Le 28 novembre dernier, Gims dévoilait le clip du titre Le prix à payer, extrait de la réédition Transcendance sortie le 29 avril dernier. Dans ce visuel signé Matthieu Allard (Mi Gna, Bob Marley, Médicament), on voit le rappeur qui s’apprête à célébrer une décennie de carrière signer un contrat avec son sang, puis tenter d’échapper à une spirale de débauche vers laquelle l’entraîne un producteur à l’allure diabolique. Ces images ne tardent pas à déchaîner les réseaux sociaux, certains médias s’empressent même de parler d’un « appel à l’aide ». Certaines images évoquent volontairement une organisation occulte qu’elles lient à la réussite de Gims : un pacte de sang, une femme aux yeux inhumains et le triangle maçonnique omniprésent. Pourtant, ceux qui ont suivi un tant soit peu la carrière solo de l’ancien leader de la Sexion d’Assault se seront rendus compte que cette dernière sortie n’a rien de vraiment surprenant et qu’elle s’inscrit dans la continuité d’un cheminement personnel sur son rapport à la musique. Décryptage d’une vidéo qui n’a pas manqué de faire polémique sur les réseaux sociaux… Mais pas contre la volonté de son auteur !
➡️ Gims, une décennie de carrière minée par un conflit intérieur
Maître Gims se convertit à l’Islam en 2004 et prend le nom de Bilel. Son rapport à la religion se construit en parallèle de sa carrière dans la musique, et très vite ses textes reflètent un conflit intérieur qui oppose sa passion à sa foi. Dès 2006, il fait part de ses doutes dans le titre Dernière épreuve, extrait de la mixtape Ceux qui dorment les yeux ouverts : « Les chemins sont divisés en deux parties, y’a ceux de Dieu et ceux du diable / Lequel des deux j’ai pris ? Franchement, j’sais ap… » Cette dualité de l’artiste apparait au grand jour avec son premier album solo Subliminal. La chute, morceau clé de sa carrière, est le premier dans lequel il se livre pleinement : « J’me détruis, sacrifie tout mon temps et ma famille / On m’chuchote : « tu seras riche petit à petit » / J’réalise, j’réalise, que le diable est dans mon lit / Mes ambitions étaient nuisibles, la musique… » Deux autres titres se font écho dans la continuité de ce narratif, J’me tire et Zombie, extrait de la réédition La face cachée : « Il y a deux êtres en moi qui se livrent une bataille depuis des années. Il y a un côté qui veut repartir dans une vie simple et il y a Maître Gims qui lui aime ça et veut continuer. Donc au final, je suis comme un zombie, inanimé. Une sorte de personne bipolaire. »
Le dernier couplet de La chute contient un passage notable : « Je me suis très souvent demandé / Le Seigneur m’a-t-il détesté ? / Le diable me disait : « t’inquiète pas, t’as rient fait / T’as laissé ton coeur parler, c’est parfait » ». La pochette de son deuxième album, intitulé Mon coeur avait raison, représente Gims en train de se noyer dans les ténèbres. Une manière de signifier que la musique a fini par avoir le dessus. Dans Contradiction, il explique : « Oui, j’ai honte donc j’ai des lunettes sur le nez / Mais qui peut prétendre avoir l’innocence d’un nouveau né ? / J’ai prêché le vrai comme le faux, je m’en excuse / Ne m’en voulez pas, on a tous un côté schyzo… » Extrait de l’album Ceinture noire, Le prix à payer n’est finalement qu’un titre de plus consacré aux remords de l’artiste, qui regrette de ne pas avoir consacré à la religion le temps qu’il a donné à sa carrière. C’est en fait le clip qui va lui donner une nouvelle dimension. Si Gims a régulièrement placé des symboles ésotériques dans ses visuels, c’est la première fois qu’il aborde directement le sujet du pacte avec le diable, au risque de se voir accuser d’un acte qu’il a pourtant nié tout au long de sa carrière.
➡️ Le prix à payer, une dénonciation des travers de l’industrie musicale
L’évocation d’un accord avec le diable est pour Gims l’occasion de tisser une dénonciation métaphorique des travers de l’industrie musicale. Ce n’est d’ailleurs pas une première, le rappeur avait adopté une image assez proche dans l’inédit Marabout en 2017. Pour illustrer l’engagement souscrit par un interprète au moment de la signature d’un contrat avec un label ou une maison de disque, il choisit l’image du pacte de sang. Les conséquences sur sa vie et son oeuvre d’un document signé des années auparavant ont été particulièrement traumatiques pour Gims. Le clip de Matthieu Allard montre comment sa carrière va progressivement créer une distance entre l’artiste et sa famille, mais aussi tenter de transformer l’image qu’il renvoie en changeant son aspect vestimentaire et en gommant la ligne entre sa vie privée et son personnage. Très vite, il se retrouve privé de sa liberté de choix, y compris sur des sujets relatifs à sa propre création musicale, et devient spectateur de son ascension. Dans le même temps, le clip met en image une partie des doutes auxquels Gims se retrouve confronté : la consommation d’alcool, les femmes et l’argent sont autant de tentations qui sont agitées sous ses yeux pour le détourner de la religion.
➡️ Symboles occultes, ésotérisme et marketing viral : le cocktail Gims
Malgré sa puissance symbolique, la métaphore du pacte satanique n’a rien d’anodin et Gims est le premier à en être conscient. Il y a quelques années déjà, il s’indignait : « Pourquoi vous n’allez pas en parler pour Johnny Halliday et Jean-Jacques Goldman ? Donc eux ont travaillé, eux c’est normal, il n’y a pas de diable. Et quand un africain réussit, il a vendu son âme au diable ? Il faut savoir qu’en Afrique, certaines familles se font massacrer parce qu’ils sont soupçonnés d’être des sorciers, donc arrêtez vos conneries. » Dans ce contexte, pourquoi donner du grain à moudre à ses détracteurs ? Pour une bonne et simple raison : le rappeur a constaté depuis plusieurs années qu’il s’agissait du meilleur moyen de faire parler de lui sur les réseaux. On constate d’ailleurs une certaine récurrence dans la construction des clips de Changer, Zombie et Le prix à payer : Gims s’y retrouve confronté à lui-même ou à sa solitude dans des environnements bourrés de symboles… Sans oublier un discret placement de produit pour Lenco, Vincent dans les Vapes ou Fanta. Autant dire que cette stratégie de marketing viral s’est avérée efficace puisque le clip de Le prix à payer a dépassé les deux millions de vues en l’espace de quelques jours…