l’œuf. Stay Strapped l’égratigne très sévèrement, particulièrement sur deux points. D’abord, il dévoile au monde entier que Gucci Mane n’est pas né à Atlanta, ni même en Georgie, mais en Alabama à Birmingham, ce qui équivaut en France à venir du 77 ou du 59, au choix. C’est sa street credibility qui bat subitement de l’aile. Puis, pour rigoler un peu, il met un contrat sur la chaîne de Gucci Mane à hauteur de 10000$, une coquette somme. « I got a bounty on that shit, nigga. 10 stacks. So if he come to your town, and you just happen to snatch that motherfucker off his neck, I’m gonna shoot you the 10-stack, man. »
C’est le 19 mai que le clash prend une dimension bien supérieure. Gucci sort visiter sa petite-amie… avant de la ramener chez lui. En franchissant le pas de sa porte, cinq mecs entrés par effraction et planqués dans sa baraque les prennent d’assaut. L’un d’entre eux les tient en joue : il colle quelques droites à Gucci Mane et menace de le tuer avant d’asséner un coup de crosse à la femme qui l’accompagne. C’est là que l’histoire devient plus floue : probablement poussé par l’adrénaline et l’instinct de survie, Gucci réussit miraculeusement et on ne sait comment à mettre la main sur un calibre. Il n’y pense pas deux fois et il vide son chargeur dans le tas. Un des mecs s’écroule au sol alors que les autres fuient.
➡️ Gucci Mane évite de justesse d’être le « MC Jean Gab’1 des Etats-Unis »
A partir de ce moment, n’importe quel humain sensé aurait alerté la police et le 911. Pas Gucci. Pas notre Radric Davis. Clairement en position de légitime défense, que le tribunal confirmera en janvier 2006, cela ne l’empêche pas de charger le corps gisant et criblé de balles du gaillard dans sa voiture avant d’aller le jeter au fond d’un trou creusé derrière l’école de sa ville, Decatur. Mais quel est le rapport entre les péripéties nocturnes de Gucci Mane et son beef avec Jeezy ? Eh bien, le mec raide mort sur lequel Gucci Mane balance une dernière pelletée de terre n’est autre que Pookie Loc, un rappeur signé sur CTE (Corporate Thugz Entertainment), le label de… Jeezy. Alors que Mane crie à l’expédition punitive, Jeezy nie formellement et accuse son homologue d’essayer de se faire de la publicité pour vendre des disques.
Gucci Mane est en vérité très loin des calculs de ce type. L’homme, déjà assez instable, devient complètement bipolaire à la suite de cet événement traumatisant. En bref, il se met à être incohérent et à faire n’importe quoi : deux semaines après avoir souillé ses mains de sang, il s’amuse à éclater la tête d’un promoteur avec une queue de billard sans aucune raison, ce qui lui vaudra un séjour de six mois en prison. L’animal, fraîchement libéré et acquitté du meurtre de Pookie Loc en janvier 2006, veut à ce moment-là attaquer tout le rap game, de Jeezy à Jay-Z. C’est DJ Burn One qui le raisonnera et l’empêchera de devenir le MC Jean Gab1 des Etats-Unis (formule incroyable empruntée à Nicolas Peillon).
➡️ Comment DJ Drama se retrouve embarqué malgré lui dans le clash par Gucci Mane
Détraqué, rancunier, sentant encore la morsure des bracelets acérés des menottes aux poignets, il débite amèrement et sans arrêt au studio. En sort notamment le très chaud 745 issu de Chicken Talk, qui remet le feu aux poudres après un an d’inquiétant silence : « Do smell pussy? Nah, that’s Jeezy. You ain’t a snowman, you more like a snowflake, cupcake, corn flake. Nigga, you too fake. » Jeezy répond sans tarder sur le morceau Streets On Lock, morceau sur lequel Gucci est un pédé et une michetonneuse accro au luxe, tout ça sur deux lignes : « What type of real nigga name himself after a bag ? Nigga you’s a ho, a Louis Vuitton fag »
Gucci répond à ces basses accusations en se payant DJ Drama, proche de Jeezy, pour une mixtape, Gangsta Grillz : The Movie, ce qui n’est pas du goût de ce dernier. Son équipe et le crew de DJ Drama vont même se foutre sur la gueule lors d’une rencontre fortuite avant que Jeezy ne l’insulte en interview. La même mésaventure se produira à la sortie d’un magasin de sapes entre l’équipe de Waka Flocka, à l’époque le protégé de Gucci Mane, et l’entourage de Jeezy, Puis, il règle ses comptes en s’attaquant encore une fois à Gucci en 2009 sur 24, 23 : « I’m on some Louie shit, fuck Gucci Mane / These niggas still on my dick, they like some groupies mane. »
➡️ L’apogée du clash, puis la redescente rythmée par les séjours en prison de Gucci Mane
Durant ce temps, Zaytoven continue d’abreuver la rue de mixtapes de Gucci en grande quantité (et qualité) pendant que celui-ci enchaîne les déboires. Alors que tous lesdits événements se produisent, Gucci Mane lui, passe le plus clair de son temps en prison, au hasard pour avoir séché ses TIG ou pour avoir bafoué sa période de probation. Sorti en mai 2010, son instabilité devient critique : en novembre 2010, il est arrêté roulant à contresens, toutes les portières ouvertes, imbibé d’alcool et de drogues, sans permis ni assurance. Après un énième séjour en prison, le juge ordonne un internement en asile psychiatrique. Si Gucci Mane n’en place pas une pour Jeezy entre 2008 et 2011, comprenez-le, c’est qu’il n’a pas le temps.
2012. Les flics lui lâchent enfin un peu la grappe. La tension est palpable entre Jeezy et Gucci Mane. Les deux rappeurs s’envoient des piques par interviews interposées plusieurs semaines durant. Jeezy vient de déclarer qu’un mec qui se fait tatouer un cornet de glace sur la face ne peut être qu’un attardé que personne ne prend au sérieux. C’en est trop pour Gucci Mane qui, passablement agacé, décide en marge de l’imminente sortie de Trap God de lâcher un diss track absolument sanglant, malsain, funeste, sobrement intitulé Truth. Dans le morceau, Gucci Mane souligne qu’il ne s’agit en aucun cas d’un diss track mais seulement de la vérité. Puis il remue la pelle dans la tombe en évoquant la mort de Pookie Loc : il propose simplement à Jeezy, d’aller le déterrer pour être sûr qu’il dit bien la vérité.
Ce morceau coïncide avec l’apogée du clash. Les allers-retours réguliers de Gucci Mane en prison entre 2013 et 2016 font que le beef se tasse de lui-même. Il en ressortira d’ailleurs en mai 2016 complètement transcendé. Difficile de croire que ce monstre aux mains maculées de sang, inhumain au point de rire aux éclats de son homicide et complètement codéiné ait laissé place à ce gendre idéal en pleine forme physique et mentale, nouvel ami du gratin du game. Alors qu’autrefois l’East Atlanta Santa distribuait les diss, sa hotte est cette fois pleine de messages empreints de positivité. Quant à Jeezy, il continue tranquillement son bonhomme de chemin, un peu plus à l’écart des projecteurs qui l’ont autrefois consacré superstar d’Atlanta. Si son registre est toujours le même, il ne semble plus en mesure d’atteindre le niveau de son époustouflant classique The Inspiration.
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