Le 20 septembre dernier, une annonce s’est répandue comme une trainée de poudre parmi les professionnels de la musique : Spotify permettait gratuitement aux artistes de mettre en ligne leur musique via l’interface Spotify For Artists sans passer par un label ou un agrégateur numérique. Pour être plus précis, la plateforme de streaming suédoise a annoncé le lancement d’une version bêta étendue à quelques centaines d’artistes uniquement. Parmi les bénéficiaires de la fonctionnalité, la rappeuse new-yorkaise Noname qui a pu sortir son album Room 25 dans l’indépendance la plus totale. Quels sont les grands perdants de l’opération ?
Lee Parsons, PDG de la société britannique Ditto, a évoqué dans un article pour Music Business Worldwide le sujet des agrégateurs numériques, étant donné que Spotify permet aux artistes de se passer d’eux pour distribuer leur musique. En réalité, ce n’est qu’à moitié vrai car ces services présentent l’avantage de se présenter comme partenaires de plusieurs dizaines de plateformes (plus de 150 pour TuneCore notamment). Si Spotify reste de loin le leader mondial du streaming musical, les plateformes restantes ne sont pas à négliger. Certains pure players nationaux conservent une position dominante sur leur marché d’origine, c’est notamment le cas de Deezer en France. Aux seuls Etats-Unis, Apple Music a fini par dépasser Spotify en total d’abonnés et revendique globalement des scores beaucoup plus importants pour l’urbain (les démarrages de Drake et J.Cole, entre autres, ont confirmé cette affirmation).
Drake, une ombre sur le succès commercial de son album « Scorpion »
En revanche, comme le précise Vulture dans son analyse consacrée à la nouvelle fonctionnalité de Spotify, deux plateformes ont construit leur réputation en offrant justement aux artistes la possibilité de mettre leur musique en ligne sans frais : Bandcamp et SoundCloud. Sans surprises, ces deux services ont d’ailleurs connu une énorme popularité parmi les artistes indépendants et SoundCloud a tout particulièrement été à l’épicentre du renouvellement de la scène rap aux Etats-Unis ces dernières années. La plateforme basée à Berlin ne s’y est pas trompée, et a multiplié les annonces pour contrer l’action de Spotify : début octobre, elle a ouvert son programme de monétisation initialement accessible sur invitation uniquement à des milliers de créateurs indépendants, puis a enchaîné le 23 en permettant aux utilisateurs premium d’écouter son catalogue depuis des logiciels de mixage et en s’associant à Instagram Stories… Comme Spotify quelques mois auparavant !
Pour autant, est-ce que SoundCloud se trouve hors de danger ? Pour ce qui est de la plateforme, probablement. Malgré ses nombreuses difficultés financières, le site créé par Alexander Ljung en 2007 jouit d’une réputation de nid de créativité parmi les auditeurs et les professionnels de la musique. Elle bénéficie également du soutien d’artistes qui, comme Chance the Rapper, ont connu le succès au travers de ses services. Plus important, les artistes indépendants ont déjà acquis le réflexe de mettre leur musique en ligne sur SoundCloud là où l’annonce de Spotify, malgré son impact, est encore loin d’avoir fait le tour du monde.
Pour ce qui est du « SoundCloud Rap », les perspectives d’avenir ne sont peut-être pas aussi optimistes, mais pas du fait de Spotify. Le flux d’artistes urbains issus de la plateforme et rencontrant une certaine notoriété semble s’être tari depuis un moment, et pour cause. Une fois passés à l’échelle supérieure, celle qui leur permet de générer des revenus décuplés grâce à leurs enregistrements, la quasi-totalité des rappeurs de SoundCloud se sont tournés vers des modes de distribution financièrement plus intéressants. Vulture a d’ailleurs souligné dans un article publié sur Medium la création par certains labels de structures semi-indépendantes destinées à accueillir ces artistes en quête de souplesse contractuelle avec comme exemple principal 10K Project, dirigé par Elliot Grainge, fils du PDG d’Universal Music Group Lucian Grainge. Pour autant, si le « SoundCloud Rap » comme phénomène mis en exergue depuis plusieurs années semble s’être pris les pieds dans le plâtre, la plateforme n’en héberge pas moins une scène créative toujours aussi riche, qui a développe en permanence ses propres codes du fait de son fonctionnement en boucle fermée.