Directeur artistique d’Universal Music Publishing France depuis maintenant près d’un an, Julien Thollard a auparavant passé quelques années au sein du label havrais Din Records en tant que chef de projet. Son parcours atypique dans l’un des labels indépendants les plus prolifiques du rap français, puis dans l’univers un peu particulier des éditions musicales l’a amené à développer un point de vue bien particulier sur la direction empruntée par le genre ses dernières années. Entre une passion inaltérée pour la musique et l’accompagnement du processus créatif et les impératifs que ces derniers impliquent, Julien Thollard s’est imposé en quelques mois comme un directeur artistique proactif. Cette capacité à dépasser ses attributions pour créer une véritable relation de confiance avec l’artiste, il la doit en partie à un parcours antérieur qui le poussait à être sur tous les fronts pour livrer un produit fini aussi qualitatif et fidèle à l’artiste que possible…
Revrse : Pour revenir un peu sur l’historique de ta carrière, tu es resté un long moment chez Din Records avant d’occuper ton poste actuel chez Universal. C’est une expérience qui a forgé ta manière de travailler ?
Julien Thollard : Din Records, c’est un gros centre de formation. J’y suis resté quatre ans et demi. C’est vraiment aller au-delà de la musique. Sals’a, c’est comme mon frère. Je ne me voyais pas forcément partir, mais une bonne opportunité s’est présentée, tout en me permettant de continuer à travailler avec eux mais différemment. Aujourd’hui, je suis directeur artistique chez Universal Music Publishing, où je côtoie encore Brav, Médine, Proof et Tiers Monde, plus d’autres artistes (Ninho, Da Uzi, Bolemvn, Roxaane, YL, RK, Fianso, Siboy, Cashmire, DST, Ovaground, la MOC, etc). Din Records, c’est une vraie expérience. Aujourd’hui, on voit beaucoup de labels se créer mais ce sont souvent seulement des enseignes. Là, il y avait une économie réelle et globale gérée en 360 : du publishing au master en passant par le tour, le merchandising, les RP… On pouvait créer un album de A à Z, et en peu de temps.
Revrse : Au delà de ça, c’est surtout un label qui est parvenu à devenir une marque reconnaissable dans le paysage rap français…
Julien Thollard : Quand on se parle avec Sals’a, fin 2013, je termine alors ma licence d’histoire-géographie. J’allais entamer mon master, il me regarde et me dit : « c’est bon, t’as assez fait d’études, je cherche un chef de projet et j’aimerais bien que ce soit toi car tu connais le label par cœur ». Je connaissais des rappeurs, je traînais dans le milieu du rap mais sans vraiment y travailler. Il m’a tout de suite fait confiance. Comme il aime le dire, « il m’a jeté dans la piscine et a observé si je savais nager ». A ce moment-là, il m’avait recruté pour développer tous les artistes en développement : Brav, Tiers Monde, Alivor, puis Oumar. C’était un beau challenge qui m’a permis d’appréhender le milieu de A à Z avec des artistes quasiment inconnus en solo. Avec Brav, on a sorti 3 projets par exemple, et c’était une aventure très profonde humainement et musicalement. Je crois qu’en se concentrant sur ces artistes, ça a encouragé Médine à revenir encore plus fort. Une sorte de compétition positive. Son retour, c’était un double challenge : à la fois économique car on était en plein dans l’arrivée du streaming, et à la fois artistique avec une transition vers des sons plus trap, plus courts, plus synthétisés. Personne n’y croyait. Finalement, on sort l’EP Démineur en 2015 uniquement en digital et sans annonce, et ça signe un nouveau départ. Aujourd’hui, il enchaîne les sorties, les tournées, se retrouve au Zénith de Paris et sort un titre inattendu avec Booba.
Revrse : Même avant ça, Médine était quand même un visage bien implanté. La collaboration n’était pas forcément si surprenante que ça, si ?
