C’est en écoutant La capitale est prise de Cheu-B (« A la base moi j’suis là pour les pesos / J’décolle seul, j’suis à bord de mon vaisseau / Avec le bénef’ moi je monte une entreprise / Donc je peux dire que la capitale est prise ») que cette idée m’est venue. Le rap est une musique d’investisseurs, c’est un fait connu et reconnu, d’ailleurs des rappeurs comme Dr. Dre et Diddy se classent parmi les 5 musiciens les plus riches au monde, suivi de peu par Jay-Z, avec des fortunes évaluées à plusieurs centaines de millions de dollars. Ces rappeurs ont souvent été amenés à contourner les structures légitimes, à entreprendre en-dehors des sentiers battus pour finir sur le devant de la scène. Toutes proportions gardées, on pourrait presque affirmer que le rap est autant une aventure entrepreneuriale que musicale, et cette affirmation se confirme en observant les stratégies adoptées par certains rappeurs.
Booba — La holding
La holding est construite sur le modèle d’une société mère qui regroupe des participations dans diverses autres sociétés (les filiales). Depuis le début de sa carrière, Booba a entrepris de se constituer un véritable empire, à la fois musical mais aussi médiatique, etc. Bien sûr, la création du concept OKLM décliné d’abord en portail d’informations à la WorldStarHipHop puis en radio et enfin en chaîne de télévision marque le point d’orgue de cette entreprise. Qu’on le veuille ou non, à travers les artistes de son label, ses compilations, et ses différents projets la holding a acquis une influence énorme sur le rap français dans son ensemble à tel point qu’il est capable de changer le cours de la carrière d’un artiste en bien ou en mal, de lancer des tendances musicales, etc. Ce statut, il le doit à la fois à une stratégie de renouvellement permanent en grande partie inspiré par les tendances naissantes aux Etats-Unis, et à un certain opportunisme qui a guidé de nombreux choix.
Kery James — La société traditionnelle
Il s’agit d’une entreprise qui a déjà connu un énorme succès par le passé dans un groupement d’entreprises, la Mafia K’1 Fry, qui depuis 2007 est devenue transparente. De son côté, la société a continué un succès très honorable, avant de marquer une pause dans son activité entre 2009 et 2012. A la différence de la holding qui avait un profil initial assez similaire, la société traditionnelle a choisi de jouer sur son image de marque et donc de ne plus se renouveler. Consciente de l’existence d’une clientèle déjà acquise, elle fournit un service d’une qualité également excellente, mais à la capacité d’innovation limitée. C’est d’ailleurs en partie ce manque d’innovation qui permet à la société traditionnelle de se maintenir à flot.
Jul — L’auto-entrepreneur
Avec des moyens limités, l’auto-entrepreneur a ciblé sa stratégie sur la demande de musique de soirée, mais aussi sur l’innovation totale qui s’appuie sur des références oubliées de tous depuis des années et sur une sorte d’effet de choc/répulsion inversé chez les auditeurs. Extrêmement productif et investi, l’auto-entrepreneur compose lui même ses prods, écrit ses textes, s’enregistre lui-même et réalise ses propres clips (il insiste sur ce point en créant la chaîne YouTube 2bras2jambes pour poster ses créations). Sa productivité est telle qu’il inonde le marché jusqu’à l’écoeurement, enchaine les albums gratuits et payants qui atteignent des chiffres d’affaires formidables, bien au-delà même de ceux de la holding. Malgré tout, son concept est loin de séduire la totalité du public et l’auto-entrepreneur reste très critiqué.
PNL – La startup
La startup se distingue complètement des autres entreprises, pas tant par le service qu’elle propose que par l’originalité de sa mise en marché. C’est cette originalité qui lui vaut son succès, et aussi l’estime (intéressée) de la holding. D’ailleurs, c’est également la startup qui rencontre le plus vite une reconnaissance internationale à laquelle cette dernière aspire depuis des années. Son mode de fonctionnement original attire les nouvelles générations qui s’y retrouvent et surtout qui sont intriguées et amusées par ce mode de fonctionnement. Mise au centre de l’attention, la startup réalise des profits considérables en un temps très faible mais en même temps finit par s’imiter elle-même avec le risque de perdre un jour le bénéfice de cette originalité.