La menace d’une interdiction de TikTok aux États-Unis se précise. Mercredi, la Chambre des représentants a adopté à une large majorité (352 voix sur 432) une proposition de loi qui obligerait ByteDance, la maison-mère chinoise de TikTok, à vendre les activités américaines de son réseau social, faute de quoi l’application serait bannie. Ce vote express, une semaine à peine après le dépôt du texte par un tandem de parlementaires républicain et démocrate, illustre un consensus bipartisan sur les risques d’espionnage chinois via TikTok.
Ce projet de loi s’inscrit dans une rivalité opposant les deux premières puissances mondiales, qui dépasse le cadre de la plateforme. En août 2020, Donald Trump, alors président des États-Unis avait déjà signé un décret pour interdire TikTok, en invoquant la notion de « menace pour la sécurité nationale », réutilisée aujourd’hui par les législateurs de la Chambre des Représentants.
Un texte de loi qui divise
Bien que les législateurs se soient prononcés de manière favorable à cette loi, TikTok n’est pour l’heure pas en réel danger sur le sol américain. En effet, cette nouvelle législation n’est pas encore effective. Elle doit maintenant être portée devant le Sénat, où son sort semble plus incertain. D’un côté, certains élus comme Marco Rubio et Mark Warner (respectivement républicain et démocrate) appuient l’idée qu’il faille garder une ligne dure vis-à-vis du réseau social car ses algorithmes sont « contrôlés par le Parti communiste chinois ».
D’autres dénoncent une atteinte à la liberté d’expression et pointent le décalage entre élus et utilisateurs, majoritairement jeunes. Le démocrate Ro Khanna juge le texte « trop général» et craint qu’il « ne résiste pas à l’examen du 1er amendement ». Il souligne aussi l’impact économique, TikTok revendiquant 7 millions de petites entreprises utilisatrices aux États-Unis. « Si TikTok s’arrête, des dizaines de milliers devront mettre la clef sous la porte », prévient Nathan Espinoza.
Le sort du projet de loi reste incertain au Sénat, où des voix influentes s’opposent à une mesure aussi radicale visant une appli ultra-populaire. Si le texte est adopté, le président Biden a toutefois promis de le promulguer.
Cependant, la promulgation du « Protecting Americans from Foreign Adversary Controlled Applications Act » pourrait entraîner le début d’une longue bataille judiciaire opposant ByteDance aux élus américains.
En effet, il est probable que les recours s’enchaînent, jusqu’à atteindre la Cour Suprême (plus haute instance du pouvoir judiciaire américain). Cela reporterait alors la décision finale à minima à 2025, ce qui éviterait au président sortant de rendre effective une mesure particulièrement impopulaire auprès des 18-29 ans, et ce à quelques mois de l’élection présidentielle.
Quels scénarios envisageables pour TikTok ?
Dans l’éventualité où cette loi serait adoptée et que la justice américaine ne donne pas raison à l’entreprise chinoise, deux scénarios sont plausibles. Dans un premier temps, le plus drastique serait que ByteDance refuse de se séparer de son réseau social sous un délai de 180 jours. Dans ce cas de figure, les boutiques d’applications comme l’App Store ou le Play Store ne permettraient plus de télécharger TikTok. Cette possibilité mettrait aussi à mal les créateurs de contenus qui publient régulièrement sur la plateforme, en les privant de l’une de leurs sources de revenus principales.
L’autre possibilité est de voir la maison mère chinoise accepter de céder la filiale américaine de son application. Pour le moment, aucun acquéreur ne s’est officiellement déclaré, mais des noms circulent. Le Wall Street Journal évoque l’intérêt de Bobby Kotick, ex-patron d’Activision Blizzard, tandis que Steven Mnuchin, ancien secrétaire au Trésor de Donald Trump, a annoncé vouloir monter un consortium. Mais la Chine s’oppose farouchement à une vente forcée de ce joyau technologique et dénonce des « méthode de voyou ».
Pékin promet d’utiliser « tous les moyens nécessaires » pour défendre les intérêts de ses entreprises. Et même aux États-Unis, Donald Trump, pourtant à l’origine de la tentative avortée de bannir TikTok en 2020, s’oppose désormais à une interdiction qui renforcerait Meta (Facebook, Instagram).
Quelles retombées pour les artistes musicaux ?
Au-delà de la dimension géopolitique opposant la Chine aux États-Unis, l’affaiblissement, voire la disparition de TikTok sur le sol états-unien serait un séisme pour l’éco-système du divertissement. Avec 1,5 milliard d’utilisateurs aujourd’hui au niveau mondial, dont 38% de 18-24 ans, la plateforme a réussi à se muer en tremplin incontournable pour les artistes. Grâce aux trends que le public crée, des morceaux parviennent à devenir des tubes. Son éviction priverait les musiciens de cet accélérateur de notoriété, déjà bien mis en difficulté pour certains en raison des premières retombées du non-renouvellement de contrat avec Universal Music Group, les forçant à miser sur YouTube Shorts ou les Reels d’Instagram.
Ces plateformes, qui parviennent tout de même à attirer un public conséquent (50 milliards de vues quotidiennes en février 2023 pour Youtube Shorts par exemple) ne disposent pas du même modèle algorithmique que leur concurrent. L’impact de l’algorithme et du format ultra-court de TikTok semble difficile à reproduire ailleurs tant il est efficace. Sur le plan financier, une vente du réseau social avec son algorithme porterait son prix à 100 milliards de dollars, contre 40 milliards sans.
Cette écart de prix de vente théorique dû à l’éventuel intégration de l’algorithme de Tiktok démontre la puissance de ce dernier. Pour rappel, en mai 2023, Claude Malhuret, rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale française disait au Point : « TikTok a l’algorithme le plus addictif possible pour les enfants »