Julien Thollard : La collaboration est tout à fait légitime et logique, les retours sont assez unanimes, les gens ont l’air d’avoir apprécié. Cela prend une autre dimension avec le clip à Alger, c’était intéressant comme collaboration. Pour en revenir à Din Records, c’est vraiment un beau centre de formation.
Revrse : C’est peut-être une expérience formatrice parce que c’est une structure à taille humaine, où la main d »oeuvre est mobilisée au maximum de ses possibilités…
Julien Thollard : Exactement. On était cinq, six à travailler chez Din Records, bien qu’il y ait des prestataires autour. Très peu de gens rentrent dans la boucle sur un projet, par exemple sur Brav on était deux avec Sals’a de A à Z : se prendre la tête sur les titres en studio, réfléchir aux clips et les réaliser, imaginer des concepts différents et innovant en promo et marketing, faire la relation presse, la com, etc. C’était intense mais hyper intéressant. Sur les clips, on a quasiment tout écrit ensemble avec Brav, on cherchait toujours à ramener quelque chose de différent, avec plus d’acting, moins de playback, tout en tenant compte de budgets très restreints. On a fait les clips avec mon pote Florin Defrance, je crois près d’une quarantaine au total. Le moment le plus marquant, c’était le clip Bataclan. On a travaillé un mois dessus : trouver le lieu, constituer l’équipe déco, l’équipe technique, le stylisme, les figurants, écrire et valider le scénario, etc. On était plus de 30 sur le tournage. Faire la direction artistique d’un tel clip, c’était fort aussi bien artistiquement qu’humainement symboliquement.
Revrse : Le fait que la structure soit située au Havre, tu ne penses pas que cela peut être un frein pour Din Records à certains moments ?
Julien Thollard : Ca peut l’être mais il faut relativiser, c’est seulement à deux heures de Paris. J’ai toujours habité à Paris quand je travaillais chez Din Records. Je faisais l’aller-retour régulièrement. Le recul géographique était très important sur le plan psychologique. Je pense qu’il a permis à cette équipe de ne pas succomber à certains appels, à garder la tête froide et à pérenniser une économie durable. Le « parisianisme » a ses bons et mauvais côtés. Certes, on était moins proche des majors, des grandes enseignes, des médias, mais l’ancrage régional du label lui a servi dans son identification.
Revrse : C’est vrai que finalement, cet aspect provincial est toujours associé à l’image du label…
Julien Thollard : Quand on vient de province, on se dit souvent que c’est deux fois plus compliqué. Ce recul géographique peut vite devenir une force. Sur Gradur, Bigflo & Oli, l’expression régionale est quasi aussi importante que la dimension artistique. A Marseille aussi, c’est hyper important.
Revrse : Est-ce que c’est pas un facteur qui dépend du style de l’artiste ? Jul ou Bigflo & Oli ont une ADN justement adaptée au public local, mais ce n’est pas le cas de tous les artistes de province…
Julien Thollard : Après, cela se travaille. Actuellement, je suis régulièrement avec un artiste en développement qui ne vient pas de Paris, je lui répète de faire attention à ne pas oublier sa ville d’origine. Si tu parviens à convaincre ton entourage, ton quartier, ta ville, ta région, tu aura une impulsion naturelle non négligeable. Et dans le rap, c’est un réflexe historique cette fierté de venir d’ici, de tel quartier, de représenter. Par exemple, une expression typique d’une ville peut donner un titre fédérateur et pousser les gens à te représenter. Dernièrement, avec Koba LaD et Bolémvn, on assiste presque au sacre d’un bâtiment.
Revrse : Rien qu’en région parisienne, il y a des scènes très distinctes, notamment le 91, avec Grigny et Evry, le 93 avec Sevran…
Julien Thollard : Oui, on l’a vu dernièrement avec le clip Zidane de 13 Block. Ils ont invité de nombreux artistes de Sevran, ça permet de marquer une époque et une certaine école. Fianso, quand il décide de faire la série #JeSuisPasséChezSo et qu’il passe par Marseille, ce n’est pas anodin. La démarche plait, marque les auditeurs, c’est très bien senti et réfléchi.
