Après la spéculation sur les cryptomonnaies, le trading ou encore le dropshipping, le business de la vente de formations a trouvé un nouveau terrain de jeu : l’achat de streams !
Au cours des derniers mois, des centaines de vidéos TikTok ont été publiées pour vanter ce nouvel eldorado de l’argent facile. Le principe est simple. Le fraudeur, généralement pas un artiste, met en ligne des pistes audio sur les plateformes de streaming musical via un agrégateur numérique, puis programme plusieurs bots Spotify pour les écouter en continu et générer des revenus.
De nombreuses vidéos citent l’exemple d’un bulgare devenu millionaire en 2018 en créant 1200 comptes Spotify, puis en mettant en ligne 467 titres de plus de 30 secondes (la durée d’écoute minimale pour la prise en compte d’un stream sur la plateforme). Ce procédé lui aurait permis de générer 72 millions d’écoutes mensuelles, pour un revenu estimé à 220 000 euros.
Cependant, la situation est loin d’être aussi simple. Au cours des dernières années, les plateformes de streaming et les agrégateurs ont renforcé les contrôles liés à la manipulation de streams alors que l’industrie se saisissait du sujet.
Dans le même temps, les techniques de fraude se sont complexifiées afin de passer sous les radars. Pour un utilisateur sans compétences techniques, les chances de passer au travers des mailles du filet sont maigres. Enquête.
L’affaire Sosa Entertainment contre Spotify
En 2019, Sosa Entertainment, LLC engage des poursuites judiciaires contre Spotify. Le label indépendant américain, inconnu du grand public et de l’industrie, et son fondateur son fondateur Jake P. Noch accusent la plateforme de streaming de ne pas avoir versé une partie des redevances associées aux 550 millions de streams générés par son catalogue.
En mai 2020, Spotify dépose une contre-poursuite et indique que les 5 albums mis en ligne par Sosa Entertainment entre décembre 2015 et mars 2016 ont été supprimés de ses services suite à une enquête sur une opération de fraude massive, repérée par ses équipes dédiées et confirmée par un collaborateur de Jake P. Noch.
Selon Spotify, plus d’un millions de faux comptes auraient été créés dans le cadre de cette opération, décrite comme « l’une des plus importantes fraudes de son histoire », pour un total de plusieurs centaines de millions d’écoutes.
La plateforme de streaming décrit les caractéristiques de ces streams frauduleux : 95% à 100% des streams proviennent d’hommes localisés aux États-Unis et utilisant la version gratuite de l’application. De plus, de nombreuses sorties de Sosa Entertainment enregistrent des pics d’activité inhabituels, sans corrélation avec leurs performances sur les autres les autres plateformes.
Spotify en croisade contre les bots
L’affaire qui oppose Spotify à Sosa Entertainment, réglée à l’amiable en 2021 après près de deux ans de feuilleton judiciaire, offre de précieuses indications sur les mesures prises par Spotify pour lutter contre la manipulation de streams au fil du temps.
Contrairement à une croyance bien installée, l’achat de streams et les pratiques associées sont bel et bien illégales en France, aux États-Unis et dans de nombreux pays du monde, bien qu’aucun texte n’y soit spécifiquement consacré. Il est également fermement interdit par les conditions générales d’utilisation des plateformes de streaming : Spotify se réserve notamment le droit de supprimer les titres contrevenants de ses services et de ne pas verser les redevances associées.
Le 1er janvier 2021, Spotify supprime ainsi plus de 750 000 titres suspectés de fraude. De nombreux artistes touchés par cette vague nient avoir eu recours à l’achat de streams et demandent à ce que leurs titres soient remis en ligne sur les hashtags #spotifytakedown et #restoreourmusic.
Quels mois plus tard, Spotify publie une vidéo dédiée aux bots et à l’achat de streams, dans laquelle la plateforme de streaming met en garde contre les services promotionnels proposant moyennant payement d’ajouter un titre dans une playlist non-éditoriale afin d’accroitre sa portée.
