La ville de Chicago est surnommée Windy City en référence au fort vent qui la balaye, mais aussi Chiraq, un mot-valise qui l’associe à l’un des pays les plus dangereux au monde. Il ne faut pas oublier qu’avant cela, Chicago avait connu la mafia d’Al Capone et d’autres guerres de gangs tout aussi violentes. Une partie de l’histoire de Chicago s’est écrite dans le sang et la violence. Évidemment, ces épisodes sanglant ont touché les populations qui étaient déjà les plus vulnérables. Dans les années 1990, la scène rap de la ville, qui connaissait ses premiers balbutiements, a commencé à se faire le miroir de ces stigmates. De Common au groupe Crucial Conflict en passant par Twista, tous ont évoqué les conditions de vie difficiles que certains habitants de Chicago pouvaient endurer, puis le flambeau a été repris par Kanye West et Lupe Fiasco dans les années 2000. Au début des années 2010, un nouveau mouvement musical sort tout droit des ghettos du sud de Chicago, la drill. Ce dérivé local de la trap a du mal à s’extraire des quartiers de la ville et à s’imposer sur la scène nationale jusqu’à l’arrivée inopinée d’un lycéen de 16 ans et de son beatmaker. Chief Keef et Young Chop, ne sont pas à l’origine de la création de la drill, mais ils sont bien à l’origine de sa popularisation dans le monde du rap. Ce soudain regain d’intérêt est à mettre au crédit du hit I Don’t Like en collaboration avec Lil Reese, un titre 100% Chicago qui trouvera un second souffle après le remix de Kanye West et ses partenaires de G.O.O.D Music.
Cette effervescence autour de la scène drill a bien sûr créé des vocations parmi la jeunesse de Chicago, et c’est ainsi que pendant deux voire trois, ans la scène locale est devenue l’une des plus actives des Etats-Unis. Cela n’a pas pour autant mis fin les violences qui sévissaient dans les ghettos, et on peut dire que la musique les a aggravé puisque certains morceaux étaient destinés à glorifier un gang ou à clasher un autre rappeur appartenant à un gang rival. Dans cet environnement ultra-violent où la concurrence n’était pas forcément la plus saine, très peu d’artistes on réussit à tirer leur épingle du jeu. Bien évidemment, Chief Keef reste la figure de proue du mouvement et sûrement le plus connu du grand public, suivi de King Louie, qui a collaboré avec Kanye West sur l’album Yeezus, ainsi que Lil Durk, plus connu en France pour sa collaboration avec Lacrim. Bien que ces rappeurs soient toujours actifs, il faut admettre que cela fait bien longtemps qu’ils ne sont plus aussi influents dans le rap qu’ils ont pu l’être à leurs débuts. Entre temps, le rap a évolué et les regards se sont à nouveau tournés vers Atlanta. Ce n’est pas pour autant que la scène de Chicago a dit son dernier mot et G Herbo est là pour le prouver…
➡ De la rue au rap: une vie sauvée par la musique
Pour commencer, il faut savoir que G Herbo a fait ses débuts sous l’appellation de Lil Herb. Ensuite, il important de noter qu’Herb est avant tout une personne discrète, qui n’étale pas sa vie passée dans les interviews, et bien que l’on puisse apprendre certaines informations au travers de sa musique, il reste assez difficile de retracer son parcours. Herb est tout d’abord un enfant de Chicago. Ayant grandi entre les quartiers Est et Sud de la ville, il fera très vite face aux problèmes qui les gangrènent, à savoir la violence, la pauvreté et la drogue. Lil Herb devra gérer personnellement tous ces éléments à un très jeune âge, ce qui le fera mûrir beaucoup plus vite. Très tôt, il est confronté à la pauvreté qui le pousse très jeune à enchainer les petits larcins pour assurer sa subsistance. Les activités illégales deviennent de plus en plus importantes et prennent de plus en plus de place dans sa vie, au point qu’il abandonne l’école pour d’y consacrer. Pendant quelques années, le rappeur va alors vivre la vraie vie de rue, celle qui est peu reluisante, celle où l’argent est le moteur principal et où il faut renier ses principes pour pouvoir exister. Cette période violente de la vie de Herb est uniquement apaisée grâce aux multiples drogues que le rappeur utilise pour soulager le stress et pour oublier.