Revrse : Ce qui est assez paradoxal, c’est qu’il est important de représenter sa ville, mais par exemple un Fianso ou un RK ont fait le tour de France pour amplifier leur buzz.
Julien Thollard : Oui, c’est hyper important et c’est une stratégie qui se répète. C’est un peu comme la naissance de l’état-nation français autour de villes fortes avec un développement en araignée. Quand RK se déplace dans d’autres villes de France, ça vient consolider une adhésion musicale déjà préexistante. La stratégie de son équipe a payé. On a une saturation dans notre genre musical donc comment se distinguer ? Il faut développer une vraie réflexion. En 2004-2005, quand Din Records sort le DVD Le prix de l’indépendance dans lequel ils expliquent comment ils se structurent, tu comprends réellement que pour pouvoir vivre de ta musique, il va falloir se dépasser et penser à de nombreux paramètres. Quand tu as compris les mécanismes, et leurs évolutions bien entendu, tu peux être plus serein sur la création artistique.
Revrse : Et les modifications s’ajustent en fonction des chiffres surtout…
Julien Thollard : A chaque sortie, tu dois te demander qu’est-ce que je peux faire de plus par rapport à mon dernier album. Certes, les chiffres aident. Avec des budgets plus importants, tu peux aller plus loin mais ça ne fait pas tout. Quand OrelSan revient avec Basique, ce n’est pas qu’un clip : il y a une annonce, de l’idée, un visuel fort et impactant, etc. Chez Din Records et chez Bomayé Musik, on passait des heures à réfléchir à de nouvelles idées, comment mieux accompagner et défendre ta musique. Je me rappelle de l’écoute dans la galerie d’art pour l’album NGRTD de Youssoupha, c’était très cool comme idée.
Revrse : Aujourd’hui, on constate aussi un effritement de la polarisation entre l’indépendance et les maisons de disques. Beaucoup d’artistes se ménagent une liberté de mouvement via des contrats de licence, et à l’inverse certains indépendants confient leur distribution ou leurs éditions à de plus grosses structures.
Julien Thollard : Il y a eu beaucoup de changements sur la configuration et la proposition des deals en major. On peut découvrir des artistes qui font des millions de vues, des centaines de milliers d’écoutes en streaming en totale indépendance et en distribuant leur musique via un agrégateur qui les rémunère à 100%. C’est fou. Les deals de distribution se sont multipliés et beaucoup d’artistes, notamment dans le rap, ne veulent plus entendre parler de contrat d’artiste. Ils souhaitent monter leur propre boîte, s’autoproduire, etc. C’est le cas de Da Uzi, que j’ai signé en édition, mais qui produit lui-même avec V2V Industry sa dernière mixtape, et ils font ça hyper bien. Personnellement, je ne travaille pas en label, je suis du côté éditorial. C’est une économie totalement différente et complémentaire. Dans le rap, c’est assez rare de voir une major signer un artiste et le développer de A à Z. La plupart du temps, quand un artiste signe, il a déjà sorti quelques clips et a déjà une proposition artistique.
Revrse : Peut-être parce que ce qui est important dans le rap, c’est la spontanéité, et que le fait de développer quelqu’un de A à Z risque de diluer cet aspect ?
Julien Thollard : Et c’est aussi une question de codes. Quand je suis arrivé chez Universal Music Publishing, j’avais pour objectif de renouveler la génération rap. Mon expérience en indé m’a bien aidé car mes réflexes permettent de mieux accompagner des artistes signés en édition mais qui s’autoproduisent. C’est un genre musical hyper spontané, où tout va très vite, les processus de création sont très courts. Il faut savoir être proactif. Sur Da Uzi, le timing était plutôt bon : une série de freestyles marquants, un gros featuring avec Ninho, des apparitions bien choisies et une 1 ère mixtape de 18 titres avec des collaborations bien réfléchies.
Revrse : D’ailleurs, tu es intervenu sur la direction artistique du projet de Da Uzi ?
