Lorsque que le 24 juin dernier, Zekwe (anciennement Zekwe Ramos, blaze qu’il a dû laisser suite à son départ du label Neochrome il y’a deux ans) sortait son nouveau projet intitulé Frapp Musiq, très peu de gens semblaient au courant de cet évènement. Certains ont pu s’en rendre compte quelques jours plus tard lorsque sur Twitter, l’un de ces fabuleux comptes de merde dont je vais volontairement éviter de préciser le nom annonça les chiffres de ventes de milieu de semaine, ce qui a eu pour conséquence quelques moqueries de certains twittos très populaire, très friand de ce genre d’annonce afin de sortir de superbes vannes bien senties pour faire le top tweet. Cette dictature de la première semaine et même maintenant de la moitié de première semaine a aujourd’hui une grande influence pour beaucoup d’auditeurs, qui estimeront que si un artiste fait des ventes pitoyables en première semaine il est forcément nul (Pourquoi je suis devenu fan de rap moi, j’aurai dû être fan de variété putain)…
Mais assez de parlé du public rap (je n’ai pas envie d’attraper une gastro), et demandons-nous comment se fait-il qu’un artiste aussi talentueux que Zekwe puisse sortir des projets dans un anonymat presque total? On pourrait passer des heures à trouver des coupables, des auditeurs et leurs goûts de chiottes aux radios et leurs playlists non moins merdiques, mais si l’on devait trouver un responsable principal, la réponse serait: Zekwe lui-même. Car si Zekwe est un excellent artiste, force est de constater qu’il est un piètre communicant et promoteur de sa musique. Sur cet EP de 9 titres, un clip publié il y a trois mois (Toutédebonkalité), un titre qui était déjà présent sur son précédent projet Selecao 2.0 (Le premier métro), un son publié début 2015 (Zombies) et le remix d’un titre sorti fin 2015 (Merco Benzo). La moitié du projet était déjà connue et son rythme de publication est tout bonnement incompréhensible. Ajoutez à cela que son dernier projet, où il n’y avait aucun clip (à cause, me semble-t-il, de son départ de Neochrome), date de 2014 et Dieu sait qu’il s’en est passé des choses depuis dans ce rap français où 5 projets sortent chaque semaine.
J’ignore si Zekwe a un(e) attaché(e) de presse ou un(e) conseiller(e) en communication, mais devant une mise en marché aussi minable, cela étonnerait et il serait peut-être temps que Zekwe devienne un peu plus professionnel à ce niveau. Pour un exemple de plus, j’ai commencé à suivre Zekwe en 2011 sur les différents réseaux sociaux après la sortie de son premier projet solo Selecao. Résultat: en cinq ans, j’ai vu plus souvent Zekwe publier des photos de ses dernières acquisitions vestimentaires et des plats qu’il mangeait que publier sa musique, à part au moment où il sortait Selecao 2.0 en 2014. Et en général, quand Zekwe fait parler de lui sur internet, c’est plus souvent pour un tweet sur Booba et Rohff, un échange de politesse avec son ancien collègue de Néochrome Alkpote (quelle tristesse ça putain) ou pour une vidéo prouvant que DJ Kore est, en plus d’un aspirateur d’âme de rappeurs signant chez Def Jam (un bisou à Genono), un pompeur de beats US, que pour sa musique. C’est bien connu, on devrait interdire aux rappeurs d’utiliser les réseaux sociaux (c’est pour leur bien), mais pour Zekwe c’est une priorité.
Et tout ça est d’autant plus rageant quand on sait à quel point la musique proposée par Zekwe est d’une qualité largement supérieure à la moyenne. Tout au long des 9 titres qui composent Frapp Musiq, il nous montre une fois de plus qu’il excelle à la fois dans l’écriture, dans la composition et dans l’interprétation comme il l’avait déjà montré sur les deux volumes de la Selecao. Artiste ultra-complet comme on en compte sur les doigts de la main dans le rap français, il est en plus de cela un artiste très singulier. Rien que le titre du projet Frapp Musiq prouve qu’il a pour ambition de se démarquer de la foire aux clones du rap français (coucou SCH et DJ Kore) et d’imposer son style. Celui-ci qui se situe d’abord dans le contenu lyrique entre humour décomplexé, egotrip (Zekwe est un rappeur mine de rien), son goût pour la bouffe, la fumette et la boisson, une mentalité libérale, un certain réalisme sur le monde qui l’entoure, une touche de romantisme (mais toujours accompagnée d’un peu de cruauté) et bien sur l’amour des siens (« quoi d’mieux que porter ma fille pour prendre ma vie en main »).
