La montée en puissance des plateformes de streaming a ouvert la porte à un nouveau type d’intermédiaire dans l’industrie musicale : les agrégateurs musicaux. Parmi les plus connus, on trouve notamment DistroKid, TuneCore ou encore United Masters.
Moyennant un abonnement pour certains ou le paiement d’une somme à l’année généralement faible (10 dollars par titre pour DistroKid, par exemple), ces derniers permettent à des artistes indépendants de rendre leur musique disponible sans passer par les distributeurs traditionnels.
Pour de nombreux artistes en début de carrière, les agrégateurs sont devenus une norme : ils leur permettent de mettre leur musique en ligne pour se faire repérer par les labels, se constituer un catalogue…
Désormais, c’est au tour d’artistes confirmés d’y avoir recours, ponctuellement ou sur des périodes plus longues. C’est notamment le cas de Freeze Corleone depuis la sortie de La menace fantôme, mais PNL avait également eu recours à ce procédé pour sortir À l’ammoniaque et 91’s en 2019.
Pourtant, en France, les titres et albums distribués au travers d’agrégateurs ne figurent pas dans les classements officiels et ne sont pas pris en compte dans le calcul des certifications SNEP…
« Les agrégateurs sont devenus une étape quasi-obligatoire dans la carrière d’un jeune artiste. »
Pour Vincent Le Nen, business manager spécialisé dans l’accompagnement d’artistes émergents, les agrégateurs sont devenus une étape quasi obligatoire dans la carrière d’un jeune artiste.
Seule exception, des artistes repérés directement par le producteur et signés dès leurs premiers pas en studio d’enregistrement. « Ce sont des cas qui existent encore, mais globalement l’utilisation des agrégateurs est je pense devenue une norme grâce à sa facilité d’accès. ».
Les agrégateurs ont une attractivité forte pour deux raisons principales selon lui : « L’intérêt pour l’artiste sera de garder 100% du chiffre d’affaires généré par la consommation de sa musique en streaming, et de ne pas être contraint par les obligations classiques d’un contrat de distribution. »
Toutefois, il ajoute une réserve quant à la place des agrégateurs dans la carrière des artistes : « Il y a tout de même un gros point noir : le stream d’un titre distribué via agrégateur n’a pas la même valeur que celui d’un titre distribué en maison de disques. De plus, même si les agrégateurs ont pour certains du personnel en France, l’assistance en cas de souci de distribution digitale est très limitée. S’agissant du physique, il me paraît par contre beaucoup plus difficile d’envisager de se passer d’un distributeur. »
Les métadonnées et la base de données BIPP au cœur du problème
En France, les classements du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) sont réalisés par son prestataire : Official Charts Company (OCC). Cette entreprise réalise les classements officiels de singles et d’albums au Royaume-Uni depuis 1990, et en France depuis l’année dernière en lieu et place de l’allemand GfK.
Ce dernier s’appuie sur les normes établies par DDEX (Digital Data Exchange), consortium mondial de normalisation des échanges entre les acteurs du numérique, pour garantir la qualité de ses données. Dans ce cadre, l’ensemble des plateformes de streaming musical prises en compte par les classements SNEP transmettent à OCC les données de consommation du territoire français.
En parallèle, les distributeurs doivent enregistrer les métadonnées de leurs sorties dans la base BIPP (Base de données interprofessionnelle des producteurs phonographiques), gérée et commercialisée depuis 2008 par Kantar Media pour le compte du SNEP.
Alimentée quotidiennement, la BIPP contient les métadonnées des catalogues physiques et digitaux distribués sur le marché français de la musique, et est utilisée par le SNEP pour recouper les informations des plateformes de streaming.
Confrontés à des flux de sorties beaucoup plus importants que ceux des distributeurs traditionnels, et parfois par manque d’intérêt des spécificités du marché français, les agrégateurs n’enregistrent pas leurs sorties dans la base BIPP, en dépit des sollicitations du SNEP. Leurs sorties ne sont donc pas recoupées avec les données des plateformes de streaming, et ne figurent pas dans les classements.
Bientôt les premières sorties d’agrégateurs dans les charts SNEP ?
Selon Vincent Le Nen, « ne pas apparaître dans les charts peut être problématique car c’est le référentiel que le public maîtrise. Pour conquérir au-delà de son esthétique, ce genre de donnée joue, parce qu’elles imposent un certain respect. Pour les professionnels, ce sont des signaux qui ont aussi leur importance. ».
Pour faire face à ce problème, certains agrégateurs tels que TuneCore (Believe) et The Orchard (Sony) ont répondu aux sollicitations du SNEP et entamé la mise en place de processus d’enregistrement de leurs métadonnées dans la BIPP. Entre-temps, certains titres font l’objet d’un enregistrement manuel.
Vincent Le Nen estime qu’« un vrai point de bascule peut arriver le jour où une tête d’affiche au minimum au stade du disque d’or sortira un album via un agrégateur. Je sais que les agrégateurs commencent à fournir des services pour leurs plus gros clients à des taux bien moindres que ceux d’un distributeur classique. Cependant, je reste convaincu que si les agrégateurs prennent encore plus d’ampleur, chaque major rachètera le sien, comme ce que Believe a fait avec TuneCore, parce qu’elles ont cette capacité à s’adapter aux évolutions du marché. »
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La SCPP est un des acteurs historiques de la norme DDEX | SCPP
About DDEX | DDEX
La base BIPP (Base de données Interprofessionnelles des Producteurs Phonographiques) | BIPP