Alors que Gucci Mane et Waka Flocka se préparent à partager l’affiche du Billboard Hot 100 Music Festival ce week-end, il est temps de revenir, un peu plus d’un an après la dernière libération de Guwop, sur la brouille qui a séparé deux artistes, deux amis, deux frères pourtant si proches. Utiliser le terme de beef pour évoquer leur relation reviendrait à éluder leur passé commun pavé d’or, de gloire et de fraternité. Etat des lieux du Groud Zero laissé par l’effondrement des Twin Towers d’Atlanta.
➡️ 2006-2009 : La naissance de la fraternité
Oui, Gucci et Waka, c’est une histoire de frères. En 2006, Gucci croise la route de Debra Antney, fondatrice de Mizay Entertainment. Dans l’industrie musicale depuis de nombreuses années déjà, ils ont lancé ensemble les carrières, au hasard, de Nicki Minaj, French Montana, OJ da Juiceman et Lex Luger. Très vite, une relation particulière s’installe entre eux. Gucci voit en Debra une deuxième mère : la sienne étant si distante avec lui, Debra comble ce que la première ne lui a pas donné. Caractérielle, forte, entreprenante, elle deviendra naturellement manager de Gucci Mane en 2007. A l’époque, mère de deux garçons qui se rêvent rappeurs, comme toute la jeunesse d’Atlanta à cette époque, elle leur introduit ce fils adoptif. Immédiatement, l’attention de Guwop se porte sur Juaquin Bertholimule Malphurs, l’aîné de la fratrie. Surnommé Waka par ses cousins, Juaquin, alors âgé de 19 ans, est un jeune homme et un frère meurtri : six ans plus tôt, la vie lui a pris son petit frère, fauché par une voiture en pleine rue, alors qu’il pédalait sur son vélo, insouciant. Le destin, personnifié par Debra, a réuni Gucci Mane, monstre errant à la recherche d’une famille pour lui prodiguer l’amour et la stabilité dont il a tant besoin à cette époque, et Waka a le cœur troué par la perte prématurée de ce petit frère qu’il aimait tant. Ces hommes étaient faits pour se trouver.
Le reste n’est que légende. Waka est baptisé Flocka Flame par Gucci Mane qui l’adoube en le signant sur son tout frais label 1017 Brick Squad. Waka, à la manière de son mentor, abreuve la rue de mixtapes : six mixtapes sur l’année 2009, puis deux autres l’année suivante. Avec Waka, tout est question d’intensité. Son premier morceau officiel, We On The Way, ne laisse aucun doute quant à ses ambitions : fracasser les crânes de tous tes rappeurs préférés. Waka, ses rangers aux pieds, le vent en poupe, Gucci derrière lui, s’en va gaiement piétiner la concurrence. A son physique très proéminent se mêle un rap empli de colère et débordant de haine. Chaque couplet de Waka est une vengeance sanglante de tout ce qui lui a nui. Ses placements très durs et ses textes agressifs sont un mélange de l’énorme influence de Guwop et des tragédies qui parsèment son existence. Il adresse d’ailleurs à son mentor un nombre incalculables de dédicaces au travers de tous ses projets sauvages.
➡️ 2010 – 2013 : La guerre est prête à être déclarée !
Waka Flocka, bénéficiant de la notoriété de Gucci Mane, se fait très rapidement un nom à Atlanta et plus largement dans le Sud. A la fin de l’an 2010, alors que la hype autour de lui atteint son maximum, les deux frères passent à la vitesse supérieure et planifient le coup parfait : ensemble, ils décident de sortir leurs albums studios respectifs à une semaine d’intervalle. Ainsi, The Appeal: Georgia’s Most Wanted, septième album de Gucci Mane, est lâché sur le monde le 28 septembre 2010 avant que Flockaveli, le plus gros météore de Waka Flocka, ne vienne une semaine plus tard s’écraser sur les rares survivants de la première lame de Gucci Mane. Ce coup d’état du 1017 Brick Squad les propulse définitivement sur le trône d’Atlanta.
Si le disque de Gucci Mane est très bon, Flockaveli fait l’effet d’une bombe sur tout ce rap game. A la production, Lex Luger s’est occupé de mettre Waka Flocka dans des conditions idéales pour faire ce qu’il sait faire le mieux : semer le chaos et la destruction. Flockaveli, viscéral et instinctif, transmet la haine comme la grippe : dès les premières notes de l’imparable Hard In Da Paint, on s’imagine massacrer à coups de hache n’importe lequel de ses ennemis. Ici, pas de place pour la lumière, pas de place pour le chant : seul Roscoe Dash, le temps d’un refrain, fend l’épais brouillard qui pèse sur le disque. L’album, tout simplement incroyable, rencontre un succès critique et commercial évident.
