Avant de parler d’une institution, il est utile de la présenter en la replaçant dans son contexte, et ce d’autant plus en droit de la musique, sac de nœuds juridiques difficile d’accès au premier abord. Avant toute chose, donc : qu’est-ce que la Sacem ? C’est ce qu’on appelle une société de gestion collective, qui a son ou ses équivalents dans chaque pays du monde (entre autres la GEMA allemande, l’ASCAP et la BMI américaines). Si l’événement qui a entraîné sa création relève de l’anecdote (3 artistes refusant de payer leur consommation dans un bar en 1850), elle est aujourd’hui l’acteur-clé dans la vie des compositeurs, réalisateurs, auteurs et éditeurs (désignés sous l’appellation d’« ayants droit »). Concrètement, son but est que les ayants droit touchent systématiquement un revenu sur les œuvres qu’ils ont créé/édité, mais aussi de faciliter le passage de leurs musiques dans les radios, clubs et autres structures diffusant de la musique. En effet, c’est la Sacem qui permet à ces entreprises de diffuser des musiques sans avoir à demander une autorisation aux éditeurs morceau par morceau puisque l’adhésion à la Sacem emporte le transfert du pouvoir de négociation de ces diffusions.
➡ Droit de représentation et d’exécution publique et droit de reproduction mécanique… Comment la Sacem rémunère les ayants droit ?
Lorsqu’un organisme diffuse un morceau (de la plus grosse radio musicale au dentiste qui passe des playlists dans sa salle d’attente ou à la salle de concerts), il doit payer pour cela (à la SACEM ou à la SPRE). C’est le droit de représentation et d’exécution publique. Les tarifs varient selon le type de diffuseur, sa taille, le cadre, etc. Puis, les ayants-droit dont la musique est diffusée se voient rémunérés desdites diffusions (par le biais d’un chèque qui tombe tous les 3 mois), du moins en théorie, il est en effet impossible de savoir exactement quelles musiques sont passées au sein de chaque établissement versant des frais à la Sacem. Toutefois, elle fait en sorte par diverses méthodes de se rapprocher au mieux de la réalité (et est d’ailleurs mondialement reconnue pour la qualité de ce travail de recherche).
D’autre part, la sortie d’un projet donne lieu à un droit de reproduction mécanique, qui concerne principalement les ventes de CDs ou vinyles. Le producteur ou son licencié sont chargés de verser une taxe sur chaque CD fabriqué. Cette taxe, reversée à la SDRM (affiliée à la SACEM), sert à rémunérer les ayants droit de l’œuvre (après prélèvement du montant nécessaire aux frais de gestion, comme dans la taxe afférant aux diffusions de l’oeuvre). En général, elle est de l’ordre de 80 centimes sur un CD vendu 12€.
Les ayants-droit sont donc l’éditeur (ou les co-éditeurs) et les auteurs, qui ont conclu un contrat dit « de cession et d’édition ». Les auteurs, dans un morceau de rap classique, sont le parolier et le compositeur. La rémunération des diffusions au public (par les radios et autres) se répartit ainsi en France : 33,3% pour l’éditeur, tout comme pour le compositeur et pour le parolier. Les statuts de la Sacem imposent ce pourcentage. Par exemple, en présence de 3 éditeurs, d’un parolier et de 2 compositeurs, le taux est de 11,1% par éditeur (33,3%÷3), 33,3% pour le parolier (33,3%÷1) et 16,6% par compositeur (33,3%÷2). La rémunération découlant de la reproduction mécanique n’est pas fixée par les statuts de la SACEM, mais les contrats décident quasi-systématiquement de la répartition suivante : 50% pour l’éditeur, 25% pour le parolier, 25% pour le compositeur. C’est la SDRM, affiliée à la SACEM, qui est en charge de la collecte. Certaines rémunérations sont un mélange de ces deux taux, notamment en matière de streaming. La SACEM ponctionne une partie des revenus des plateformes, par exemple 1€ sur les abonnements mensuels.
