« J’voulais écrire des sons positifs, mais j’crois que y’en a aucun dans mon 10 titres ». C’est sur ces paroles que Laylow entame son nouveau projet : .RAW-Z. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Laylow est un artiste qui nous vient tout droit de Toulouse et qui a su forger un univers musical et visuel bien particulier depuis le début de sa carrière. D’abord en duo avec Sir’Klo dans un style plus classique, puis sur un projet commun avec Wit beaucoup plus expérimental, il entame ensuite sa carrière solo. Laylow a fait évoluer son personnage, son univers et toute sa direction artistique pour parvenir à un résultat hybride et atypique. Le 4 décembre 2018, il annonce sur ses réseaux la sortie d’un nouveau clip mais aussi d’un projet 10 titres quasi-surprise, son 4ème en solo. Stratégie surprenante pour un artiste plutôt habitué à une communication classique avec plusieurs clips distillés en amont d’une sortie annoncée quelques semaines auparavant..
➡ Laylow, un artiste qui se revendique comme « digital » et à l’univers décalé
Un détournement lexical devenu courant en a fait dans la langue de Molière un synonyme de « numérique »… Un abus de langage, qui a fini par récolter une résonance bien plus importante dans l’imaginaire collectif. C’est donc sur cela que Laylow a décidé de baser sa carrière solo et surtout autour de cela qu’il a construit son univers. Si on exclut son début de carrière avec Sir’Klo et le projet commun avec Wit, prémisses de ses expérimentations musicales, Laylow pose les bases en 2016 avec Mercy, son premier 10 titres. Dans ce projet, on retrouve tout ce qui fait le personnage Laylow et les caractéristiques propres à sa musique : des productions futuristes et imposantes, beaucoup de saturation, une voix nappée par des effets vocaux robotiques et une articulation pas toujours évidente pour comprendre les lyrics au premier coup d’oreille. La musique de Laylow fait du bruit, elle prend de la place. Malgré quelques titres plus posés, on retiendra des morceaux oppressants comme Toyotarola ou le single entêtant No Love en featuring avec Sneazzy.
En 2017 et 2018, Laylow réitère avec la même recette en sortant Digitalova et .RAW. Là encore, le toulousain nous sert 2 projets 10 titres bien équilibrés alternant entre morceaux vitaminés et tracks plus calmes et dociles. On retrouve toujours des productions éclectiques sur lesquelles on n’imagine pas beaucoup de rappeurs français actuels, signées, entre autres, Mr Anderson ou Dioscures. Laylow fait majoritairement le taff en solo et s’entoure uniquement de 3 collaborateurs sur les 2 projets : Jok’air, Wit et Sir’Klo. Avec quelques années de recul, on a l’impression que la musique de Laylow ne vieillit jamais mal tant elle se positionne à contre-courant des tendances de son époque. Dans le titre de ses projets, on retrouve bien sûr les références au « digital » dont Laylow est tant adepte. Par exemple, .RAW est un format utilisé à la fois en audio et en vidéo, qui désigne un fichier brut, qui n’a pas encore subi de traitement, qui n’attend que d’être amélioré. On comprend alors l’emploi du terme « digital » par Laylow : l’artiste est brut, se façonne et se forge selon ses envies. Laylow, c’est un programme au code complexe, qui évolue en permanence et que l’auditeur doit avoir envie de comprendre, de décrypter et d’apprendre. Laylow est finalement un touche-à-tout, et c’est aussi en cela qu’il est « digital ».
➡ Laylow, un artiste qui développe aussi un univers visuel soigné et inédit
Toutes les caractéristiques citées précédemment pour définir la musique de Laylow sont aussi applicables à son univers visuel. Depuis le début de sa carrière, le rappeur met ses clips en ligne sur sa DigitalTV, nom évocateur de sa chaîne YouTube. Pour ses clips en solo, il s’entoure du collectif TMBA. Un nom qui ne vous dit peut-être rien pourtant ce collectif a bien grandi depuis ses premières collaborations avec Laylow. Ils ont notamment réalisé Héra de Georgio, Martin Eden de Nekfeu ou encore Godzilla de Hamza. En plus de cela, ils ont aussi travaillé avec Aladin 135, Take-A-Mic ou encore S.Pri Noir. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que TBMA a un univers visuel bien particulier, une touche spéciale et inédite dans les visuels rap français. Quand on regarde leur portfolio, on a d’ailleurs plutôt l’impression que c’est l’artiste qui se laisse happer par l’univers du collectif, que l’inverse.