Achat de streams et vente de formations
Alors que l’achat de streams à des fins de marketing musical s’est perfectionnée au fil des années et a fini par migrer la majorité de son activité sur d’autres plateformes de streaming musical, une nouvelle catégorie de fraudeurs s’est saisie de ces méthodes.
Sur TikTok, des centaines de vidéos publiées au cours des derniers mois font la promotion de bots Spotify et, plus récemment, d’e-books, de formations et de groupes Telegram et Discord… Un modèle déjà populaire dans des secteurs tels que la vente d’articles en dropshipping, le trading ou encore la spéculation sur le cours des cryptomonnaies.
Le principal acteur de cet écosystème en France propose ainsi une formation à 50 euros contenant « les règles à suivre » pour éviter les risques de bannissement et faisant miroiter un revenu potentiel de 2000 euros par mois… Mais également un code de parrainage Boursorama pour démarrer son activité, permettant au filleul d’empocher 150 euros, et au parrain 100 euros.
Derrière ces promesses d’argent facile, une réalité loin d’être aussi simple. Pour un utilisateur sans compétences techniques, les mesures mises en place par Spotify réduisent considérablement les chances de passer au travers des mailles du filet.
VPS, bots Spotify et farming, l’arsenal de la fraude
La méthode la plus diffusée sur les réseaux sociaux depuis 2021 consiste à installer des bots sur un serveur dédié virtuel (VPS), une technologie permettant de reproduire les caractéristiques d’appareils autonomes.
Ces bots, souvent créés en utilisant Bablosoft, sont mis en vente avec à la clé la promesse de générer des revenus suffisants pour éponger son prix en peu de temps. Cette méthode présente deux avantages principaux : elle ne nécessite pas de compétences techniques particulières, et nécessite un investissement financier initial limité.
Fin 2021, une deuxième méthode devient prépondérante dans les vidéos TikTok, consistant à installer des téléphones multiples et à les programmer pour réaliser une opération similaire à celle des bots. Plus difficile à détecter par les plateformes de streaming, cette méthodes nécessite néanmoins des investissements plus lourds et un degré de compétences techniques plus élevé.
Quel impact sur l’industrie musicale ?
Derrière ces pratiques en apparence anecdotiques se cache l’un des principaux champs de bataille de l’industrie musicale. En augmentant considérablement les volumes d’écoutes sans contribuer, ou en contribuant de manière déséquilibrée, aux revenus des plateformes de streaming, la fraude contribue à abaisser mécaniquement les taux de rémunération des artistes et producteurs.
En 2019, Louis Posen, fondateur du label indépendant Hopeless Records, estimait que les streams frauduleux représentaient 4% du volume global d’écoutes dans le monde, soit près de 300 millions de dollars de revenus mal répartis.
Beatdapp, startup spécialisée dans la détection de faux streams, estime à son tour que ces derniers représentaient 3% à 10% du volume global d’écoutes en 2020, et au moins à 10% en 2022, voire plus dans certaines région… Soit près de 2 milliards de dollars de revenus mal répartis.
Selon Beatdapp, ce montant pourrait atteindre 7,5 milliards de dollars en 2030 sans mesures adéquates.
Si cette analyse vous a intéressé, voici une sélection d’articles pour approfondir votre lecture :
Bablosoft; Lowering the Barrier of Entry for Malicious Actors | Team CYMRU
Ex-Stream Measures: Spotify clamps down on ‘artificial plays’ | Forbes
Spotify took down their music. They still don’t know why | Rolling Stone
How Did Two Unknown Latin Music Operators Make $23 Million From YouTube? The IRS Says They Stole It | Billboard
Fake streams could be costing artists $300 million a year | Rolling Stone
Whac-A-Mole Part 2: Return of the Whac | Beatdapp