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Les revenus de la Sacem ne doivent pas être confondus avec les royalties. Les royalties sur un morceau ne sont pas versés à des personnes pour leur qualité d’auteur, mais d’artiste-interprète. Si dans le rap une même personne cumule souvent ces deux fonctions (le rappeur interprète les paroles dont il est l’auteur, le compositeur interprète l’œuvre dont il est l’auteur), elles ne sont pas du même ordre (normalement, les royalties sont bien supérieures aux revenus Sacem sur un album). Surtout, elles ne sont pas versées par la même personne (les royalties sont reversées par le producteur). Pour mieux comprendre, pensez aux albums de reprises. Si les chanteurs actuels touchent les royalties, ainsi que le compositeur qui a éventuellement rejoué l’instrumentale, les droits d’auteur versés par la Sacem reviennent à l’auteur et aux compositeurs initiaux ou à leurs héritiers. Ce qui signifie par exemple que les héritiers de Claude François ne touchent pas un euro de la reprise d’un de ses morceaux qu’il n’a pas écrit, puisqu’il n’est que l’interprète de la version sortie des décennies en arrière. Ou s’ils y gagnent de l’argent, c’est qu’un contrat l’a prévu, mais aucune norme n’oblige à verser de l’argent à l’interprète original.
Cela nous donne l’occasion de faire un petit aparté. Si le rappeur qui sort un album touche systématiquement des royalties, les producteurs sont également obligés de verser un petit pourcentage au compositeur. Toutefois, « très peu d’entre eux le font » explique Iksma, beatmaker connu pour son travail avec Jarod, Dinos, PNL, Beeby, ou encore Timal. « La plupart rachètent les bandes à un prix fixe initial, qui peut lui-même être amené à évoluer en fonction du potentiel commercial de l’œuvre. Mais ça reste sans doute le schéma le plus juste pour un compositeur. »
➡ Etapes et conditions de l’adhésion à la Sacem des auteurs, compositeurs et réalisateurs
L’adhésion à la Sacem est ouverte aux auteurs et compositeurs ayant composé ou écrit au moins une oeuvre et justifiant d’un début d’exploitation (via toute plateforme de distribution, ou site d’hébergement de contenu si l’oeuvre a récolté au moins 1.000 vues, mais aussi toute représentation en concert, tout passage radio et toute diffusion sur support phonographique), ainsi qu’aux auteurs-réalisateurs ayant composé ou écrit une réalisation audiovisuelle (retranscription de concert, documentaire à caractère musical, clip) et justifiant d’un début d’exploitation prouvable grâce à un bulletin de déclaration « Vidéo-Variété-Clip » ou « Oeuvre audiovisuelle », une attestation de diffusion publique , un contrat, une lettre d’attention ou une photocopie de jaquette si l’oeuvre est sortie sur support physique.
Ces pièces justificatives doivent être jointes à un formulaire de demande d’admission et complétés par un droit d’entrée de 154€. Cette somme comprend 10€ de part de capital social, c’est-à-dire que chaque nouvel adhérent à la Sacem réalise un apport à son capital social dont le montant et déterminé chaque année par le Conseil d’Administration et donnant droit à une voix en Assemblée Générale. A noter qu’il est également possible de retirer les dossiers d’adhésion au siège de la Sacem (225, Avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine) ou auprès de ses délégations régionales. Le traitement d’une demande d’adhésion est estimé à 12 à 30 jours à compter de la réception du dossier.
La Sacem offre deux modèles de formulaire de demande d’admission. Le premier confie la gestion de tous les droits à la Sacem sur tous les territoires où les oeuvres sont exploitées. Le second formulaire permet de réaliser des apports fractionnés, c’est-à-dire de déterminer avec précision les droits confiés à la gestion de la Sacem et les territoires sur lesquels cette gestion pourra prendre place. Il est donc possible de confier à la Sacem les droits de représentation et d’exécution publique et de reproduction mécanique pour certains territoires. Cette option s’adresse à des artistes ayant confié la gestion leurs droits sur d’autres territoires à des sociétés de gestion collective étrangères. Il est ensuite possible de ne confier à la Sacem que la gestion du droit de représentation et d’exécution publique ou du droit de reproduction mécanique, tout en déterminant les territoires sur lesquels cette gestion s’étendra. Enfin, il est possible d’affiner avec plus de précision les droits confiés à la Sacem en sélectionnant un certain nombre de catégories, par exemple le droit de radiodiffusion. Encore une fois, il est possible de restreindre la gestion de ces droits à certains territoires déterminés.
➡ Quand s’inscrire à la Sacem ? L’intérêt d’une adhésion et les dangers de l’adhésion prématurée pour un jeune artiste
Une fois donnés ces quelques éléments de réponse sur la manière dont on s’inscrit à la Sacem, vient la question la plus importante. Quand s’inscrire ? Les jeunes rappeurs et compositeurs sont souvent pressés, notamment du fait du mythe qui entoure la Sacem, dont les rappeurs aiment bien parler. De plus, l’inscription à la Sacem peut prendre des airs d’équivalent au premier contrat professionnel d’un footballeur. Pour un jeune rappeur, il peut être utile de s’inscrire à partir du moment où il commence à se professionnaliser, c’est-à-dire par exemple au moment de la sortie de son premier EP, s’il commence à générer quelques streams et surtout s’il sort son projet en physique. A moins d’une prise de buzz soudaine, cela ne générera pas beaucoup de droits d’auteur, mais c’est toujours mieux que rien, d’autant qu’il touchera la moitié de la part revenant à l’éditeur.