Dans un clip de Laylow, autant que dans sa musique, on ne sait jamais où on est
Un univers qui colle parfaitement avec celui, particulier et « digital », de Laylow. Ses visuels sont un prolongement efficace et logique de sa musique, à tel point qu’on n’imagine pas le personnage Laylow sans que les deux se croisent de cette manière. La recette est à la fois simple et complexe dans des visuels léchés. On y retrouve des couleurs vives, des mouvements de caméra à la fois brutes et fluides, des bruitages imposants type bruits de moteur, des transitions étonnantes à la fois naturelles et très trafiquées, peu de playbacks mais des clips, parfois scénarisés, qui se suffisent à eux-même par leur esthétique. Dans un clip de Laylow, autant que dans sa musique, on ne sait jamais où on est, entre beauté et violence brute, jouant parfois avec la frontière du kitsch tout en restant dans l’originalité. Son dernier clip Maladresse, seul extrait du nouveau projet, en est l’exemple parfait. Une imagerie qui peut faire intervenir des références comme celle du Joker dans Batman, ou encore celle du film Sin City. Laylow évolue dans un univers à la fois fictif et réel. Le clip alterne entre images truffées d’effets spéciaux et images prises dans les rues parisiennes. Laylow est « bionique » et fait face à une mystérieuse tour ornée d’un Z, protégée par une incrustation de dragons. Un Z qui n’est bien sur pas sans rappeler la nouvelle déclinaison de son format de projets .RAW.
➡ Laylow et « .RAW-Z », un projet plus sombre et introspectif que les précédents
« .RAW-Z c’est la B.O. de ton suicide » nous informe Laylow dans l’introduction très sombre de son nouveau projet. C’est d’ailleurs ce qui résume les 10 titres de ce nouvel effort. Là où précédemment on avait affaire à un Laylow enjoué et énergique dans l’ambiance et les lyrics, on a ici l’impression que le présent et le futur de l’artiste se sont assombris. Dans Z-machine, Laylow dit même : « Bientôt j’arrête et je change de life, ils captent même pas les détails j’ai mal ». On découvre un artiste plus pessimiste, mélancolique et qui aborde de nouveaux thèmes. Ces thèmes sont distillés ça et là entre les morceaux et Laylow ne consacre jamais une track à un sujet en particulier. Mais pour les habitués du rappeur, ce projet marque un tournant et un changement dans la création artistique de Laylow.
La première chose notable dans ce projet, c’est que Laylow est beaucoup plus compréhensible que dans ses précédents projets. Plus besoin de multiples réécoutes pour comprendre ce qu’il nous dit, comme si Laylow avait voulu paraître plus clair car il avait des choses plus intéressantes à dire cette fois ci. Dans un tweet suivant la sortie du projet, Laylow ironise d’ailleurs sur cette meilleure compréhension qui se fait ressentir dans les retranscriptions de Genius France, se félicitant lui-même ainsi que son public et son ingé son. La deuxième chose notable ce sont donc ces nouveaux thèmes abordés par Laylow. Le pessimisme et les échecs, la drogue et ses côtés négatifs, le fait qu’il se sente incompris, sa solitude, ses déceptions sentimentales ou encore la discrimination, le racisme et même l’esclavage dans Prince de sang-mêlé. Autant de registres sur lesquels on était pas trop habitués à entendre Laylow. Là où on connaissait un artiste egotrip et plutôt porté sur des thèmes simplistes, on le retrouve plus introspectif, avec plus de choses à dire et qui veut se faire entendre, tout en conservant ce qui fait sa base musicale. Niveau collaborations ça ne change pas, Laylow s’entoure très peu et invite ici son compère de toujours, Wit, et le rappeur marocain Madd. Mention spéciale à I Don’t : Need U / Know, double morceau de 7 minutes 10 très consistant et qui transporte dans deux univers musicaux différents mais qui match très bien ensemble. Jusqu’au bout de son 10 titres, le rappeur sera resté très sombre en concluant par Swish, une outro qui résume bien la complexité de ce projet et du code presque insondable du programme Laylow.
Personnage intéressant et atypique dans le paysage rap français, Laylow nous offre donc un 4ème solo consistant. Sa musicalité et son image n’ont pas été bouleversées mais c’est surtout son état d’esprit et son message qui ont changé depuis le dernier projet. Certains amateurs de Laylow pourraient être surpris, agréablement ou non, par ce changement artistique. Reste que .RAW-Z demeure un bon projet dans la veine Laylow, qui ne surprend pas radicalement mais qui donne enfin matière, pour l’auditeur, à découvrir l’artiste et ses préoccupations personnelles. Si vous connaissez bien l’univers Laylow le projet n’est pas révolutionnaire mais il est plaisant et intriguant, même après plusieurs écoutes. Laylow paraît plus à l’aise dans ce registre, même si on se demande si ça ne va pas lui porter préjudice en terme de rayonnement car sa musique, bien que plus compréhensible, paraît moins abordable qu’avant et tend à s’adresser à un public de niche. Mais après tout, n’est ce pas là l’ambition de Laylow avec ce projet ? Parler de soi et surtout parler pour soi, comme un exutoire, sans forcément tenir compte des attentes de ses auditeurs, sans forcément viser un succès rapide. Dans son outro il dit notamment : « Toi qui es différent et qui en a assez, peuvent pas comprendre c’qu’il y a dans ta tête ; tu perds ton temps quand t’essaies d’expliquer pourquoi t’es enragé ». Un passage qui résume bien l’état d’esprit du projet et de l’artiste, comme un coup d’épée dans l’eau, mais un coup d’épée qui fait du bien.
This guy is a star man. I hope he keeps up the good work!