Si la vie elle-même ne tient qu’à un fil, n’osez pas imaginer à quoi tient une simple carrière… Meek Mill, souvent au bord du précipice, a fait les frais de cette fragilité comme peu de ses homologues auparavant. A l’apogée de la sienne, poussé par le succès sans précédent de sa série de mixtapes Dreamchasers, il libère en 2015 son album sophomore très attendu Dreams Worth More Than Money. Alors que l’album rencontre un succès critique et commercial (presque 250 000 copies en première semaine aux Etats-Unis), un simple tweet va déchaîner les enfers. Meek Mill, superstar en puissance, coqueluche du rap game, deviendra paria pour toute une frange du public rap.
https://twitter.com/MeekMill/status/623700698509758464
➡️ Un album qui transpire la ténacité, à l’image de son auteur
Meek Mill a peut-être à jamais manqué l’opportunité de s’asseoir à la table des superstars du rap que sont Kendrick Lamar ou Drake. Peu importe. Sa carrière entière s’est construite dans l’adversité. Il s’est battu pour survivre : son père assassiné alors qu’il n’a que cinq ans, sa famille emménage dans les quartiers pauvres de Philadelphie dans lesquels l’argent de la drogue deviendra son argent de poche. Il s’est battu pour un siège dans l’organigramme du rap game : avant d’être la star de MMG, il arpentait les rues avec sa plume fumante, prêt à dézinguer en battle tout MC inconscient qui se dressait contre lui.
La carrière d’artiste de Meek Mill est jonchée d’échecs. Dès lors qu’il s’apprête à franchir un cap dans sa carrière, une mésaventure, un malheur fait irruption et retarde le moment où il touchera enfin les étoiles. En 2008, alors qu’il est repéré par T.I., signé sur son label Grand Hustle Records et prêt à récolter les fruits de son dur labeur, il part en prison y purger une peine de sept mois pour détention de drogues et d’armes. Plus tard, fin 2012, il lance son label Dream Chasers Records et il signe sur une démo le très prometteur Lil Snupe. Malheureusement, le rappeur et ami de Meek Mill meurt assassiné de deux balles dans la poitrine moins d’un an après sa signature.
Puis, durant l’été 2015, du fait de son clash mal géré avec Drake, la star intouchable du game égratigne sévèrement son image et son succès. Ses brouilles successives avec The Game puis Beanie Sigel n’arrangent pas son cas. Il finira par perdre Nicki Minaj sa petite-amie de l’époque, dommage collatéral de son accumulation de contentieux. Et pourtant, après chacune de ces épreuves, Meek Mill a su encaisser, relever la tête et revenir encore plus fort. Son dernier disque, Wins & Losses, en est la preuve la plus formelle. Il est empreint de son acharnement sans égal parmi ses pairs, il transpire toute la ténacité qui émane de cet homme qui a appris à ne jamais, au grand jamais faire une croix sur ses aspirations.
➡️ Meek Mill n’hésite pas à descendre de son piédestal le temps d’un album
Wins & Losses est avant tout une bouffée d’air frais dans un game majoritairement composé de disques empreints au choix d’arrogance, de vanité ou encore de dépression. Quand Future exhibe sa réussite, il nargue le reste du monde. Future n’est pas un homme, il est une entité codéinée au cœur nécrosé qui ne rate jamais une occasion d’étaler sa richesse pour mieux dissimuler ses tourments. Meek Mill, lui, est un homme, un mortel, un pécheur, comme n’importe qui. Sur We Ball à l’instrumentale pleine de spleen de Wheezy, il ne se fait pas prier pour descendre de son piédestal et bousculer son image pour mieux révéler son humanité. Il en appelle à Dieu pour le soutenir, preuve ultime de son caractère de mortel (« I hope de Lord got us »).
En outre, Meek Mill est bien plus qu’un homme parmi les autres : dans une autre vie, il aurait probablement été un pasteur dévoué auteur d’exorcismes télévisés spectaculaires ou encore animateur de séminaires sur la confiance en soi. Sur Never Lose, il avoue ses échecs passés et ses batailles perdues mais n’abandonne jamais la guerre. Sa détermination et sa hargne infinies couplées au charisme de son flow rendent son message extrêmement communicatif.