Ce mode de vie aurait pu durer longtemps, peut-être jusqu’à ce qu’il finisse abattu dans la rue comme bon nombre de ses amis de l’époque, mais un déclic changera sa vie pour le meilleur. Malheureusement ce déclic n’est autre que le décès de son ami Fazon, cet ami était celui qui le poussait à s’orienter vers le monde du rap malgré sa réticence. Après la disparition de Fazon, Lil Herb décide de se consacrer entièrement à la musique pour honorer la mémoire de son ami décédé et pour échapper à la vie de rue qu’il menait et qui ne présentait aucun futur viable. Après quelques années de galère, l’artiste réussit à se faire un nom sur la scène rap locale, notamment grâce à des collaborations avec son partenaire de toujours Lil Bibby. Une fois en place sur la scène Drill Lil Herb envoie sa première mixtape Welcome To Fazoland. Le mot « Fazoland » est un hommage à son ami Fazon ; cette mixtape connait un véritable succès critique et commercial. Les critiques saluent surtout le fait que Lil Herb réussisse à allier les sonorités drill avec des paroles travaillées, contrairement à la plupart des autres rappeurs issus du même mouvement. Grâce à cette réussite, il se fait remarquer par Nicki Minaj qui le choisit pour collaborer sur le morceau Chiraq, remixé en France par Kaaris avec son classique Se-Vrak.
Après cette collaboration prestigieuse, Lil Herb ne s’arrête plus et multiplie les mixtapes et les featurings, que ce soit avec les habitués comme Chief Keef et King L ou avec des rappeurs moins attendus, comme Joey Bada$$ et Sean Kingston. Il sera d’ailleurs récompensé en 2016 par sa sélection au XXL Freshmen Class, après avoir été snobé pour l’édition 2015. Lil Herb est donc devenu une figure incontournable de la scène de Chicago et cela lui permettra en 2015 de signer en major chez Cinematic Music Group. Pour marquer ce tournant de sa carrière, il décide de changer de nom de scène pour devenir G Herbo.
➡ De Lil Herb à G Herbo: une évolution musicale et spirituelle
Le fait d’avancer dans la vie fait évoluer notre vision du monde, ce qui peut nous amener à nous remettre en question sur plusieurs aspects. On peut observer cette remise en question chez les artistes qui veulent changer de direction artistique et de s’offrir une deuxième carrière en changeant de nom de scène. Ce procédé est le meilleur moyen de faire comprendre à son public qu’on a tourné une page ; ainsi, en France, le rappeur Dinos a délaissé le titre Punchlinovic pour adopter une dénomination plus sobre et qui représente mieux le côté artistique, moins tourné vers la recherche de punchline. Parfois, il faut reconnaitre que ces changements peuvent être une simple fantaisie de la part de l’artiste, comme par exemple pour Young Thug qui est coutumier du fait.
Dans le cas de G Herbo ce changement est du au fait qu’il ne se considère plus comme petit (Lil) mais comme un grand (Gangsta), dans le monde de la musique ou dans la vie de tous les jours. En effet Herbo ne conçoit plus la musique comme un simple passe temps, qu’il pratique pour échapper de la rue, mais comme son activité principale dans laquelle il va pouvoir s’épanouir. Comme nous l’avons vu, cette transformation a lieu aussi dans sa vie courante puisque G Herbo quitte Chicago et sa violence pour s’installer à Los Angeles. Le fait de quitter sa ville natale représente pour Herbo une autre étape importante dans le fait de s’accomplir pleinement, et tout cela a été réalisable grâce à son travail. A Chicago, il était Lil Herb, jeune rappeur prometteur qui partageait sa vie entre la rue et le rap, mais à Los Angeles il est G Herbo, le rappeur confirmé qui a réussit à sortir de la misère et de la violence grâce à la musique.
