Bouleversement dans le monde des réseaux sociaux : véritable faiseur de tubes depuis 2019, TikTok franchit une étape supplémentaire en lançant sa propre plateforme de streaming ainsi que son agrégateur numérique. Avec cet écosystème musical fraichement constitué, l’application ancre son développement en concurrence avec celui de YouTube.
Là où Google a choisi, depuis la fermeture de Google Play Musique courant 2020, de regrouper l’ensemble de ses fonctionnalités musicales autour de la plateforme YouTube (YouTube Music, Shorts), ByteDance privilégie une logique décentralisée en développant une myriade d’applications interconnectées.
Derrière ses applications les plus visibles en occident, en particulier TikTok, ByteDance a étendu ses activités à de nombreux secteurs en Chine et en Asie, de la santé à la finance en passant par le divertissement. Bien souvent, c’est sur ces marchés que le géant teste en premier les fonctionnalités les plus avancées de ses applications.
Pour les artistes et professionnels de la musique, ce conflit technologique touche à de nombreux enjeux : monétisation de la musique et des contenus associés, nouvelles sources de revenus, outils marketing et d’analyse de consommation…
TikTok et YouTube face à face : Shorts, musique…
Annoncé par YouTube en 2020, le format Shorts a connu deux phases de testing en Inde et aux États-Unis courant 2021, avant avant d’être déployé dans le reste du monde en juillet 2021. Très proche du concept de TikTok, Shorts consiste en un enchaînement de vidéo courtes (entre 15 et 60 secondes), que l’utilisateur peut faire défiler en mode portrait.
Un peu moins d’un an après son lancement, YouTube révèle une statistique encourageante : 30 milliards de vues par jour proviennent des Shorts.
De son côté, TikTok compte plus d’un milliard d’utilisateurs mensuels, qui passent en moyenne 52 minutes par jour sur l’application. En réponse à la création de Shorts, le réseau social de ByteDance allonge la durée de ses vidéos de 60 secondes à 3 minutes en 2021, puis de 3 à 10 minutes en 2022.
La nouvelle cible du réseau social chinois : les vidéos musicales, un atout incontournable dans cette guerre pour l’attention (et donc le temps des utilisateurs). En 2019, elles ne représentaient que 5% des contenus sur YouTube pour 20% du volume global de vues.
Streaming musical, le nouveau défi de TikTok
Après s’être posé en sérieux concurrent de YouTube dans la création des hits par l’incubation de titres viraux et leur diffusion dans le monde, TikTok ambitionne désormais d’être le premier interlocuteur des artistes.
En mars 2020, le réseau social annonce le lancement de sa première plateforme de streaming : Resso. Rendue disponible en Inde dans un premier temps, l’application est progressivement déployée en Indonésie, au Brésil et dans plusieurs autres pays. En 2021, elle figure déjà au deuxième rang des applications des streaming musical les plus téléchargées au monde, derrière Spotify.
Un an plus tard, ByteDance annonce le lancement de son propre agrégateur numérique, permettant aux artistes indépendants de distribuer leur musique sur l’ensemble des plateformes de streaming.
À la différence des leaders du secteur, DistroKid et TuneCore, SoundOn offre aux artistes de distribuer leur musique gratuitement et de toucher 100% de leurs revenus Resso et TikTok. Pour les applications extérieures à l’écosystème de ByteDance, le taux de reversement passe à 90% après la première année.
Un écosystème d’applications interconnectées
Progressivement, ByteDance crée des ponts entre l’ensemble de ses nouvelles applications pour mettre en place un véritable écosystème musical.
Face à YouTube Studio, l’outil d’analyse de données de consommation le plus performant du marché, TikTok doit se doter d’une interface pour permettre aux artistes d’accéder à des données précises sur l’utilisation de leur musique. En distribuant leurs titres sur SoundOn, les artistes indépendants disposent ainsi d’informations privilégiées en provenance des applications de ByteDance, en particulier TikTok et Resso.
Sur TikTok, ils peuvent également activer des fonctionnalités exclusives : un onglet Musique sur leurs profils, ainsi qu’un renvoi à leur profil depuis les pages dédiées à leurs titres. SoundOn promet également à ses utilisateurs une prise en compte privilégiée par les équipes éditoriales de TikTok et Resso.
Certains titres à fort potentiel accèderont à un programme de promotion et d’influence par les équipes de ByteDance, sans surcoût pour les artistes. Enfin, dans les pays sans lesquels Resso est déployé, les pages TikTok dédiées aux morceaux de musique renvoient directement à la plateforme de streaming.