Julien Thollard : Lorsqu’on signe avec Da Uzi, la mixtape était bien avancée. On s’est rencontrés lors d’une session avec des producteurs d’UMP, Ovaground. C’est là qu’il a écrit le titre qui donnera finalement le featuring D’une autre manière avec Kaaris. Il m’a fait une forte impression, il avait des automatismes assez impressionnants en écriture et en mélodie. Sa marge de progression est encore importante, je suis très confiant pour lui et son équipe.
Revrse : Dans la même veine, on voit de plus en plus d’équipes indépendantes se structurer de manière efficace. Tu penses qu’ils ont désormais accès à plus d’outils ?
Julien Thollard : C’est rare de rencontrer un rappeur qui est tout seul. Il a souvent un pote manager, un pote producteur, un grand du quartier qui garde un œil sur son évolution. La difficulté dans ces cas-là, c’est de juger la stabilité de l’environnement autour de l’artiste car cela reste de la musique. Avant de faire du business, il faut d’abord faire de la bonne musique, avoir une proposition différente, etc. Cette envie d’entrepreneuriat, elle est liée tout simplement à l’envie de s’en sortir et de capitaliser sur un talent. En édition, on travaille sur des contrats assez longs. Ça peut aller jusqu’à 5 ans, d’où la nécessité de bien réfléchir avec qui on s’engage.
Revrse : Lorsque tu rencontres une équipe, est-ce que tu pars dans la démarche de les aider à se développer et surtout à se professionnaliser ?
Julien Thollard : J’essaie toujours de proposer une vision, d’appuyer les points forts, d’analyser les manquements. Sur RK, on a travaillé le prochain album, on s’est enfermés une petite semaine avec 7 compositeurs différents. Cela a permis d’avoir des titres plus poussés et quasiment définitifs. Le but, c’est de créer des alchimies entre l’artiste interprète, le pianiste, le meilleur en drums, etc. L’accompagnement d’un artiste varie aussi en fonction de sa maturité. A partir du moment où je m’implique dans un projet, que je signe un artiste, il faut que j’ai quelque chose à dire, à apporter, sinon cela peut être frustrant et réducteur.
Reverse : Factuellement, comment es-tu rentré chez Universal ?
Julien Thollard : Je travaillais déjà avec Universal Music Publishing puisqu’on avait signé Proof, Brav, Tiers Monde en édition là-bas avec Medhi Guebli. Il m’a appelé un jour pour que je vienne le voir là-bas avec Bertil David, le boss d’Universal Music Publishing, et ça s’est fait assez naturellement. Il y a eu un bon feeling et nos visions étaient similaires. J’ai senti que je pourrais garder des réflexes d’indépendant et une certaine autonomie ici, ça m’a encouragé à me lancer dans cette aventure. Les éditions, c’est un monde assez particulier où tu restes en retrait, tu es moins dans l’urgence et plus dans la phase de création.
Revrse : Justement est-ce que tu peux parler de ton rôle d’éditeur, quelles sont vos attributions et votre rôle ?
