La scène new-yorkaise des années 90 a connu bon nombre d’artistes rap, il nous faudrait des heures pour tous les citer. Big L était de ceux là. Lamont Coleman de son vrai nom est originaire d’Harlem, un quartier berceau de la culture afro-américaine qui aura vu naître au cours des époques des légendes comme 2pac et A$AP Rocky en passant par P. Diddy. Malgré sa courte carrière, Big L est considéré comme l’un des artistes de référence de la scène new-yorkaise. En effet, il aura laissé dans le rap une empreinte à jamais gravée dans les mémoires, notamment avec la sortie de son premier album solo Lifestylez ov da Poor & Dangerous. Cet opus a grandement contribué au succès du rappeur, surtout après sa mort, n’ayant pas eu le retentissement qu’ont pu avoir les grands albums new-yorkais des années 90. Sorti chez Columbia Records, il marque les débuts fulgurants d’un rappeur plus que prometteur au flow tranchant, aux lyrics affûtés et qui s’inspire des plus grands de sa génération aussi bien dans sa façon de rapper que dans le choix des instrus. Courte mais intense, la carrière de Big L n’aura pas laissé de marbre les amateurs de rap comme ses pairs. Brièvement, il laissera sa marque et contribuera à l’essor fulgurant de la scène new-yorkaise de l’époque, en apportant sa pierre à l’édifice qui permettra de forger l’identité du rap à New-York dans les années 1990.
➡ Lifestylez ov da Poor & Dangerous, un condensé du rap new-yorkais des années 90 pour un succès commercial décevant
C’est probablement le projet de référence de Big L dans l’imaginaire collectif. Il voit le jour le 28 mars 1995 chez Columbia Records. Au-delà du fait qu’il est brillant musicalement, il reste, comme il a déjà été dit plus haut, un pur produit de l’école new-yorkaise, avec à la baguette des producteurs biens connus de cette scène comme Lord Finesse, le principal architecte musical du projet, Kid Capri ou encore Craig Boogie. Ces derniers se sont attelés a produire un projet qui respirait l’air musical de ce qui était à l’époque la capitale du rap. Lord Finesse était probablement le plus renommé et brillant des trois. En effet, il avait travaillé les années précédentes sur des projets tels que Ready To Die avec le morceau Suicidal Thoughts ou encore sur le premier album studio de Fat Joe, Represent. Big L était donc entouré de professionnels, de personnes ayant cette capacité à faire ressortir le meilleur d’un artiste, de lui permettre de se sublimer tout en lui laissant une marge de manoeuvre importante. On retrouve dans cet opus un mélange subtile de ce qui se faisait de mieux à New-York à l’époque, de l’ambiance jazz rap d’A Tribe Called Quest présente dans plusieurs instrumentales au rap cru et brutal de Prodigy et Havoc, en passant par l’influence des lyrics et de l’ambiance des morceaux de Big Daddy Kane. Big L savait faire énormément de choses, notamment changer de flow, l’adapter en fonction de l’instrumentale et de l’ambiance qui en découle.
Big L s’attachera à poser des des instrumentales à influence jazz, un genre dont le quartier d’Harlem est l’un des berceaux sur la côte Est. On le retrouvera dans cet exercice sur le morceau All Back, avec ses rythmes de batteries propres au jazz et à la ligne de contrebasse en fond, accompagnée des instruments à cuivres qui font l’identité du genre. L’alchimie entre cet unvers jazz et le côté underground, spontané de Big L était brillante, quasi naturelle. Cependant, Big L garde la même manière de raper, avec un flow percutant, bien calé sur le tempo de l’instru. On retrouve ici les caractéristiques frappantes du rap East Coast, avec des beats simplistes, une forte présence de la caisse claire pour marquer ce dernier et accompagner dessus les lyrics et le flow du rappeur. Enfin, on retrouve dans ce projet l’influence de l’un des pilier de l’époque, Big Daddy Kane. Artiste rap majeur de la première moitié de la décennie 90, le rappeur influencera grandement Big L dans sa façon de raper mais également dans le choix des instrumentales sur lesquelles il posera. L’exemple le plus flagrant de cette influence reste le morceau Da Graveyard, où l’instru et son flow rappellent clairement la musique que pouvait nous sortir le grand Kane. Big L ira jusqu’à sortir un morceau, Fed up Wit the Bullshit, dont l’instrumentale est une reprise d’un son de Big Daddy Kane. Il s’inscrit alors dans la lignée de ces jeunes artistes rap qui ont un profond respect pour leurs aînés, qui se servent de leur musique pour se forger leur propre identité et reprennent les caractéristiques qui leurs conviennent le mieux, sans pour autant plagier. En effet, Big L c’était construit sa propre image, s’est forgé sa propre identité, qu’elle soit musicale ou au niveau de son attitude.
