Le 10 juin 2021, le distributeur indépendant Believe entrait à la Bourse de Paris. A l’époque, l’événement était présenté comme un moment « presque historique » par Cédric O, secrétaire d’État au numérique. L’introduction en bourse de Believe devait servir à assurer la croissance de l’entreprise pour les trois prochaines années, et ce grâce aux 300 millions d’euros levés. Début 2024, l’entreprise pivote. Denis Ladegaillerie, PDG et co-fondateur de Believe, monte un consortium avec les fonds d’investissement TCV et EQT et lance ainsi une OPA (Offre Publique d’Achat), pour récupérer le contrôle de l’entreprise. En résumé : Believe sort de la Bourse de Paris. Mais pourquoi un tel revirement alors que l’entreprise continue de croître ?
Une sortie de Bourse, comment ça marche ?
TCV, EQT et Denis Ladegaillerie ont exposé leur projet aux actionnaires. Dans un premier temps, le trio prévoit de prendre possession de 72 % des actions du groupe par plusieurs biais. Tout d’abord en acquérant les 41,14 % détenus par TCV. En parallèle, Denis Ladegaillerie contribue avec 11,17 % et cède une part supplémentaire de 1,29 %. Ventech et XAnge, actionnaires depuis 2015, se retirent en cédant respectivement 12,03 % et 6,29 %. Enfin, d’autres actionnaires participent à la sortie en revendant 3 % du capital au trio. Si les acheteurs parviennent à obtenir l’approbation de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), qu’ils anticipent au cours du premier semestre 2024, ils pourront alors passer à la seconde étape : lancer l’OPA dans l’espoir d’acquérir au moins 15 % de capital supplémentaire. Cette acquisition serait cruciale pour pouvoir engager ultérieurement une procédure de retrait obligatoire de la cote.
L’offre est déjà présentée avec un prix par action fixé à 15 €. Ce prix représente une prime de 21 % par rapport au cours au moment de l’annonce du plan par le consortium (12,4 €) et de 50 % par rapport à la moyenne des cours sur les quatre derniers mois. Cette valorisation placerait le groupe à près de 1,5 milliard d’euros. Néanmoins, elle pourrait susciter des mécontentements parmi les actionnaires minoritaires, car le prix proposé est nettement inférieur à celui établi lors de l’introduction en Bourse (19,50 €). En effet, la banque d’investissement Stifel ( « broker » qui évalue les cours de bourse) déclare que ce prix de 15€ est le résultat d’une négociation déséquilibrée.
Believe en difficulté durant sa période de cotation
Pour comprendre l’envie de Believe de quitter la Bourse de Paris, il faut revenir aux circonstances de marché dans lequel l’entreprise s’inscrivait. Lorsqu’elle intègre Euronext Paris en 2021, la start-up française connaît un lancement délicat, présentant d’emblée ses limites. Lors de son premier jour, le cours s’effondre de 17,7%, et clôture sa cotation à 16,5€, contre un prix d’introduction à 19,5€. Cet échec initial est la première étape d’un parcours sinueux pour la « 4ème major ».
Tout au long de son aventure boursière, Believe voit son cours fluctuer entre le moyen et le moins bon, particulièrement en comparaison avec ses concurrents. Par exemple, sur la même période (deuxième semestre 2021 – premier semestre 2024) le cours d’Universal Music est stable, et atteint une cotation à 27,41€ lors de la journée du 16 février. À contrario, l’action de Believe parvient à atteindre un pic de cotation à 19,60€ lors de la journée du 12 novembre 2021, avant d’entamer une première régression de son prix. Le 20 octobre 2023, le distributeur français atteint sa deuxième moins bonne cotation sur une journée, avec une clôture à 8,09€.
Une évolution de l’entreprise en dissonance avec le cours
Bien que révélateur d’un certain écart par rapport aux majors, ces difficultés boursière ne sont pas nécessairement représentatives de l’évolution du poids économique de Believe. Sur les 3 premiers trimestres 2023, l’entreprise parvient à générer 630 millions d’euros de chiffre d’affaires, et 13,9% de croissance organique. Cette croissance se traduit par l’importance que prend Believe sur le marché de la musique. En 2021, le distributeur place 41 albums dans le Top 200 des meilleures ventes de nouveautés, et atteint une part de marché de 28 % sur le top streaming albums. Une performance qui reste stable depuis cette période, et qui tend à progresser depuis en France. Sur l’exercice 2023, 40 de ses albums atteignent le top 200, dont 3 qui parviennent à s’inscrire dans le Top 5. Point d’orgue : l’album le plus vendu de l’année en France est Carré de Werenoi, signé chez AllPoints.
En plus de ses figures historiques (Jul, PNL, ou encore Naps), Believe parvient désormais à convaincre des artistes signés en major de le rejoindre. C’est le cas d’Hamza, qui rejoint All Points, alors qu’il était auparavant distribué par ADA, cellule de distribution de Warner.
La réussite de Believe sur cette année s’explique aussi par une expansion internationale. Au mois d’octobre, l’entreprise indépendante connaît un succès inédit : pour la première fois, un morceau signé chez Believe atteint la première place du Top 50 Monde de Spotify. C’est le titre Si No Estás du chanteur Iñigo Quintero. Sorti en septembre 2022, le titre était parvenu à un succès local important, en se hissant à la première place du Top Singles en Espagne, mais sans pour autant avoir une répercussion mondiale. Désormais, ce sont des possibilités nouvelles qui s’ouvrent pour le distributeur, par la puissance de sa branche sud-américaine et espagnole.
Quelles conséquences pour Believe?
L’entrée en Bourse d’une entreprise la force à publier tous les trimestres ses comptes, et donc devoir faire preuve d’une transparence totale sur son volet financier. Ainsi, une fois entrées en Bourse, les entreprises prennent en général moins de risques, contraintes par les petits porteurs qui jugent en général sur la rentabilité court-terme.
Believe pourra donc se permettre de prendre plus de risques financiers grâce à ce retrait de la Bourse de Paris. Par l’absence de transparence financière auprès de l’ensemble des acteurs, il sera bien plus à même de signer des tops artistes à des avances plus conséquentes, avec un impact direct sur la politique des majors concurrentes. En appliquant cette méthode sur les avances, la startup française est en capacité d’être à l’origine d’une tendance inflationniste avec un avantage clé sur le développement et sa croissance, tout en poussant ses rivaux à suivre ce nouveau rythme. Au vu de l’importante trésorerie du distributeur (210,2 millions d’euros en fin juin 2023), il serait en mesure d’aller débaucher des top artistes signés chez ses concurrents.
En parallèle, son projet de mise en place d’une offre d’édition globale et complète se poursuit, notamment depuis le rachat de la plateforme d’édition Sentric. Cette stratégie ambitieuse de rachats dans des domaines clés sera également moins contrainte du fait de la sortie de Bourse, et risque donc de s’accélérer au cours des prochains mois.