La fin des barrières à l’entrée dans l’industrie musicale et la distribution (quasi) gratuite pour tous comporte son lot d’effets inattendus. Parmi eux : l’explosion du nombre de titres sur les plateformes. A la fin de l’année 2023, 184 millions de morceaux étaient disponibles sur l’ensemble des plateformes de streaming, soit une hausse de 16,5% en comparaison à 2022. Cependant, cet abattement des obstacles à la distribution comporte une face cachée : parmi ces titres, 158,6 millions comptabilisent seulement 1000 écoutes ou moins.
Plus révélateur encore, ce sont 45,6 millions de morceaux (soit presque 24,8% de l’ensemble de l’offre musicale) qui n’ont pas été écoutés une seule fois l’année dernière. Un chiffre en hausse de 20 % par rapport à 2022. Cette offre musicale pléthorique commence à poser des problèmes aux plateformes, à la fois pour des raisons de rémunération des ayants-droits et de stockage.
Les limites du système market-centric
Au milieu des années 2000, les revenus générés par l’industrie musicale chutent suite à l’effondrement des ventes de disques. L’arrivée du streaming permet au marché de se relever progressivement, porté par un nouveau modèle économique. Appelé market-centric, ce système rémunère les artistes en proportion du nombre d’écoutes de chaque morceau. Cela marque une rupture historique avec la rémunération au nombre de ventes à l’époque du disque physique. En effet, la rémunération au nombre de ventes avait été la norme depuis le milieu des années 1950. La réussite économique du modèle market-centric a pour revers certains effets pervers : émergence de « bruits blancs », fraude avec des titres de 31 secondes. Ces derniers créent une inquiétude chez les acteurs de l’industrie. Dans un contexte où la publication de nouveaux titres sur les plateformes est plus importante chaque année, la fragmentation de la rémunération menace l’avenir d’une partie des artistes professionnels.
En jouant avec le système, des individus et des entreprises spécialisées mettent en ligne sur les plateformes de streaming des fichiers audio à faible valeur ajoutée afin de profiter de la rémunération au prorata. Sans pour autant compter un nombre important de streams, ces audios sont inclus dans le prorata, et diminuent de facto la rémunération des artistes professionnels. L’augmentation plus importante du nombre de morceaux à 0 écoute par rapport au nombre de nouveaux morceaux interroge, cette fois en terme de stockage. Alors que les grandes entreprises tech sont la cible de critiques face à la consommation énergétique de leur data centers, se pose la question de l’utilité de la conservation de millions de titres qui ne génèrent aucune écoute. Si les plateformes ne parlent pas explicitement de supprimer ces titres, le changement de système de rémunération marque une première étape dans la gestion de ces titres à faible écoutes.
Le système artist-centric, une réponse adaptée ?
La signature d’accords entre Deezer et Universal Music Group, et Wagram, ainsi que l’annonce du changement de rémunération de Spotify en 2024 entérinent une nouvelle forme de rémunération. Ce système dit artist-centric élimine le paiement des audios en dessous d’un certain seuil d’écoutes. Ce système veut ainsi mieux rémunérer les artistes professionnels. Spotify estime ainsi être en mesure de reverser plus d’1 milliard de dollars supplémentaires aux artistes au cours des 5 prochaines années. Cela s’opère donc par une réduction de la quantité de morceaux se partageant les redevances, augmentant mécaniquement celles des morceaux les plus écoutés.
Le système artist-centric se place donc comme une première étape pour faire face à l’afflux toujours plus massif de titres sur les plateformes. Il se positionne donc comme un système profitant aux artistes humains (sur le papier en tout cas) et évitant la déperdition des redevances qui leur sont dues. Reste à voir si les plateformes parviendront dans le futur à réguler les fraudes directement auprès des agrégateurs (comme Distrokid ou Tunecore), qui peuvent endiguer une partie des faux morceaux avant même leur publication sur les plateformes.