Julien Thollard : Tout d’abord, le rôle de l’éditeur varie en fonction des personnalités et du degré d’implication. On est souvent en retrait donc il faut savoir s’imposer et légitimer sa place, surtout dans le rap. Le rôle premier d’un éditeur, c’est d’aider à la création de l’œuvre, à sa réalisation, son dépôt à la SACEM, sa protection et sa bonne diffusion. On voit de plus en plus de deals de distribution aujourd’hui et ça favorise le retour de l’éditeur. On aide ces équipes indépendantes sur la partie création en leur faisant profiter d’un réseau de compositeurs, topliners, producteurs, en créant des séminaires durant lesquels on produit plusieurs titres ; on les conseille et les accompagne sur des rencontres avec d’autres professionnels (tourneurs, labels, RP) ; on peut signer un auteur interprète et le faire écrire pour d’autres artistes qui sont uniquement interprètes. Le modèle actuel, c’est d’être en distribution et en édition. Ça donne l’impression d’être en major tout en restant maître de sa musique. A la différence d’un label, nous travaillons avec tous les auteurs d’une œuvre : ça peut être l’auteur, le mélodiste, le pianiste, le beatmaker, etc. Aujourd’hui, je travaille autant, voire plus, avec un producteur comme DST, qu’un artiste auteur interprète comme Ninho. Le premier rôle de l’éditeur, c’est d’octroyer une avance qui permettra, selon les échelles bien entendu, à l’artiste de ne pas attendre auprès de la SACEM les prochaines collectes de droits. On va aussi lui permettre de s’équiper afin qu’il soit autonome de chez lui. On va l’accompagner dans le dépôt de ses œuvres, la défense de celles-ci, le tracking, etc. Ce qui est intéressant, c’est de pouvoir travailler avec un artiste comme Black M par exemple, qui n’est pas signé chez Universal Music Publishing, mais qui rencontre des compositeurs de chez nous. Cela nécessite d’avoir la bonne vision et d’imaginer la collaboration idéale. L’éditeur a aussi un rôle de conseiller, limite de manager par moment, car il est en retrait par rapport au producteur. Chez Universal Music Publishing, on a également le plus gros service synchro qui permet de travailler sur différents projets (publicité, films, court-métrages, documentaires) où la musique à l’image est primordiale.
Revrse : Est-ce que le fait d’être éditeur te permet d’avoir plus de contacts avec d’autres genres musicaux ?
Julien Thollard : Oui, absolument. Je peux travailler avec un rappeur, une chanteuse, un pianiste, etc. Le spectre musical est sans limites. Ma première signature, c’est avec Sofiane Pamart, un pianiste que je connaissais avant d’arriver chez Universal. On a un projet hyper ambitieux et excitant en tant que pianiste solo, mais on travaille aussi sur des collaborations locales et internationales, sur des projets synchro, etc. C’est très stimulant.
Revrse : Finalement, ton poste chez Universal nécessite d’aimer connecter les gens, mais également d’avoir une vision artistique voire stratégique
Julien Thollard : Totalement. Quand tu t’isoles une semaine avec une dizaine d’artistes, il faut être sûr de ton casting, de sa cohérence. Il y a plein de paramètres à prendre en compte. Sur RK, on se retrouve avec 2031 (dit Chichi) qui a produit des centaines et centaines de titres avec Booba, Kaaris, Niro et F430 et Unfazzed ou Josh qui n’ont même pas 20 ans, mais qui ont énormément de talent. Confronter les générations, c’est hyper important.
Revrse : Maes est signé chez Capitol mais a confié ses éditions à Sony ATV, idem pour Da Uzi qui est chez Rec. 118 mais dont tu gères les éditions… Comment expliquer ce schéma fréquent de ne pas se cantonner à une major ?
Julien Thollard : Tout simplement car il faut dissocier le master du publishing. Signer Da Uzi alors qu’il est chez Rec. 118 en master ne m’empêche pas de bien travailler avec eux. Ce sont vraiment deux partenaires différents. Certains te diront qu’ils aiment bien dissocier le publishing et le master en allant dans deux maisons de disques différentes pour conserver une sorte de contre-pouvoir, d’autres à l’inverse préfèrent être chez Universal en publishing et master pour que ce soit plus fluide, etc. Tout dépend de l’artiste. Il n’y a pas de règles. Au-delà de la maison que tu choisis, il est important de regarder avec quel directeur artistique tu t’engages, qui va te suivre au quotidien et défendre ta musique avec la bonne vision.
Revrse : Est-ce qu’il existe un profil idéal d’artiste à signer ?
Julien Thollard : En éditions, le profil idéal, c’est un artiste qui peut composer, écrire, jouer d’un ou plusieurs instruments. Ça te permet de multiplier les occasions de collaboration. On peut prendre l’exemple d’Olivier (dit Le Motif) qui a plusieurs compétences : il peut produire, écrire, réaliser, travailler pour d’autres, pour soi. Je pense d’ailleurs que nous allons voir de plus en plus de projets de producteurs dans le rap ces prochaines années. Ils vont jouer un rôle encore plus important, notamment dans le renouvellement artistique du genre.