➡️ Une ode au parcours difficile du rappeur et un discours dénonciateur
Le récent trentenaire, très mûr, la tête reposée, prend le temps d’évoquer la condition noire aux Etats-Unis avec le formidable crooner The-Dream sur Young Black America. Sur ce sample de Momma Love Me de Jay-Z, il prend le temps d’alerter la nouvelle garde sur les dangers de la vie de hustler (« all guns, no glory ») tout en abordant avec justesse le fardeau que représente la peau mate aux Etats-Unis, ciblée par la ségrégation et les violences policières dont Meek Mill a fait la sombre expérience à ses 18 ans.
Sur les deux morceaux clôturant l’album, il transcende la notion de prêcheur. Made It From Nothing est une sublime ode à son parcours difficile, sur une instrumentale de cordes et de claviers dominée par la voix céleste de Teyana Taylor au refrain, tandis que Meek et Rick Ross dépeignent avec humilité un parcours démarré dans la misère et qui lui a permis aujourd’hui de vivre de sa musique et de subvenir allègrement aux besoins de sa famille. Puis, Price sonne comme l’Ascension du Christ après avoir accompli son devoir. Meek, après avoir prêché toutes ses valeurs, énoncé toutes ses vérités, tire sa révérence sur une production séraphique, rythmée par des chœurs d’église. Il évoque sans animosité le revers de la médaille de sa notoriété et de sa réussite, préférant s’arrêter sur cette dernière.
➡️ L’album de la page tournée, de la part d’un artiste qui a grandi en maturité
Cet album est aussi celui de la page tournée. Meek Mill dresse avec Wins & Losses un bilan de ses trente premières années tumultueuses et balaie ses mauvaises passes d’un revers de main. Heavy Heart est l’occasion pour lui de revenir sur sa vie de hustler qui lui a tant pris d’énergie. C’est apaisé qu’il lui tourne enfin le dos, prêt à se consacrer sainement à sa musique et à son fils, sans se préoccuper de l’argent qui a tant été une hantise.
Après avoir tourné la page de sa vie de gangster, il tourne la page Nicki Minaj, une relation surmédiatisée qui a explosé en plein vol en partie à cause du beef avec Drake et qui a causé beaucoup de mal au rappeur de Philadelphie. Depuis, Meek Mill a retrouvé l’amour, un amour plus anonyme et plus sain qu’il chérit de tout son cœur sur le single Whatever You Need. Accompagné de deux crooners aux voix sensuelles que sont Chris Brown et Ty Dolla $ign, il lui clame son amour et lui promet monts et merveilles. Il réitère ses vœux et ses sentiments avec Fall Thru non sans y distiller un peu de luxure et y glisser quelques lignes pour sa fameuse ex Nicki Minaj. Quant à la luxure, il y revient plus longuement avec Verse Simmonds un autre crooner à la voix mielleuse, sur Open.
Meek Mill n’oublie pas d’où il vient, il n’oublie pas d’aimer mais surtout, il n’oublie pas de régaler son public de quartier qui le suit pour ses percutants hymnes de rue. Connect The Dots, reboot de Ima Boss, révèle Meek sur ses meilleurs jours, découpant l’instrumentale de cuivres avec la rage d’un lion en cage. Accompagné de Yo Gotti et Rick Ross qui assurent le job, Meek l’ouvre grand, joue des coudes et s’affirme dans la hiérarchie du rap game. Tous trois semblent filer à toute vitesse en quad dans les rues de North Philadelphia, toute la rue derrière eux. Meek s’allie d’ailleurs son comparse Lil Uzi Vert pour Fuck That Chech Up, un morceau made in Philadelphie où pleuvent les flows et les dollars. Par leurs débits chevrotants, ils semblent sautiller négligemment sur la production de MP 808.
Meek Mill rappe tout le long du projet comme s’il avait encore quelque chose à prouver. Il rappe ardemment, avec une hargne qui lui est propre et sans égal. Il rappe avec passion, la rage au cœur, les dents serrées, sans répit, sans jamais lâcher la moindre mesure. Peut-être le plus vrai dans ce game, fidèle à lui-même, son rap n’a pas pris une ride au lendemain de ses trente ans. Seuls les rêves se sont évaporés dans le titre de ce dernier album qu’est Wins & Losses.