Outre Booba, il y a un autre rappeur français que la vieillesse ne semble pas atteindre. Oui, Rim’K, à l’instar du duc de Boulogne, traverse les époques sans prendre une ride. Avec Mutant, son dernier album paru le 21 septembre, il achève une trilogie qui respire le renouveau entamée il y a deux ans avec la Monster Tape et développée l’année dernière avec Fantôme. Elle est une véritable progression : le tranchant de la Monster Tape s’est presque évaporé au profit d’une mélancolie latente développée par des mélodies permanentes. Sur son dernier album, le rappeur de Vitry a terminé la mise à jour de son identité musicale, à cheval entre le raï et Travis Scott.
➡ Mutant ou l’achèvement d’une trilogie de recherche musicale
En 2016, Rim’K opérait un retour aux affaires fracassant avec sa Monster Tape, après quatre années de disette. Le projet a été l’occasion pour le rappeur de faire peau neuve : les instrumentales sonnent très modernes et l’autotune y est présente à foison. Une petite surprise pour Abdelkarim, alors âgé de 38 ans. Si tout n’est pas encore parfaitement maîtrisé, notamment dans les refrains ainsi que dans l’utilisation pas toujours très pertinente de l’autotune, sa tentative d’évolution est louable et ses intentions sont payantes, en attestent les morceaux sombres Monster, La chansonnette ou encore Fou. De plus, Rim’K n’a pas peur de se frotter à la nouvelle génération, comme sur Paris la nuit avec Nekfeu.
L’année suivante, en doublant la mise avec Fantôme, Rim’K livrait une copie dans la continuité de la première mais avec de nettes améliorations. Déjà, les featurings sont majoritairement de gros noms issus de la nouvelle génération du rap comme SCH, S.Pri Noir et dans une moindre mesure Sadek. Surtout, l’autotune n’a désormais plus de secrets pour lui et les refrains sont beaucoup plus accrocheurs. Avec Cité Dortoir et surtout 500 €, il signe probablement les deux meilleurs morceaux de cet album que l’on a classé troisième de l’année 2017.
Enfin, avec Mutant, Rim’K entérine définitivement son nouvel univers musical. A la fois bien plus souple et lumineux que le monstre ténébreux de 2016 et bien plus consistant que le fantôme de 2017, Rim’K est bel est bien devenu un mutant traversant les âges sans que le temps qui passe ne semble l’émailler. Avec cet album, au-delà de prouver qu’il est un véritable millésime, Rim’K s’adonne au chant de manière continue. En outre, le casting de featurings montre encore une fois ses velléités de se frotter à la nouvelle garde : le tonton du bled pose avec Ninho, Vald et YL.
➡ Rim’K plus chanteur que rappeur dans un album infiniment mélodique
Mutant est sans conteste son album le plus mélodique : aucun morceau n’est épargné par l’autotune, pas même Moonwalk, le sombre morceau trap produit par Binks Beats. Les ébauches de mélodies de Rim’K sur sa Monster Tape étaient frustrantes car inachevées. Aujourd’hui plus à l’aise que jamais avec son époque, notamment grâce à son titre 500 € très réussi, le rappeur de Vitry chante sans complexes. De plus, ses influences musicales ont grandement marqué le sort de l’album. La première influence de ce disque est évidente : il s’agit de Travis Scott. Rim’K lui-même confessait au micro de La Sauce la semaine dernière être un gros client de sa musique. L’omnipotence de l’autotune sur Mutant ainsi que les mélodies multiples d’instruments fantaisistes émane sans doute d’ASTROWORLD. Quant à la musicalité, elle vient du raï que Rim’K consomme quotidiennement. Enfin, aujourd’hui plus proche du rap de SoundCloud que de la Mafia K’1 Fry, Rim’K s’est amusé à parsemer son dernier disque de mélodies. Peu importe la couleur du morceau, il reste empreint de la nouvelle marque de fabrique de Rim’K : une autotune maîtrisée de bout en bout et des phrases mélodiques diablement efficaces. Et oui, Rim’K fait se frôler nombre d’entre elles.
➡ En pleine crise de la quarantaine, Rim’K signe un album mélancolique
Si Mutant est avant tout un album mélodique, c’est pour mieux servir la mélancolie qu’il dégage. Derrière des morceaux très estivaux comme l’ostensible tube en puissance Carmen ou encore 911 avec Alonzo se dissimule une amertume certaine morosité. Rim’K, quarante ans aujourd’hui, fait le point sur son vécu avec beaucoup de cynisme, sans pour autant totalement l’assumer. Par exemple, Mutant est composé de quelques morceaux mélancoliques qui font toujours mouche : sur Fratello, il chante sa solitude de sa voix cassée, emplie d’amertume ; sur Insomnie, il décrit la fatalité dans laquelle il est enfermé et les frustrations qui en résultent sur une instrumentale rappelant Savage Mode de 21 Savage et le retraité Metro Boomin’ ; enfin, Rim’K signe un refrain poignant sur Bonhomme de neige, morceau de résignation et de désolation. L’autotune, couplée à sa voix si particulière, accentue la mélancolie : Rim’K semble avoir la voix enrouée, plombée par ses maux et l’album est un exutoire pour se défaire des démons qui l’assaillent.
Parfois, cette mélancolie vire au lugubre. Sur Drugstore, produit par Twinsmatic, le rappeur se voit tiraillé entre des couplets altiers, pétris d’egotrip, et un refrain accablé par de morbides pensées dans lequel il chante « la mort j’y pense des fois, c’est une belle soirée pour ça ». Pire, 16 Novembre, morceau touchant dédié à la naissance de son fils, est subrepticement parasité par sa mélancolie, en atteste l’évocation de sa propre mort, toujours dans le refrain lorsqu’il fredonne « même si je pars dans l’au-delà je serai toujours là pour toi ». En concluant le titre par « Si je pars demain fiston protège ta maman », Rim’K mêle, probablement sans le vouloir, l’amour incommensurable qu’il porte à sa famille avec ses songes macabres.
➡ Un album aux émotions multiples qui atteste de l’incroyable diversification du rappeur
Crise de la quarantaine oblige, les émotions de l’album sont multiples. Outre le soleil, à ce caractère maussade se mêle le vaporeux où Rim’K excelle. Les compositions des morceaux suivants, légères et aériennes, allégorisent la fumette, échappatoire essentielle au rappeur. Il est crucial de mentionner Air Max, à l’instrumentale littéralement hors du temps que l’on doit à RDS, où le tandem qu’il forme avec Ninho semble planer quelque part au-dessus des nuages. De la même manière, Dans le ciel, produit par Soulayman Beats, par ses cloches célestes, où Rim’K rend hommage à la fume entre deux egotrips, s’inscrit dans cette lignée de titres vaporeux. Toutefois, En noir & blanc s’impose naturellement comme le morceau clé de l’album. Sur une production nébuleuse et impalpable – qui rappelle en tout point celle de Growed Up de Slim Jxmmi – se confondent la mélancolie, de l’egotrip, les origines et la fierté du rappeur. Véritable synthèse, il clôt un album dense dans lequel Rim’K a élargi et étoffé sa palette musicale.
Avec Mutant, Rim’K a atteint son ultime transformation et son affiliation avec Wolverine dans X-Men (« Je suis Vin DZ, je suis Wolverine ») est d’une pertinence rare. En effet, leurs gènes mutant sans cesse, il est tout simplement impossible pour eux de vieillir.