Revrse : N’est-ce pas compliqué de sortir de cette case de producteur pour devenir un artiste interprète à part entière ?
Julien Thollard : Oui, ce n’est pas facile mais la tendance est positive. Quand Damso met en avant le travail des beatmakers aux Victoires de la Musique, c’est très encourageant. Les producteurs commencent à s’affirmer, communiquent de plus en plus, se mélangent, travaillent leur image. Il suffit de suivre Olivier sur Instagram. On sent qu’il y a une nouvelle dimension chez les producteurs : il s’affirment en tant qu’artistes à part entière. Ils ne sont plus dans l’ombre des interprètes avec lesquels ils collaborent et la reconnaissance de leur travail est de plus en plus forte.
Revrse : Avec ces groupes de topliners, compositeurs bien implantés, n’y a-t-il pas un risque que la production rap français tourne en rond et soit uniforme étant donné que beaucoup font appel à leurs services ?
Julien Thollard : C’est vrai, et je trouve que ça se ressent actuellement. Beaucoup de toplines, de prods se ressemblent. Il y a un côté hyper générique. Mais ça répond à la consommation des auditeurs de rap. Il faut prendre du recul sur la création artistique. Ce que je regrette, c’est qu’on travaille beaucoup sur les singles, mais très peu sur les albums. J’ai l’impression d’entendre des compilations, sans suivi, sans âme, sans cohérence artistique. C’est là qu’on peut jouer un rôle en créant des connexions inédites et en multipliant les rencontres. Un des problèmes actuels, c’est aussi le manque de réalisateurs dans le rap. On a beaucoup de beatmakers, mais très peu d’artistes qui peuvent prétendre réaliser un titre de A à Z.
Revrse : Ça peut aussi être un problème venant du public, qui souhaite entendre ce qu’il entend déjà…
Julien Thollard : C’est vrai. Et ça, c’est lié à tous les genres. Les « accords magiques » comme on dit, tout le monde aime les entendre, se dire : « ha, ça me rappelle tel ou tel titre ». Imposer quelque chose de nouveau, ce n’est pas donné à tout le monde.
Revrse : Paradoxalement, tous les rappeurs qui ont explosé récemment sont arrivés avec leur propre délire, est-ce que ça ne serait pas davantage une question de timing ?
Julien Thollard : La proposition artistique joue tout autant que le timing. Je crois aussi beaucoup à l’influence des saisons. Il y a des musiques qui se prêtent plus à l’hiver, à l’été, ça répond à un état d’esprit, à ce que tu as envie d’écouter le matin dans le métro par exemple. Il y a des contre-exemples bien entendu, comme Dosseh qui sort Habitué, un piano-voix, juste avant l’été.
Reverse : Au niveau de l’aspect promotion des artistes, à quel point es-tu impliqué dedans au vu de ton poste ?
Julien Thollard : Je garde des réflexes et des contacts que j’ai eus en indépendant et je file des coups de main. Mon rôle consiste davantage à connecter un artiste et un attaché de presse. Par exemple, sur le projet de Sofiane Pamart, on a démarché de nombreux partenaires en promo car on a une exigence importante. Du coup, tu envoies des mails, passes des coups de fil, tu défends la vision sur l’artiste, tu dois convaincre le partenaire en face de toi. Après, j’ai de la chance d’avoir rencontré beaucoup de médias et de journalistes que je côtoie encore aujourd’hui et que je peux contacter dès que c’est nécessaire. L’essentiel reste de développer une singularité autour de l’artiste afin qu’il soit attirant, unique en quelque sorte. Cela passe aussi par l’image. Je fais très attention au visuel parce qu’en éditions, nous avons une position un peu délicate. On peut créer un répertoire musical hyper fort, mais si les clips ne suivent pas côté master, le projet risque de ne pas fonctionner. C’est devenu décisif aujourd’hui.