Ce changement est un tournant important pour G Herbo puisqu’il est enfin prêt à sortir son premier album, Humble Beast, et, pour faire patienter ses fans, deux nouvelles mixtapes. Une fois de plus, c’est un succès critique et commercial qui attend le rappeur. Pour autant, ce succès ne suffit pas à G Herbo, qui suite à sa signature sur le label Epic Records, décide d’enchainer avec son deuxième album, Swervo en collaboration avec le producteur Southside.
➡ Atlanta toujours présente grâce à Southside
La ville d’Atlanta prouve une fois de plus qu’elle est incontournable dans le monde du rap, car une fois de plus c’est un producteur originaire de cette ville qui produit l’album. Southside comme son nom l’indique a grandit dans les quartiers Sud de la ville d’Atlanta, plus précisément dans la Zone 3 (pour changer de la Zone 6). Il s’intéresse très tôt à la musique grâce à son oncle et son père, qui était à l’époque lui aussi un producteur de musique notamment pour le groupe OutKast, et sa passion ne cesse grandir au fur et à mesure que ses talents de producteur ne cessent de progresser, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il décide de se consacrer entièrement à la musique et d’en faire sa carrière.
Il se fera très vite remarquer par les rappeurs underground de l’époque d’Atlanta jusqu’à atteindre les grands noms de la scène locale, notamment Waka Flocka qui évidemment en parlera à l’homme incontournable d’Atlanta, Gucci Mane. Sentant tout le potentiel de Southside, Gucci décide de le signer sur son label, et c’est grâce à cette signature qu’il rencontrera Lex Luger avec qui il crée le collectif de producteurs 808 Mafia, qui compte aujourd’hui une quinzaine de membres et qui influence le monde du rap de manière significative depuis le début des années 2010. Sa signature permettra à Southside de faire ses armes sur le premier album de Waka Flocka, cette expérience sera très enrichissante pour Southside qui enchainera très vite avec plusieurs artistes mais surtout en produisant le morceau Illest Motherfucker Alive pour l’album commun de Jay-Z et Kanye West, Watch The Throne. Cette production le mettra sur le devant de la scène et lui permettra d’être reconnu par un plus grand public ainsi que de collaborer avec d’avantage d’artiste issus d’horizons différents. Malgré sa réputation grandissante, Southside est un enfant d’Atlanta et reste connecté à la scène locale et à ses étoiles montantes comme Young Thug et surtout Future. En effet le producteur est présent sur tous les projets de rap qui y sortent chaque année, que ce soit des projets peu connu du grand public comme les mixtapes de Zona Man et Jose Guapo ou des projets plus important comme les albums de Kanye West et de Drake.
En 2017 est une année ultra productive pour Southside car il sera présent sur tous les projets rap de l’année de l’album éponyme Future de Future à la mixtape El Gato : The Human Glacier de Gucci Mane, sur laquelle il a produit tous les morceaux, en passant aux différents albums collaboratifs entre 21 Savage, Offset & Metro Boomin ou celui de Travis Scott et Quavo. Mais ce qu’il faut noter c’est qu’en 2017 Southside à produit le morceau Everything pour le premier album de G Herbo et que cette collaboration à tellement plu au rappeur qu’il a souhaité que le producteur soit à ses côtés pour son deuxième album au point d’en faire un projet commun !
➡ Swervo un alter ego aux commandes
Le premier album de G Herbo, Humble Beast, était orienté vers sa personnalité humble et des sujets plus réfléchis comme la violence à Chicago mais ce deuxième album est dans une toute autre optique. En effet Swervo est à la fois le nom de l’album mais aussi le nom de l’alter-ego de G Herbo. Pour beaucoup d’artiste le fait d’avoir un alter-ego permet de se libérer sur certaines paroles ou dans la façon d’aborder un sujet. Les meilleurs exemples dans ce domaine sont sans aucun doute Eminem avec Slim Shady et Nicki Minaj avec Roman. Dans le cas de G Herbo, son alter ego Swervo est le côté plus gangster, plus festif aussi et moins réfléchi du rappeur ; on remarque d’ailleurs une lutte sur tout l’album entre Herbo et Swervo.
