Le mardi 30 janvier, Universal Music annonce le non renouvellement de son contrat de licence avec TikTok, qui permettait aux usagers de l’app de partager des morceaux de son catalogue. Dans son communiqué, la maison de disques explique ne pas avoir réussi à trouver un terrain d’entente avec la plateforme chinoise. UMG accuse TikTok d’«essayer de développer une entreprise dont le fondement est la musique, sans payer la musique à sa juste valeur ».
Au total, cela représente plus de 3 millions de titres à minima distribués par Universal, et 4 millions de morceaux dont les éditions sont représentées par sa branche publishing. Cette perte pose d’autant plus question que le réseau social était parvenu à devenir un acteur à part entière de l’industrie musicale, par les mouvements de viralités qu’il crée autour de certains morceaux. Ce tour de force de la part d’UMG s’apparente à une tentative de tester le « monopole » de TikTok sur la découverte musicale, tout en réaffirmant sa position de leader. Décryptage d’un duel d’ampleur entre deux poids lourds de l’industrie musicale.
Les dessous de l’accord entre TikTok et les majors
Créée en 2016 par la compagnie tech chinoise ByteDance, TikTok est une application qui permet de poster des vidéos courtes verticales accompagnées de musique (à l’instar de Musical.ly qui avait été racheté par ByteDance et fusionné avec TikTok). En l’espace de trois ans, la plateforme est parvenue à se hisser comme le réseau social avec la croissance la plus forte dans le monde. Par son rôle de curateur, il devient un acteur incontournable pour les majors. Cette évolution pousse ces dernières à signer des deals de licence sur leurs catalogues respectifs : Sony Music et TikTok concluent un accord en novembre 2020, Warner Music en décembre 2020 et enfin Universal Music en février 2021.
Le contrat signé par Universal Music offre la possibilité aux utilisateurs de la plateforme de se servir des audios et vidéos appartenant à la major. Ce contrat se présente comme « gagnant-gagnant » et affiche deux objectifs : offrir une rémunération équitable aux ayants-droits et élargir l’expérience des utilisateurs.
Ces accords permettent ainsi à TikTok d’étendre sa domination en tant que plateforme de « social music » et de distancer ses premiers concurrents tels que Triller. Le réseau social entame une deuxième phase à partir de l’été 2023. Le 18 juillet, il dévoile une extension de son accord pré-existant avec Warner Music. Cette nouvelle version accorde une licence sur les catalogues de musique enregistrée et d’éditions à TikTok, mais également à son nouveau service de streaming TikTok Music, et à l’application de montage vidéo CapCut. Cet élan d’extension se retrouve stoppé net par le refus d’Universal de signer un nouvel accord.
TikTok maintient sa ligne face à Universal
Face au rejet d’Universal, TikTok estime être floué. Pour le réseau social, Universal Music fait « passer sa propre cupidité avant les intérêts de ses artistes et auteurs-compositeurs. ». La plateforme se retrouve ainsi amputée d’une grande partie de son catalogue musicale. L’intégralité des vidéos comportant un morceau appartenant à Universal se retrouvent désormais silencieuses. Cependant, cette annonce pourrait donner une réponse à TikTok quant au fait qu’elle puiss exister sans la musique des majors.
En février 2023, une situation similaire s’était produite sur le territoire australien, où l’accès à la musique des majors a été limitée pendant une courte période pour certains utilisateurs. Organisée par TikTok cette-fois, cette expérience s’inscrivait dans les négociations avec les majors, et servait à démontrer, selon le réseau social, de leur moindre importance dans l’écosystème de la vidéo courte. Si les tests de TikTok ne s’étaient pas démontrés concluants à l’époque, elle fait cette fois-ci face à une situation grandeur nature qui permettrait de répondre à sa question : est-ce que les utilisateurs vont continuer à utiliser la plateforme si le catalogue des majors disparaît ?
L’annonce d’Universal est à relativiser en fonction des marchés. La France, par exemple, ne sera pas impactée sur l’aspect des éditions d’Universal, en raison d’un partenariat reliant directement TikTok à la SACEM (l’organisme gérant les redevances des auteurs-compositeurs). Le dernier point d’interrogation est celui de sa plateforme de streaming, TikTok Music. En tant que service similaire à Spotify, l’application (disponible pour l’heure en Amérique du Sud et en Asie du Sud/Sud-Est) perd potentiellement une grande attractivité pour le public avec la perte du catalogue d’Universal.
Pour Universal Music, un test grandeur nature
Du côté d’Universal Music, cette situation peut s’interpréter comme la nouvelle étape d’un bras de fer entre deux géants économiques. Universal perçoit TikTok comme un acteur qui utilise la musique pour étayer son expérience utilisateur, sans pour autant en rémunérer les ayants-droits comme il se doit. Dans un contexte où la présence massive sur TikTok d’enregistrements générés par IA dilue la réserve de redevances pour les artistes, Universal souhaite réaffirmer sa position de leadership.
Dans son communiqué, Universal déclare que TikTok ne représente que 1 % de son chiffre d’affaires. Cela induit donc que les revenus générés grâce à TikTok sont « négligeables » et que le but est de déstabiliser le réseau social, pour potentiellement établir un autre accord. Permettant ainsi à Universal d’être en position de force (et qui pourrait inciter les autres maisons de disques actuellement en contrat à renégocier) et donc d’imposer ses mesures. Pour l’heure, le catalogue d’UMG est indisponible sur la plateforme, un délai de réflexion de 30 jours existe selon Music Business Worlwide. Ce qui signifie que le jour J définitif pour la suppression du catalogue d’édition pourrait n’arriver que fin février. Laissant ainsi une fenêtre d’un mois à TikTok pour tenter de revoir sa position et de parvenir à établir un nouvel accord avec son ex-partenaire.
La présence d’un acteur aussi jeune mais puissant que TikTok face à une poignée d’entreprises qui dominent le marché crée un jeu de pouvoir où chacun souhaite trouver la solution la plus efficiente pour lui, tout en risquant de nuire aux artistes qui se trouvent mêlés au cœur de ces négociations sans forcément pouvoir émettre leurs avis. Ainsi, les artistes en développement présents dans le roster d’Universal risquent de perdre en visibilité, car ils ne disposeront plus de la puissance virale que TikTok peut apporter. Reste à voir si la major sera impactée pour ses futures signatures.