Revrse : Finalement est-ce que l’éditeur ne serait pas le coordinateur du projet ? Dans le sens où tu occupes un rôle central par rapport à la création.
Julien Thollard : C’est ce que j’essaye de faire, et c’est l’un de mes objectifs. Une nouvelle fois, ça dépend du stade d’avancée de l’artiste. L’investissement est différent sur une artiste comme Roxaane et sur Da Uzi par exemple. Nous sommes à la source de la création du répertoire mais tout ne dépend pas de nous. L’objectif, c’est de se coordonner avec tous les partenaires, aussi bien un label ou un tourneur, pour que tout le monde aille dans le même sens. Les artistes sont de plus en plus matures et apprennent vite, ça facilite les choses. YL, par exemple, a une maturité assez hallucinante pour 22 ans.
Revrse : Cette maturité précoce commence à véritablement se répandre dans le rap français à l’heure actuelle…
Julien Thollard : Il y a désormais plusieurs générations de rappeurs. On apprend des erreurs de ses prédécesseurs, on entend et demande des conseils, etc. Ça aide à mûrir plus rapidement. En traînant sur YouTube, tu as un florilège d’interviews qui te permettent d’appréhender mieux ce milieu.
Revrse : Concernant la partie artistique sur laquelle tu interviens, n’est-ce pas compliqué d’intervenir sur l’écriture d’un artiste ?
Julien Thollard : Tout dépend de l’artiste. On apporte des conseils, un avis extérieur, mais l’artiste est toujours décisionnaire final sur son texte. Avec Roxaane, on discute beaucoup, on échange constamment. Parfois, c’est juste le fait de changer un mot, de renforcer une phrase forte, de la faire ressortir en la mettant en pré-refrain ou refrain directement. On apporte un recul sur la création que l’artiste n’a pas toujours car il est trop dedans.
Revrse : Pour parler du rôle de directeur artistique, j’ai l’impression que c’est un rôle ayant tendance à être à la croisée de nombreux chemins, du digital au marketing… Mais ça a l’air d’être surtout valable en production, plus qu’en édition ?
Julien Thollard : En édition, cela l’est un peu moins qu’en label, c’est vrai. Mais, ça revient à ce que l’on disait tout à l’heure sur l’essor des deals de distribution. L’artiste et son équipe, quand il en a une, nous sollicite sur des paramètres qui vont au-delà de notre rôle d’éditeur. C’est là que mon expérience en indépendant est vraiment utile. Ce qui est certain, c’est que je prends en compte la musique lors de mes rendez-vous mais aussi les réflexions sur l’image, le digital, la communication… C’est devenu primordial.
Reverse : De l’extérieur, on pourrait limite avoir l’impression qu’il n’y a plus de véritable directeur artistique, mais plutôt des gens du marketing qui sont placés à ce poste précis, qu’est-ce que tu en penses ?
Julien Thollard : C’est souvent ce qui se dit. Ce n’est pas entièrement faux. Personnellement, je n’ai jamais étudié le marketing. J’écoute du rap depuis mon plus jeune âge, et je suis issu de ce milieu là. C’était une évidence. Je suis un passionné avant tout. Quand j’écoute l’album Destin avec Ninho, c’est une partie de plaisir. Le mec est hyper fort techniquement, développe de plus en plus de mélodies propres à lui. Là, on est vraiment dans l’artistique. Heureusement ou malheureusement, je ne sais pas, on ne peut plus dissocier l’artistique de ce qui va avec : le marketing et l’image. On voit des projets naissants très fort musicalement et qui se consolident ensuite sur l’image. Parfois, c’est l’inverse. Le mec a une gueule, un accessoire en particulier, il affole la toile, et la musique n’est pas forcément forte, mais le devient après. Le plus important, c’est de garder une cohérence dans tout ça et de partir de l’essentiel : une bonne chanson.
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