Sadek vient de dévoiler la cover de son prochain album Johnny De Janeiro qui sortira le 28 septembre et qui contiendra entre autres des morceaux à consonance funk-brésilienne. Si la prise de risque musicale est à saluer, la pochette de l’album est toute aussi singulière, dans le même esprit que celle de son précédent album Vulgaire, violent et ravi d’être là qui avait marqué les esprits. Derrière cet artwork plein de dérision, on retrouve le photographe et graphiste Fifou qui vient signer une énième pochette sur un marché partagé avec un autre artiste, Koria. Force est de constater que sur les dernières années dans le paysage rap à l’annonce d’un nouveau projet, ces deux noms reviennent quasi-systématiquement. Comment expliquer une telle hégémonie ? Entre volonté des artistes, confiance des labels et régularité infaillible, nous allons tenter de décortiquer les mécanismes de cette dictature des images.
➡ Un talent indéniable ne laissant pas indifférent petits et grands artistes
Fifou peut être considéré comme le numéro 1 sur le marché, il s’agit de celui qui affiche le palmarès le plus garni en termes de réalisations majeures. La force de Fifou reste sa flexibilité. Capable d’apposer sa patte sur des machines à vendre comme Soprano, Maître Gims et Black M tout en se sublimant sur des albums marquants comme Convictions Suicidaires de Despo Rutti où il figure les mains prises dans de l’or fondu. Il est indispensable d’aborder la pochette de Noir Désir de Youssoupha avec ce garçon ailé au regard menaçant. Il en va de même pour Dans la légende de PNL, une pochette qui n’a pas fait l’unanimité mais qui a bénéficié d’une exposition rarement vue auparavant avec notamment cette affiche placardée sur 665 m² le long du périphérique parisien. Cette année Fifou signe l’une des meilleures pochettes du premier semestre avec Land de Kekra et cet îlot à l’effigie du mystérieux rappeur de Courbevoie. On le retrouve aussi derrière Imany de Dinos, Masque Blanc d’S.Pri Noir et Affranchis de Sofiane pour ne citer que celles-là.
Du coté de Koria, ses premiers faits d’armes remontent aux années 2010 avec la pochette de l’album À toute épreuve qui signe le retour du groupe Sniper après cinq années d’absence. Il réalise ensuite des couvertures pour la version papier du magazine Da Vibe avec Big Sean, Tinie Tempah et Ryan Leslie. Il s’installe définitivement comme un grand nom du milieu par le biais d’SCH avec les pochettes d’A7, Anarchie et Deo Favente. En 2017, Niska lui confie les commandes du char d’assaut Commando qui va le propulser au sommet des charts (quadruple disque de platine). On le retrouve également derrière l’excellent artwork de l’album Grand Cru de Deen Burbigo ainsi que Kaos de Kalash et plus récemment Storyteller de Médine. L’hégémonie de Fifou et Koria repose aussi par leur présence sur des projets d’artistes à notoriété moindre, pas seulement des têtes d’affiches. Pour preuve, le travail de Koria sur les pochettes suivantes : Humain de Roms, Tsar Trap Vol.2 de Youri, YË de Sopico et Iceberg Slim de Veerus. Du coté de Fifou on peut citer Dos Argenté de Bosh, Trap$tar de Leto et Tout me fait rire de L.O.A.S.
➡ Etat des lieux des graphistes du rap français, autres que Koria et Fifou
Du coté de la concurrence, le seul en mesure de pouvoir titiller ces deux mastodontes se nomme David Delaplace, il est auteur du livre Le visage du rap, dans lequel il a immortalisé de nombreux rappeurs tout en dressant le portrait d’un certain nombre d’entre eux. Cette année il est derrière les pochettes de C’est la loi de Naza, Jok’Rambo de Jok’Air, Appartement 105 de Keblack, Antidote d’Elh Kmer ainsi que Nuit de Jazzy Bazz (sortie prévue le 7 septembre).
En dehors de lui, pas d’autres réels concurrents mais des artistes qui opèrent avec des rappeurs attitrés sur des circuits plus fermés. On peut citer Raegular derrière FLIP de Lomepal, la trilogie Alph Lauren d’Alpha Wann et Cyborg de Nekfeu. On peut également mentionner Marius Gonzalez avec Josman et TBMA avec Laylow. Le travail d’orfèvre réalisé par Clifto Cream avec Big Budha Cheez sur ces dernières années est aussi à saluer. Du coté des jeunes pouces, il faudra compter dans les années à venir sur Antoine Duchamp et son agence créative Andu Global qui s’est déjà exportée à l’international en intervenant sur la mixtape Troubles of the World d’A$AP TyY et qui travaille notamment avec HIM$, acteur hyper-productif de la scène SoundCloud. Wwwesh Studio, est aussi un studio de création en pleine ébullition derrière la pochette d’Avant-Gardistes de Take A Mic et La Malédiction du Nord du groupe Eddie Hyde. Enfin, il faut également citer le travail d’Abbadkha avec Ash Kidd ainsi qu’EKAILAND qui réalise des pochettes inédites et rééditions personnelles qui valent le détour.
Si Fifou et Koria ont la main mise sur les principales têtes d’affiches, le game francophone de pochettes reste cependant très ouvert avec des circuits plus ou moins fermés et des artistes qui gèrent l’ensemble du processus de création pour véritablement apposer leur ADN sur l’image que va renvoyer l’artiste. La dictature tend de plus en plus vers l’anarchie pour le plus grand plaisir de nos yeux et de nos oreilles.