Loin de la réussite musicale de ce projet et de sa reconnaissance aujourd’hui comme d’un album classique, Lifestylez ov da Poor & Dangerous connaît un succès commercial mitigé, jugé trop underground par le grand public et la presse spécialisée. En effet, ces derniers s’attendaient à un opus plus mainstream du fait qu’il soit sorti chez le poids lourd Columbia Records. Cette vision était aux antipodes de la vision artistique de Big L, qui souhaitait garder cette authenticité dans ses morceaux, sans filtres et sans arrangements musicaux. Le natif d’Harlem nous a servi un produit à l’état pur, une sorte de matière première brute. Seul un tube, au sens commercial du terme, ressort réellement de ce projet, Put It On. C’était ça Big L, un diamant brut, qu’on ne pouvait polir sans lui enlever son authenticité. En comparaison avec un album comme The Infamous sorti par Mobb Depp la même année, mister L était loin du compte, avec un accueil mitigé, notamment concentré dans l’agglomération de la grosse pomme. Pour Columbia, c’est le début de la fin, et le label ne tardera pas à se débarrasser du jeune prince d’Harlem.
➡ L’expérience indépendante de Big L brutalement stoppée une fin tragique et inattendue.
Des différends artistiques et commerciaux finirent donc par opposer le jeune rappeur à son label, les deux n’arrivant pas à s’entendre sur le style de rap qu’il devait produire. N’ayant pas réussi à trouver d’accord qui satisferait les deux parties, ces derniers décidèrent donc de mettre fin à son contrat. Malgré sa sortie dans un gros label, ce premier album de Big L le catégorise d’emblée comme un rappeur underground à forte visibilité. Son succès commercial mitigé, voire faible le place dans cette catégorie, et le natif d’Harlem ne demandait pas mieux, voulant rester loin du grand succès commercial et du virage parfois mainstream que prenait une partie de la scène rap de l’époque, avec l’élargissement de l’auditorat et le succès fulgurant du rap aux Etats-Unis.
C’est en 1998 que Big L décide de fonder son propre label, Flamboyant Entertainment, et se consacre à la réalisation d’un tout nouvel opus, The Big Picture. L’album ne verra malheureusement pas le jour du vivant de Big L, ce n’est qu’un an après la mort tragique du rappeur que cet opus sera commercialisé. On retrouve dans ce second projet bon nombre de featurings avec des invités de prestiges, à savoir Guru, Fat Joe ainsi que Kool G Rap, où Big L s’adonne à poser un couplet merveilleux sur une instru qui l’est tout autant, Fall Back. Le beat vient vous fracasser sans prévenir et le jeune MC arrive et vous achève. On a ici un rap pur, authentique, sans filtre. L’une des surprises de ce projet et d’y retrouver un couplet de 2pac sur le morceau Deadly Combination (qui porte aujourd’hui malheureusement bien son nom). Encore ici, c’est un flow tranchant, tout aussi percutant qui vient se glisser à merveille sur une instru sur mesure pour L.
Cette brève expérience indépendante se solde par une signature chez Roc-A-Fella Records, le label de Diamond Dash affilié à Def Jam Records. Big L y signe en tant que groupe avec deux MCs et nul autre que Jay Z. Le groupe se faisait appeler The Fawlpack. Cependant, rien de tout cela n’aboutira, car une semaine plus tard, Big L se faisait assassiner par balles à Harlem. Le prince d’Harlem n’avait alors que 24 ans. Le mobile du meurtre est encore flou à l’heure actuelle, mais on pense à un règlement de compte lié au frère de Big L : soit les tireurs l’auraient confondu avec son frère Leroy, soit ce dernier aurait été la cible d’une macabre vengeance. Directement après sa mort, les hommages au jeune défunt affluent, notamment en musique, avec le célèbre Full Clip de Gang Starr, ou l’on entend DJ Premier entonner le désormais célèbre Big L rest in peace. Ces hommages montrent parfaitement l’attachement des rappeurs de la grande pomme à leur défunt prodige, ce côté grande famille de la ville est fortement perceptible. L’un des ciments de cette famille, ce sont les hommes de l’ombre, les producteurs (Lord Finesse, DJ Premier, Pete Rock, etc.) qui n’ont eut de cesse, durant toute la décennie, de produire nombre de classiques pour ces différents rappeurs.
De son vivant, le succès de Big L n’était que très local, notamment centré sur l’agglomération new-yorkaise. Figure importante de la scène underground de la grande pomme, le petit prince d’Harlem ne connut malheureusement un succès à la hauteur de son talent qu’après sa mort. Quand on parle de lui aujourd’hui, c’est ce sentiment de gâchis qui ressort bien souvent. Son premier projet ne le propulsera pas au rang de certains de ses pairs, tels que Jay Z et Nas. C’est à partir de The Big Picture que le rappeur commence à être reconnu en dehors de New-York comme un fort potentiel gâché. Élément important de sa renommée actuelle, c’est l’élargissement de l’auditorat rap, qui a, durant les années 2010 redécouvert la scène new-yorkaise des années 90. Big L, c’était l’authenticité, les rues de New-York sous leur jour le plus réaliste. Loin du mainstream qu’il réfutait, notre prince d’Harlem sera resté jusqu’au bout dans ce registre rap quasi-naturaliste.