Un fond coloré, un artiste qui se sublime le temps d’un instant et un outfit des plus plaisants : vous assistez bien à un COLORS. Avec son contenu hebdomadaire, le média allemand s’affirme comme une des chaînes les plus séduisantes de YouTube. COLORS, c’est avant tout un gage d’esthétique, un grand plateau au centre duquel siège un micro suspendu. Une scénographie minimaliste que l’artiste peut investir librement. Seul ou accompagné, avec ou sans instruments… La chaîne berlinoise garantit également la qualité sonore de ses vidéos. Chaque performance est minutieusement mixée pour un rendu qu’on dit souvent meilleur que la version studio. La dimension internationale de COLORS lui confère aujourd’hui une certaine aura auprès des artistes. C’est un lieu de promotion, une vitrine d’exposition, une démonstration de style. Alors que de plus en plus de rappeurs francophones y font leur apparition, son influence est déjà bien visible dans le paysage médiatique. Analyse d’un phénomène.
➡️ L’avant COLORS, retour sur les principales initiatives live françaises
Avant l’arrivée de COLORS, on comptait en France déjà quelques initiatives qui faisaient du live un élément central de leur contenu. C’était le cas des Vova Sessions, une émission de la chaîne OFIVE qui invitait des rappeurs pour des performances enfumées dans un cadre noir et blanc. On a vu y défiler Green Money, Jarod, Ol’Kainry ou encore TiTo Prince mais la série s’est arrêtée après quelques épisodes. À la même époque se tenaient également les Stud’ Live Session. Initiés par le média YARD en collaboration avec Believe, ces lives donnaient l’occasion aux invités de réinterpréter leurs morceaux accompagné par des vrais instruments. Avec vingt sessions, c’est l’initiative la plus pertinente et prolifique de cette période aux cotés des Can I Kick It et John Doe qui s’inscrivaient plus dans un format de freestyle courts.
➡️ Des performances de hautes volée portées par la scène belge
Depuis l’avènement de COLORS en février 2016, 24 rappeurs francophones ont investi le studio arc-en-ciel. On remarque par ailleurs une prédominance des rappeurs belges initiée par Krisy. On se remémore sa performance de Julio & sa gogo danseuse dans laquelle il a prouvé qu’il était bien plus que « l’ingé son de Damso ». Quelques mois plus tard, Hamza fait lui aussi forte impression en interprétant le titre 1994 issu de l’album éponyme, qui sera d’ailleurs certifié disque d’or dans l’hexagone. Entre temps, on peut noter la performance de Sopico avec Le hasard ou la chance. Le rappeur du 18ème, lance par la suite la série Unplugged. Si cette dernière s’inspire du live MTV Unplugged de Nirvana, elle reprend aussi de l’esthétique très léchée de COLORS. Avec sa prestation de 300 (Henri), Roméo Elvis signe en juillet 2018 le passage le plus visionné pour un rappeur francophone (plus de 15 millions de vues). Ironie du sort, la vidéo sort le jour de l’élimination de la Belgique par la France en demi-finale de la Coupe du monde. Dinos, Caba & JJ, Josman, S. Pri Noir, Koba LaD… Les performances s’enchaînent et séduisent un public aussi bien international que local.
➡️ Une plateforme sollicitée et son immense potentiel marketing
Si au départ, les artistes étaient invités par COLORS c’est désormais plutôt l’inverse depuis la mise en place d’un dispositif de candidature. D’après les informations présentes sur le site, les artistes sont bookés un mois à l’avance sur la base d’une certaine cohérence dans leur démarche. On peut observer cette méthode de sélection au travers des collaborations avec les marques Adidas et Clarks. Ainsi on a pu voir défiler à quelques jours d’intervalle les rappeurs Lefa, Gunna, J.I.D et Not3s pour la collaboration avec Adidas Football. Dans un autre registre, Ama Lou, Mick Jenkins et Snoh Aalegra arboraient des Clarks sur une autre période. La récente masterclass d’Alpha Wann suite à la sortie du maxi PPP démontre que COLORS s’inscrit également dans des logiques promotionnelles. Ce projet trois titres sur lequel figure l’inédit Pistolet Rose 2 ainsi que les titres PlayOffs et Pistolet Rose, était pour l’artiste l’occasion de fêter l’anniversaire de son premier album UMLA. On peut également prendre l’exemple de Skepta et l’effet thermographique utilisé lors de son passage qui correspond à l’esthétique de son dernier album, Ignorance Is Bliss.
➡️ Un impact réel et une influence déjà visible chez les concurrents
Depuis l’arrivée de COLORS en février 2016, son influence est déjà bien visible sur les initiatives qui lui sont antérieures et postérieures. Parmi les initiatives antérieures on va s’intéresser à Vevo DSCVR. Lancée en mars 2013, la chaîne propose des vidéos lives avec un setup proche de ce qu’on a pu voir plus haut avec les Stud’ Live Session. Courant 2018, elle adopte une nouvelle esthétique avec un plateau très proche de celui de COLORS. Sans faire de grand scandale cette nouvelle imagerie est vivement critiquée sur les réseaux sociaux. Pour se débarrasser du spectre COLORS, Vevo lance Vevo ROUNDS. Le concept repose sur des performances filmées à 360° et publiées sur la chaine de l’artiste concerné… Sur lesquelles on ressent de nouveau l’influence COLORS. De quoi donner des migraines aux directeurs artistiques de Vevo pour un bout de temps. L’ADN COLORS, est également visible chez des médias français comme Melty et OKLM. Si le concept Melty Originals reprend l’esthétique de la chaine internationale pour l’adapter en interview, #TalentOKLM tente de s’en détacher en adoptant le format story et en intégrant des effets et un bandeau texte. On retrouve cependant le micro fixe et le positionnement en 3/4 de COLORS ainsi que les néons de Vevo. Autre grosse innovation, la sélection d’artistes résolument tournée vers les newcomers pour un format calibré réseaux.
➡️ Quel avenir pour les performances live filmées en France ?
Pour affirmer que COLORS est la chaine musicale la plus influente du net, il faut s’intéresser à ses « concurrents ». Si Vevo dispose également d’une envergure internationale, elle ne peut prétendre à un tel statut tant qu’elle s’inspire de son principal concurrent. Seul Tiny Desk parvient à présenter un contenu différent et pertinent sans pour autant prétendre au même impact. En France, l’émission Clique propose aux artistes un espace de performance sur le modèle des late-night show américains. Pour autant tout indique que les artistes continueront d’affluer pour donner le meilleur d’eux même. Loin de se reposer sur leurs lauriers, les berlinois semblent tendre également vers un contenu meilleur. Le plateau évolue, la qualité sonore évolue, les collaborations permettent de garder une certaine autonomie financière sans perdre son intégrité. L’espace rap francophone est encore largement dominé par le format freestyle avec les Planète Rap, Rentre dans le Cercle, Booska Freestyle, Couvre Feu et autres Grünt. Le petit dernier s’appelle Red Binks. La branche street du géant Red Bull a lancée depuis quelques mois une série de freestyles filmés par un bras robotique… Assez impressionnant !