Pour un jeune compositeur, s’y inscrire pour s’y inscrire ne sert pas à grand-chose. Vous aurez à payer le droit d’entrée de 154€, sans encore générer d’argent. Quel est alors le moment parfait ? « Lorsque le compositeur sait de manière sûre qu’il est placé sur un projet qui va sortir, sinon ce n’est pas utile », nous explique Iksma. En revanche, une fois que ce moment de basculement arrive, qu’il ne traine pas trop à le faire, ça lui simplifiera la tâche. Même si, n’ayez crainte : ne pas encore être inscrit à la Sacem lorsque l’album en question sort n’est pas dramatique. Puisque « les droits sont rétroactifs [ndlr : le compositeur touche également les sommes qui lui étaient dues avant le jour de son inscription], et qu’on signe les contrats dans la dernière ligne droite avant la sortie de l’album. Il est déjà bouclé, le morceau que tu as produit aussi. Alors, même si ça peut l’embêter, l’éditeur ne va pas retirer le morceau de l’album parce que le compositeur n’est pas inscrit à la Sacem. Bien que dans l’idéal, c’est toujours mieux d’être inscrit avant que l’œuvre ne sont déposée, sachant que ça peut également éviter certaines complications avec la SDRM. »
Toutefois, pour ceux qui souhaiteraient à tout prix s’inscrire avant d’avoir placé pour un rappeur consistant, la solution la plus simple à l’heure du streaming reste de faire publier au moins une de vos compositions (nue ou accompagnée des paroles d’un rappeur consentant) sur les plateformes de streaming, via TuneCore ou iMusician, ce qui vous coûtera quelques dizaines d’euros tout au plus. Un point est important : si un éditeur musical vous a fait une proposition, vous pouvez également négocier l’ajout d’une clause au contrat prévoyant qu’il se charge pour vous de l’inscription, et qu’il vous avance les frais liés… Même si l’expérience vous apprendra qu’il n’est jamais inutile pour un auteur d’apprendre à mettre soi-même les mains dans le cambouis administratif. Comme partout dans la vie, d’ailleurs.
En parlant d’éditeur, un aparté est nécessaire : ne prenez pas pour un cadeau du ciel toute proposition d’éditeur qui viendrait à vous. Si le fait de signer peut donner l’impression que l’on change de dimension, n’oubliez pas qu’un éditeur va ponctionner une partie des redevances Sacem qui vous sont dues. Dès lors, soyez sûrs de traiter avec quelqu’un qui vous apportera vraiment quelque chose (consultez d’autres compositeurs ayant signé chez cet éditeur, demandez à l’éditeur ce qu’il a concrètement apporté en termes de placement à d’autres compositeurs, exigez d’être vraiment accompagnés). Si un bon éditeur peut être d’une grande utilité, d’autres ne justifient pas les revenus qu’ils gagnent grâce à vous. Ne vous laissez pas berner par une avance alléchante, elle ne garantit pas forcément que l’on croit en vous : c’est une avance, pas une prime.
Y a-t-il des pièges à éviter lorsque l’on s’inscrit à la Sacem ? Non, pas particulièrement. Les pièges relèvent plus de la négociation des contrats avec l’éditeur du rappeur que de la Sacem en elle-même. Comme le dit Iksma : « Il y en a, mais comme dans tout domaine qui implique un aspect financier. Il faut savoir se renseigner auprès de personnes qualifiées, ainsi qu’être objectivement conscient de la valeur de son travail. » Par exemple, pour les compositeurs, il peut s’agit de la fâcheuse tendance à voir les rappeurs chercher à rogner sur votre part d’édition, en arguant que les mélodies vocales qu’ils posent leur offre la qualité de co-compositeurs. Des pourcentages qui sont ensuite transmis à la Sacem dans le bulletin de déclaration de l’œuvre. Quoiqu’il en soit, n’hésitez pas à consulter un avocat, notamment si vous êtes amenés à être présent sur un projet important ou si vous commencez à entrer en relation avec un éditeur. Ou, à défaut, à vous mettre en quête d’un manager compétent. Cela a un coût, mais c’est le meilleur moyen d’être sûr de ne pas vous faire avoir et de pouvoir tirer la meilleure rémunération possible de votre œuvre.
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