Une offre de monétisation encore insuffisante
Tout au long des années 2010, les acteurs de l’industrie musicale dénoncent l’écart de revenus entre YouTube et les plateformes de streaming audio, désigné par le terme value gap. Pour répondre à ces critiques, Google lance en 2014 une offre d’abonnement, Music Key (qui deviendra YouTube Red, puis YouTube Premium), puis une seconde en 2015 avec YouTube Music.
En 2016, le géant californien place Lyor Cohen à la tête de la musique chez YouTube, un geste de plus pour favoriser le rapprochement avec les maisons de disques. Une décennie plus tard, TikTok est en passe d’être confronté à un problème très similaire.
Sur le réseau social, les créateurs ne sont pas rémunérés via des annonces publicitaires mais, s’ils répondent à un ensemble de critères, peuvent rejoindre le TikTok Creator Fund. Ce dernier finance les créateurs en fonction des performances de leurs vidéos, en moyenne entre 2 et 4 centimes de dollars par 1000 vues.
Pour les artistes dont la musique est reprise par plusieurs utilisateurs, la rémunération n’est pas calculée en fonction du nombre de vues générées mais en fonction du nombre de créations de vidéos. Un titre utilisé sur une unique vidéo cumulant un volume conséquent de vues, et contribuant donc à retenir un nombre important d’utilisateurs sur l’application, ne génèrera donc pas plus de revenus que si la vidéo n’avait cumulé que quelques vues.
TikTok coins et cadeaux virtuels : de nouveaux modèles ?
Face à ce problème, ByteDance fait la promotion de nouveaux canaux de monétisation. En 2022, Tiktok annonce être l’application sur laquelle les utilisateurs dépensent le plus d’argent.
Entre janvier et mars, le montant de ces dépenses dépasse 840 millions de dollars, soit 40% de plus qu’au cours du dernier trimestre de 2021. Ces dépenses sont principalement effectuées en TikTok coins, la monnaie du réseau social, qui permet notamment d’offrir des cadeaux virtuels aux utilisateurs lorsqu’ils diffusent une vidéo en direct.
Pour citer quelques exemple, un donut vaut 30 pièces, une casquette 99 pièces ou encore un bélier 9999 pièces. À la manière de jeux freemium tels que Clash Royale, l’application propose plusieurs packs aux utilisateurs. Comptez 50 centimes d’euro pour 36 pièces, 11.39 euros pour 700 pièces et 116,50 euros pour 7000 pièces.
Le destinataire d’un cadeau virtuel perçoit la moitié de son coût, les 50% restants constituant la commission de TikTok. En avril, YouTube contre-attaque avec l’option SuperThanks, qui permet de réaliser des donations aussi bien sur des vidéos live que pré-enregistrées.
Le futur de ByteDance : IA, artist services…
ByteDance a d’ores et déjà posé les bases du développement à venir de son écosystème musical. L’objectif : contrôler de A à Z l’explosion des stars de demain via ses programmes de détection de talents (SoundOn+) et sa plateforme de services aux artistes et labels Star Nation.
Autre élément clé, l’utilisation de l’intelligence artificielle qui est au coeur de l’expertise du géant chinois. La plateforme de streaming Soda Music (équivalent de Resso pour le marché chinois) comporte déjà des fonctionnalités inédites. Le Hi Ting mode plonge les auditeurs dans des bibliothèques musicales intelligentes qu’il complète avec des effets sonores créés sur mesure, à la manière d’un DJ mix.
Avec Mawf, son plugin d’émulation d’instruments acoustiques basé sur le machine learning, ByteDance s’ouvre de nouveaux horizons. Intégré à TikTok, cet outil pourrait transformer le réseau social en un véritable studio d’enregistrement portable.
Enfin, comme YouTube, TikTok dispose d’un catalogue de titres inédits mis en ligne par les utilisateurs (user generated content), un avantage concurrentiel qui n’a pas encore été exploité par ByteDance mais qui pourrait s’avérer déterminant…
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Gaming arm Nuverse one of six pillars in reorganised ByteDance | Games Industry
ByteDance’s “Soda Music” Undergoing Internal Testing | Panda Daily
ByteDance is testing a music creation app called Mawf | MusicAlly
Alibaba and ByteDance Launch Interest-Oriented Social Apps | Panda Daily
Le propriétaire de TikTok présente Paiduidao, un réseau social semblable à un métavers | Metavers Tribune
Douyin Upgrades its Open Music Platform | Panda Daily