Son interprétation ensuite, qui se caractérise par une variation de flow remarquable, parfois incisis (Zombies), parfois nonchalant (Toudanlkam) et une alternance entre le rap et le chant impressionnante de maîtrise. En plus de cela, Zekwe est un rappeur blanc, Zekwe vient du 91 et Zekwe a été un rappeur de Néochrome, donc forcément, c’est un as des rimes multi syllabiques (et comme c’est le premier critère de validation de pas mal d’auditeurs, c’est forcément un plus). Et pour finir la production, celle qui mérite largement ce nom de Frapp Musiq, constitué de percussions incisifs, de basses imposantes mais aussi belles mélodies entêtantes aux sonorités tantôt classiques tantôt synthétiques. Le style Zekwe, c’est aussi une polyvalence artistique comme on en trouve rarement dans le rap français. Bangers, ballades, rap « traditionnel », chant, introspection, prises de positions, égotrip : cherchez pas, Zekwe sait tout faire. Une qualité qui est aussi un défaut malheureusement car comme je l’ai dit dans ma chronique de l’album d’A2H, ce genre d’artiste ont du mal à être classer par le public (et je rappelle que la classification est le sport national en France, bien plus que le foot).
Enfin et surtout, la dernière qualité artistique qu’il faut souligner chez Zekwe, c’est qu’il sait faire de vrais singles (au sens positif du terme). Un titre comme Animos avec sa ligne de basse addictive et son flow chantonné, c’est le genre de morceau qu’on veut entendre dès qu’on allume une radio rap ou quand on va dans une soirée hip-hop. Sur Twitter, le rappeur Lavokato disait même qu’aux Etats Unis, Zekwe serait millionnaire rien qu’avec les thunes de ce morceau. Ou alors les morceaux Princess et Premier métro qui montrent que Zekwe est l’un des meilleurs rappeurs dans l’exercice des tubes « for the ladies » (même s’il faut avouer que la version présente sur Selecao 2.0 de Premier metro est nettement supérieur à celle présente sur Frapp Musiq).
Tout ça pour dire que Zekwe possède toute les qualités pour être une superstar du rap français (ce qui devrait déjà être le cas si on vivait dans un monde idéal). Sur Frapp Musiq, il a également gommé les défauts présents sur Selecao et Selecao 2.0, à savoir de faire un projet plus concis (message aux rappeurs français: à moins que vous vous appeliez Kendrick Lamar, évitez les albums de 16-17 titres s’il vous plait) et les featurings inutiles. Sur Frapp Musiq, il y’a juste un refrain joyeusement mongol et entêtant de son collège de la MFM (McFly Mafia) Yoroglyphe sur Chicken Wings (morceau qui mérite évidemment son remix avec Ol Kainry, question de principe) et son autre collègue de la MFM Nylz Neves sur Toutédebonkalité (je ne sais pas pourquoi Zekwe écrit la moitié de ses titres en abrégé mais il doit surement avoir une bonne raison). Même si ce n’est pas encore avec ce projet qu’il va exploser, il marque le début d’une seconde carrière chez Zekwe.
La page Néochrome étant définitivement tourné, il est maintenant chez Repeat Label, nouvelle structure sur laquelle il sortira tous ces prochains projets. Avec une meilleure stratégie en communication et en promotion, j’espère qu’il aura un jour le succès critique et commercial qu’il mérite (même si je pense que Zekwe commence à s’en foutre royalement). Ayant fêté ses trente bougies cette année, certains diront qu’il est déjà trop tard mais je rappelle que dans cette musique qu’est le rap, un mec comme Kaaris a percé à 33 ans et même outre-Atlantique, 2Chainz est devenu une star à 36 ans. Je sais que cette chronique ne lui permettra pas de l’exposer à un public ultra large mais vu que depuis 5 ans c’était mes potes qui subissaient mon harcèlement pro-Zekwe, maintenant que j’écris sur un site de rap j’en profite et après avoir parlé d’Espiiem et d’A2H, je suis forcé de constater que j’ai un faible pour les artistes talentueux peu connus (et c’est toujours bien de parler d’autres rappeurs que ceux que vous connaissez déjà tous).