Qu’on se le dise, Banlieusards ne désignera plus uniquement l’un des titres les plus longs de la carrière de Kery James, bien connu du public rap, extrait de son album À l’ombre du show business. C’est désormais aussi le nom du premier film que le rappeur du Val-de-Marne a entièrement scénarisé et co-réalisé avec Leïla Sy. Cette dernière fait incontestablement partie des réalisateurs les plus en vue du rap français cette année. Après avoir participé à la conception du clip de Woah, l’un de nos grands favoris de la cuvée 2018, elle décide de passer à l’étape supérieure et s’associe à l’un des grands noms de l’histoire du rap français pour un long-métrage qui fera date. Deux semaines à peine après sa mise en ligne le 12 octobre 2019 sur la plateforme Netflix, Banlieusards cumule déjà plus de 2,5 millions de visionnages. Une réussite incontestable en termes d’audience et de couverture médiatique, mais qu’en est-il de l’oeuvre en tant que telle ?
➡️ Les destins croisés de trois frères que tout oppose
On ne présente plus Kery James tant sa carrière musicale est fournie et couronnée de succès : membre du mythique groupe Ideal J, fort d’une discographie de sept albums solos depuis 2001 avec des dizaines de milliers de vente et de nombreuses certifications à la clé. Depuis, Kery s’est lancé dans une nouvelle aventure : l’écriture et la réalisation d’un long-métrage. Un projet ambitieux qui aura mis du temps à voir le jour suite aux nombreux refus de financement et de diffusion essuyés par le rappeur et son équipe. C’est finalement à l’automne 2018 que le tournage est lancé à Champigny-sur-Marne, dans le département d’origine de Kery. L’histoire suit les destins croisés de trois frères élevés seuls par leur mère. L’aîné, Demba (interprété par Kery James), gère le trafic de drogue dans sa cité et doit faire face à la concurrence ; le cadet, Soulaymaan, est élève avocat et s’apprête à participer à un concours d’éloquence contre Lisa, une autre étudiante qui ne le laisse pas indifférent ; le plus jeune, Noumouké, passe le brevet mais est plus admiratif de l’argent facile de son grand frère que des études de Soulaymaan.
➡️ Une réalisation sobre et efficace, pierre angulaire de Banlieusards
Difficile en premier lieu de passer à côté du travail de réalisation et de photographie de Kery James, Leïla Sy et toute l’équipe du film. Les plans sont simples, sobres et crus et retranscrivent bien l’ambiance et l’intensité du scénario. C’est incontestablement l’une des pierres angulaires du succès de Banlieusards… Pas étonnant, quand on sait que le directeur de la photographie est Pierre Aïm, qui a notamment travaillé sur La Haine ou encore Polisse ! Autre gros point positif, la durée relativement courte du film qui lui permet de maintenir un rythme soutenu de bout-en-bout, pas vraiment de temps morts malgré quelques inévitables scènes répétitives qui n’apportent pas grand-chose au propos général. Une performance à saluer, celle du cadet de la fratrie Noumouké, interprété par Bakary Diombera. Un rôle prenant pour le personnage le mieux développé de Banlieusards, tant dans ses relations avec sa famille et notamment l’admiration malsaine qu’il a pour son grand frère, que celles qu’il entretient avec son environnement. Pour terminer, on saluera le cast secondaire de qualité avec la présence de Mathieu Kassovitz, Slimane Dazi ou encore Dali Benssalah, révélé dans la sérié Canal + Les Sauvages et à l’affiche du prochain James Bond…
➡️ Un traitement superficiel des problématiques de fond
Pour autant, le film souffre de deux défauts majeurs : l’interprétation de nombreux de ses acteurs et le traitement superficiel des problématiques de fond. Un certain nombre d’acteurs, dont, entre autres, les interprètes de Souleymaan ou de Lisa, sont assez poussifs dans leur jeu. Une impression de récitation qui tourne vite à la gêne et empêche de s’immerger pleinement. Le concours d’éloquence, climax du long-métrage, est l’illustration parfaite de ce sentiment. Kery fait s’opposer les deux participants autour de la question : « L’Etat est-il seul responsable de la situation des banlieues en France ? ». Il fait défendre l’État par le jeune personnage noir habitant en banlieue et fait accuser l’État par la jeune personnage blanche aisée vivant en plein Paris. Une inversion des rôles légèrement prévisible mais pas dénuée d’intérêt à priori qui prend rapidement des allures de pétard mouillé et peine à trouver une conclusion. Une belle intention, une large palette de réalités à dénoncer mais un traitement trop lisse qui esquive la prise de position. Un résultat loin d’être mauvais, mais honnêtement décevant quand il est lu en perspective de la carrière de Kery James. En espérant que les retours motiveront ce dernier à retenter l’expérience en s’octroyant des coudées plus franches…