L’année suivante, les frères, confortablement installés dans leurs trônes, souhaitent graver dans la roche leur histoire et leur triomphe afin qu’il perdure à jamais. De cette initiative naît Ferrari Boyz, le Watch The Throne du dirty south. Les rois omnipotents d’Atlanta se réunissent pour un album détonnant, sans répit, où s’accumulent les péchés de toute sorte et les lésions cervicales. Gucci Mane observe son poulain fougueux broyer les productions par son flow rugueux et implacable et son intensité sans égal. Les réussites incontestables de morceaux tels que Break Her ou Young Niggaz font de l’album un classique immédiat de la scène d’Atlanta. A ce moment, leur relation est au beau fixe : rien ne leur résiste et tout ce qu’ils touchent se transforme en or.
Pourtant, alors qu’on se prenait à rêver d’un deuxième opus, leurs rapports se détériorent à grande vitesse en coulisses. Après une énième confrontation musclée, leur embrouille éclate au grand jour le 15 mars 2013, lorsque Gucci annonce sur Twitter qu’il prend la décision de virer Waka Flocka Flame de son label et attend une offre pour ce « déloyal petit négro ». S’ensuivent quelques tweets gratinés avant que le manager de l’époque de Gucci Mane ne crie au piratage du compte de Gucci. Mais il est déjà trop tard, Waka Flocka et Gucci Mane sont séparés pour de bon. Deux semaines plus tard, en concert, Waka revisite son couplet sur le morceau 848 de Jim Jones. Ainsi, « free my brother gucci » se transforme en « fuck that nigga gucci ». Il enchaîne rapidement par le diss track Ice Cream Cone présent sur la mixtape From Roaches To Rollies, dans lequel il prétend que Gucci Mane est jaloux de son succès et menace d’envoyer une équipe pour l’assassiner, situation à laquelle Gucci est plutôt familier…
En novembre de la même année, Gucci Mane attaque en justice la mère de Waka Flocka, clamant qu’elle lui a extorqué de l’argent alors qu’elle gérait son label 1017 Brick Squad. La fracture déjà grande devient irrémédiable dès ce jour. Waka Flocka vient de perdre un autre frère. Cette fracture devient encore plus douloureuse pour lui lorsque le corps de son autre frère, Kayo Redd, est retrouvé sans vie deux jours avant la Saint-Sylvestre. Amputé de sa fratrie biologique et adoptive, Waka Flocka se réfugie dans la drogue comme il le confesse dans l’émission The Therapist.
➡️ 2017 : L’année du recyclage !
Début 2017, Waka Flocka relance le beef avec un morceau diss, le second de leur brouille à ce jour. Was My Dawg, au-delà d’être un très bon morceau, est un condensé des vérités de Waka avait à lui adresser maintenant que Gucci est libre. Si Waka Flocka empile les menaces de mort et règle ses comptes une bonne fois pour toutes avec son ex-frère, les sentiments premiers qui se dégagent du morceau sont la rancœur et l’amertume. Ce morceau est moins un clash qu’une complainte d’un cœur brisé par celui qui l’a trahi et qu’il l’aimait aussi fort que l’on peut aimer un frère. Gucci Mane n’a pas répondu à ce morceau, lui qui est pourtant si friand des clashs, probablement retenu par l’affection toute particulière qu’ils se portaient et se portent probablement encore.
Si Gucci Mane est un homme complètement neuf et exorcisé de ses démons depuis sa sortie de prison, sa réconciliation avec Waka Flocka est le rouage manquant de sa rédemption. En effet, de tous ses beefs, celui avec Waka est le seul qui subsiste réellement encore aujourd’hui. L’autobiographie qu’il compte publier le mois prochain pourrait renfermer les secrets qui gravitent autour des raisons de cette relation tumultueuse. Quant à Waka Flocka, il s’apprête à sortir Flockaveli 2, la suite de son immense classique le 5 octobre prochain, soit pile six ans après que le premier a frappé de plein fouet le milieu rap. Il est difficile d’espérer une quelconque réconciliation entre les deux rappeurs aujourd’hui, mais qu’importe. On n’oubliera jamais les Ferrari Boyz.