Françaises, français
Lecteur chéri, mon amour.
A mon arrivée sur Hip-Hop Reverse, on m’a donné la formidable opportunité de pouvoir déverser un flot mensuel de conneries sans prendre compte des conséquences -très souvent inexistantes- que je pouvais subir ; mais cette arrivée historique m’a également permis de rencontrer une bien belle bande de dégénérés à la direction du site. Entre un fanatique du petit ourson, un ukrainien mangeur de nouilles, un parisien qui rêve de Sevran et ses paysages somptueux, un absentéiste qui pense encore qu’il peut faire carrière dans le football américain, un chroniqueur persuadé que son chien est le roi des pirates, un mec en master, qui d’ailleurs est le seul du groupe à possiblement avoir un avenir, une jeune diplômée du brevet, un gars fan de manga et de Nekfeu devenu par une cohérence évidente mon binôme, et finalement une groupie officielle de Beyonce, tellement groupie qu’elle est aussi fan de Rohff ce qui n’a, comme tu peux le constater, aucune cohérence ; difficile de parler d’autre chose que de l’appartement sale dans lequel on se réunit tous. Soudée néanmoins par un amour passionnel pour le genre urbain, cette petite communauté de garnements me rappelle combien les collectifs de rappeurs sont pour la plupart tous très intéressants à étudier, alors allons-y.
➡️ Comment se faire connaitre avant Internet?
Quand la Sexion d’Assaut débarque sur la route du succès, elle emmène avec elle tous les rappeurs de l’époque dans un virage très serré -tellement serré d’ailleurs que nombreux sont ceux qui ont connu le destin funeste de la moitié des modules de courses de Star Wars 1. Malgré un carambolage légendaire à en rendre jalouse l’autoroute A6, certains ont tant bien que mal réussi à se sortir les doigts du cul et tourner le volant de la bonne manière pour coller le fion des membres du groupe pionniers de l’ère de la nouvelle génération. Entre freestyle(s) et clip(s) faussement professionnels digne des plus grands porno amateurs, on se retrouve devant un schéma d’évolution de carrière qui rappelle étrangement les années 90, et qui contraste fortement avec le modèle d’évolution actuel. Je m’explique.
A l’époque où Skyrock était vraiment première sur le rap, tous les MC’s de la capitale marchaient des heures dans la sueur, le sang et les larmes pour avoir la possibilité de gratter trente secondes d’antenne et se faire connaître tant bien que mal par les banlieusards parisiens; ces mêmes banlieusards dont les parents en avaient déjà ras la casquette d’entendre un ado de dix-sept piges gueuler dans une branche en bois en guise de micro en bas de leurs fenêtres. Quand les réseaux sociaux ne connaissaient pas encore l’apogée qu’ils connaissent aujourd’hui et qu’Internet n’était qu’un outil de bureautique pour trentenaires revanchards, être rappeur n’était pas vraiment l’avenir rêvé, et le seul moyen de se faire connaître publiquement comme un mec qui avait quelque chose d’intéressant à dire était de charbonner tous les open-mic possibles, tous les concerts improvisés, en bref, tous les endroits où l’on pouvait claquer un couplet marquant, ou pas.
En studio ou à la radio, tout n’était que compétition ; le but étant d’être meilleur que son voisin tout à la fois textuellement que musicalement, alors on s’entraînait des jours et des jours avant d’arriver devant le micro pour cracher ce qu’on pensait être le couplet de sa vie, envieux de rester dans l’esprit de son auditoire au moins jusqu’au sur-lendemain. Du temps où l’industrie du disque saignait (et qu’les n*gros n’arrêtaient pas de signer), les projets qui sortaient se savouraient beaucoup plus, leur attente était donc infiniment plus grande, et compte tenu du fait que les mixtapes n’ont connu leur apogée en France que post-2005 et que les réseaux sociaux ne servaient pas encore de moyen promotionnel, la consommation était dès lors bien plus régulée.
➡️ Aujourd’hui, le rap soumis à la dictature de l’audimat
A l’heure où tu lis ce papier -que j’espère non-tardive, pense à tes études- l’ère du numérique, l’apparition de la trap et la domination totale de YouTube sur l’univers vidéo-ludique ont totalement changé ce modèle de « faire carrière dans le rap », où se disputent maintenant des centaines d’apprentis artistes qui ne connaîtront sûrement jamais le succès escompté. Le genre a séduit plus de personnes en l’espace de sept ans que depuis son arrivée dans les charts francophones au début des années 90 ; la mise en place de chaînes dédiées à la culture urbaine et la couverture médiatique toujours plus importante au fil du temps ont conduit à une explosion de la compétition musicale où toutes et tous souhaitent maintenant eux aussi avoir une part du gâteau. Alors que celui-ci était partagé entre les empereurs indiscutables du rap d’avant 2010, l’arrivée massive de la nouvelle génération, liée par le sang au numérique, a pris de court la classe dominante qui, si elle ne suivait pas le mouvement, se retrouvait alors écrasée par un tsunami de projets en tout genres.