On le constate dès le début de l’album avec le morceau Some Nights. Au début du titre, G Herbo est préoccupé par le fait de savoir s’il réussira à survivre une nuit de plus, le beat est une légère mélodie au piano… Puis soudain, il y a un changement d’ambiance : le flow de Herbo est plus précis, plus dur, les basses sont tout d’un coup présentes sur la mélodie et cela donne une ambiance beaucoup plus sombre, on comprend alors que Swervo est arrivé et décide de prendre le contrôle de l’album. C’est pour cette raison que la piste qui suit est bien évidemment Swervo. Ce morceau éponyme est la carte de visite de l’alter-ego Swervo, et cette présentation nous permet justement de voir le personnage dans son intégralité et de mieux comprendre sa vision. C’est à partir de ce morceau que l’on rentre vraiment dans le domaine de Swervo, l’album lui appartient mais comme pour nous faire comprendre que cette prise de pouvoir est totalement voulue par Herbo, il dit dans le refrain « My name’s Swervo cause i be the G ». Dans cette phrase on remarque qu’il ne dit pas « a G » que l’on pourrait traduire par ‘un gangster’ mais par « the G » que l’on peut traduire par ‘le gangster’ et qu’il fait donc référence à G Herbo, cela montre la complémentarité entre Herbo et son alter-ego même si pour montrer la différence entre les deux, le rappeur n’hésite pas à dire dans le second couplet « Humble Beast, that’s Herbo, Swervo talk that dope shit ». Swervo n’est pas humble, il est un gangster avant tout et pendant 10 morceaux Swervo va s’appliquer à démontrer tout l’étendue de son talent.
Sur chaque morceaux que Swervo va aborder, il va essayer de plier chaque beat sans pitié. On sent que Southside était préparé à ça, et qu’il fait tout pour que Swervo se donne à fond sur chaque morceaux, ce qui créée une certaine alchimie entre le rappeur et le producteur qui d’ailleurs posent ensemble sur le morceau Pac n Dre, en référence à l’alchimie qu’il y avait entre 2Pac et Dr. Dre. Sur les 10 morceaux que Swervo monopolise sur l’album tous les sujets sont abordés, la façon dont le rappeur à grandi, That’s How I Grew Up, la réussite, Bonjour, 100 Sticks et Honestly, la sincérité de ses propos et des ses actes, FoReal et Huh, les problèmes liés à la consommation de drogues, Tweakin (Head), et bien sûr les règlements de comptes, Catch Up. Mais sur le morceau Letter on comprend que G Herbo reprend le contrôle petit à petit, ce morceau très personnel est dédié au fils de G Herbo qui n’était pas encore né quand il a écrit la chanson. La construction de cette chanson est l’inverse de celle de Some Nights, là c’est Swervo qui commence la chanson et c’est G Herbo qui la termine. Pourtant Swervo n’a pas dit son dernier mot et reviens directement sur le morceau Focused, qui est surement le morceau le plus sincère de la part de l’alter égo de Herbo. L’album aurait pu s’arrêter sur ces notes de sincérité mais ce n’est pas le genre de Swervo, qui préfère partir sur un coup d’éclats et c’est pour cette raison que l’album se termine sur Who Run It Remix, qui est un remix du banger du même nom de la Three Six Mafia, ce morceau qui était à la base juste un freestyle radio s’est transformé en véritable hit de rue et a permis à G Herbo d’être sous le feu des projecteurs grâce aux multiples reprises qui ont suivi. Si ce morceau est présent sur l’album c’est aussi un moyen pour Swervo de montrer que son talent ne se limite pas qu’aux productions actuelles.