1h et 42 minutes. C’est le temps qu’il aura fallu à Ladj Ly pour nous surprendre avec son premier long métrage : Les Misérables. Un film en forme de fresque sociale qui raconte la banlieue et la peint dans son plus simple appareil. Criant d’authenticité et emprunt d’une violence réaliste, Les Misérables touche le spectateur et l’invite à découvrir autant qu’à réfléchir. Traditionnellement habitué aux formats courts, Ladj Ly quitte sa zone de confort et signe un film cru qui s’annonce être l’une des œuvres les plus marquantes de 2019. C’est un premier essai transformé avec brio pour le réalisateur, qui s’offre même le luxe du prix du jury au dernier festival de Cannes, d’une nomination au Golden Globes dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère ainsi qu’une présélection aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger. Ladj Ly parle sans détour et ne verse pas dans le film cliché écueil ô combien courant . À l’image de Victor Hugo qui s’est inspiré du Montfermeil du début XIXème pour écrire Les Misérables, ce film éponyme relate le quotidien d’une cité qui devrait être exceptionnel et fictionnel mais qui est cruellement routinier et bien trop réaliste.
➡️ Il était une fois trois flics, une voiture et la cité des Bosquets
Stéphane, policier provincial débarque en Seine-Saint-Denis pour raisons familiales et rejoint une équipe de la BAC de Montfermeil. Changement de décor radical pour notre protagoniste qui va devoir s’adapter à ce nouvel environnement et faire équipe avec Chris et Gwada. Le premier coche toutes les cases du baqueux idéal, tant dans le style que l’attitude. Le second se la joue Bad Boys et ressent une fierté non dissimulée à se pavaner dans la cité avec son gilet pare-balles et sa plaque. Un nouveau monde pour Stéphane, plongé en un instant dans le grand bain de la réalité des cités du 93 et de tout ses nouveaux codes. Très vite, le film déroule dans son environnement principal. Les trois flics défilent dans les rues de Montfermeil, parfois au marché, parfois à l’entrée de certains halls, toujours là où la communauté prend racine. De leurs relations avec les habitants de la cité, qu’ils voient eux-même comme un respect qu’ils imposent, transpirent en fait une peur et une toute-puissance imposées. Ils s’imaginent comme des shérifs mais sont perçus comme des cow-boys, sans foi ni loi. Triste ironie pour ceux qui sont censés la représenter. Plus le film avance, plus le spectateur se rend compte que ces trois personnages sont loin d’être inébranlables, et surtout loin d’être identiques. Une bavure au flashball enflamme les Bosquets et met leurs caractères à l’épreuve. C’est la rupture pour toute une population dans une cité devenue bombe à retardement. Les différences s’exacerbent sous la tension et l’équipe de la BAC se rend compte que chacun n’a pas placé sa morale au même niveau.
➡️ Une fiction si réaliste qu’elle en devient presque documentaire
Pur produit de l’école Kourtrajmé, célèbre collectif créé par Kim Chapiron, Toumani Sangaré et Romain Gavras, Ladj Ly a mis en image quelques jours de la vie d’une cité, comme il y en a des centaines en France… Comme s’il avait invité le spectateur à regarder par le judas de la porte d’un de ces bâtiments des Bosquets. Il s’y passe inlassablement et tristement la même chose, tous les jours. L’histoire est parlante car elle est réelle, les images et les dialogues sont crus car ils existent. Ladj Ly tire la sonnette d’alarme. Il invite à entrer, cogiter, faire discuter, en témoigne la scène finale ouverte, comme pour laisser un choix à ceux qui ont le pouvoir d’agir. Emmanuel Macron lui même s’est dit bouleversé par le long-métrage et a demandé au gouvernement « de se dépêcher de trouver des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers ». On aurait presque envie de le croire si l’actualité n’était pas à la violence abusive des forces de l’ordre, aux bavures, aux injustices et à la ségrégation toujours plus importantes des banlieues françaises, mais aussi avec le reste de la population. Loin des scènes de liesse et de rassemblement vues pendant la Coupe du monde 2018 et montrées au début du film. Ladj Ly colle toujours plus à l’actualité puisqu’il aborde aussi le sujet de la prise de vues des policiers pendant leurs interventions, qu’un sénateur a proposé d’interdire à travers un amendement en décembre 2019. Le film s’aide d’une réalisation soignée où plans esthétiques, mouvements de caméras et effets de zoom appuient l’authenticité du propos. Quelques références bien réparties tout au long du film : certains auditeurs de rap auront par exemple reconnu en second rôles deux personnages déjà vus dans la fameuse trilogie de PNL.