Tout récemment, l’acceptation du streaming dans le comptage des ventes d’albums a mené cette explosion à son paroxysme, donnant à tous l’opportunité de taper un disque d’or sans forcément avoir dû charbonner à droite à gauche durant d’innombrables d’années; ce qui rend la différenciation entre albums-moyens et chefs-d’oeuvres presque impossible tant la légitimité du succès d’un rappeur est remise en question quotidiennement ; mais ça, on y reviendra. Les rookies actuels connaissent un succès rapide et prématuré, mais transformer ce buzz naissant en réelle carrière est une toute autre affaire. Sur le même schéma qu’une école formatant l’élite de la nation, YouTube et SoundCloud sont devenus les l’ENA et Sciences Po de la musique contemporaine. Sur un millier de candidats au concours d’entrée, seulement le quart sera retenu par le jury -ici le public francophone- et si l’on doit écouter un millier de sons, dis-toi cher lecteur que les 3/4 des écoutes ne dépasseront pas la première minute; les autideurs étant envieux de nouveauté(s), ou simplement d’un bon banger à rajouter à sa playlist de boxeur du dimanche. Sur les candidats admis, tous subissent un écrémage foudroyant où seulement la moitié -au minimum- aura conquis tant bien que mal la plèbe pour que celle-ci daigne jeter un oeil à l’actualité des artistes en question.
Dès lors, si les candidats ne sont pas aussi productifs que le jury le voudrait, ou que leur productivité est un frein à leur propre évolution musicale, ils sont oubliés aussi rapidement qu’ils ont été retenu. Arrivé à la fin de la première année, si le projet final, que ce soit une mixtape ou un album, ne dépasse pas les attentes posées par le public, le candidat redouble et se voit mis de côté. A terme, alors qu’on était parti sur une base de mille apprentis-rappeurs, une dizaine reste dans le viseur du jury; sur cette même dizaine, la moitié aura séduit avec son projet; de-là la compétition est d’autant plus rude que tout le monde sait qu’il faut être sur le tremplin final. Sur les trois rookies restants, deux connaîtront un buzz pendant quelques temps, mais un seul parviendra à prendre une place importante au fil des années; un seul réussira à gravir les échelons jusqu’à ce qu’arrive, enfin, l’opportunité rêvée de compter parmi les ténors de la nouvelle génération, devenant alors un solide concurrent pour les empereurs en place depuis on ne sait plus trop quand, et lui permettant d’avoir la chance de marquer son temps et devenir soi-même un modèle pour celles et ceux qui se lanceraient prochainement dans la course.
➡️ Les groupes doivent désormais se légitimer
On voit donc que ce qui permet à untel ou untel d’entamer une carrière durable dans la musique est difficilement dissociable de sa légitimité en tant que rappeur et plus généralement en tant qu’artiste -je t’avais bien dit qu’on y reviendrait- et c’est bien sur ce point qu’un collectif phare des années 2010 s’est appuyé. Devenu une référence voire même l’égérie de la nouvelle tendance au nom dégueulasse de « New-Old School », l’Entourage s’est imposé en moins de temps qu’il n’en faut à Booba pour faire un montage Instagram. A force de détermination et de courage -parce que merde il en fallait pour se lever le matin et clasher Logic Konstantine- les membres du groupe ont sillonné la capitale, cherchant dans ses moindres recoins un hangar partiellement rénové où trainerait un micro et une caisse en bois en guise de scène. A terme, ils ont réussi le pari fou d’être tout à la fois hyper-présent sur les réseaux sociaux tout en gagnant leur légitimité à travers des participations à tous les open-mics, tous les concerts improvisés, bref, à toutes les occasions qui se présentaient devant eux.
Couplant tout ce joli bordel à une série de freestyles dans des endroits insolites, des interviews sous un arrêt de bus à raconter comment faire un concert illégal dans une FNAC, des featurings avec anciens et nouveaux, un master d’économie et de management, un album gagnant d’une victoire de la musique, des visuels de plus en plus professionnels, l’explosion de Nekfeu dans les charts, le textile et l’aisance rapologique d’Alpha Wann, la voix suave de Deen Burbigo, le zozotement attendrissant de Jazzy Bazz, la disparition d’Areno Jazz, et l’album pourri de Sneazzy rattrapé par deux EP certifiés OVO, c’est en suivant une cohérence rare dans le rap que chaque membre du groupe se trouve être aujourd’hui en pleine ascension, même le petit Doum’s, qui passe tout de même d’une performance approximative de voleur de vélib à une performance nettement plus importante, lui permettant d’engrosser Adèle Exarchopoulos, chapeau l’artiste.
En résumé, quand le public voit ton blase de rappeur écrit un peu partout sur la toile -oui, j’ai dis toile- tu en viens très logiquement à gagner en audimat, surtout si chaque apparition met un poing d’honneur à être marquante dans l’esprit de celui qui l’entend. C’est en associant couverture médiatique et quête de légitimité artistique que le collectif en est là où il en est aujourd’hui, pionniers d’un nouveau genre, proche du schéma de carrière d’avant, mêlé à une utilisation parfaite des moyens de communication et des moyens promotionnels mis à disposition par l’industrie musicale; cette même industrie à laquelle ils se sont tous rattachés de près ou de loin après avoir débutés en indépendant, sans pour autant perdre cet esprit de famille qui a plu et qui plaira toujours. La clé du succès en groupe, l’Entourage en a surement un double, voire un triple; et c’est donc assez logiquement si, aujourd’hui, certains collectifs empruntent tant bien que mal le même chemin.