Dans un milieu des musiques urbaines où le carnet d’adresses est roi, l’expatriation peut faire figure de pari risqué, voire de saut dans le vide. Pourtant, les passerelles se font de plus en plus fréquentes, alors que le rap français s’ouvre à l’international : en Europe bien sûr, mais aussi aux Etats-Unis. Au fil des années, cette terre a vu passer bon nombre de français aux parcours atypiques, à commencer par le niçois Masar devenu manager de la légende Max B. Après un parcours d’une demi-douzaine d’années dans la musique qui lui aura permis de travailler aux côté de professionnels comme Baloo et d’artistes comme CashMoney AP, Take A Mic, Monsieur Nov et Kekra, Antoine Granger est sur le point de franchir le pas et de s’implanter pour de bon au pays de l’Oncle Sam. Les contacts ? Un point fort bien sûr, mais pas une nécessité selon lui : « J’ai eu la chance de faire connaissance avec l’équipe de Swae Lee et donc d’aller en studio et en soirée avec eux, de rencontrer pas mal de monde dont certains beatmakers en particulier… Par contre à Atlanta, je ne connaissais personne et j’ai rencontré en boîte de nuit un manager qui avait à disposition un studio et des artistes. Aux Etats-Unis, ça fonctionne énormément sur le terrain dans les endroits où le rap est présent et les connexions se font très rapidement. »
L’ingrédient nécessaire d’une expatriation réussie, c’est évidemment la passion et la motivation. Changer de pays, c’est sortir complètement de sa zone de confort pour s’aventurer dans un espace défini par des mœurs, des réseaux et une manière de travailler bien différentes. « Dès mes premiers voyages aux Etats-Unis, j’ai ressenti un attrait fort pour la manière dont s’y faisait la musique. A l’époque, ils ‘agissait des artistes mainstream du moment parce que j’étais jeune : Chris Brown, T- Pain… Quelques années plus tard, à la majorité, j’ai passé quelques semaines à New-York et j’y ai formé le projet de m’établir définitivement outre-Atlantique par la suite. Le déclic, c’est ma rencontre avec Swae Lee à Paris en mai 2018. J’ai ressenti que c’était le moment de franchir ce cap et de réaliser mon rêve. » Antoine pose un premier pied dans l’industrie musicale en 2013, comme rédacteur spécialisé sur la scène américaine pour le premier média de Baloo, Roi2LaRue. Quelques mois plus tard, il s’engage pour deux ans comme manager de Kerjo (Kurtis) avec lequel il sort deux mixtapes, Sale Day en novembre 2013 et Tempête en 2014. Ce deuxième projet, qui comprend des productions de CashMoney AP et des collaborations avec TTBNEZ, Take A Mic et Louis Adoa, se classe 14ème au Top iTunes. Son parcours le conduira ensuite chez Because Music, où il exercera les fonctions de chef de projet et directeur artistique aux côté d’artistes comme Take A Mic, Kekra et Blacko. Après un court passage chez OKLM, il entame un travail poussé avec Monsieur Nov chez Keyzit. En 2017, sa proximité avec le producteur Frencizzle lui permet de placer une composition de ce dernier pour Booba, qui donne lieu à l’inédit Félix Eboué. Outre sa présence aux côtés de nombreux artistes indépendants comme YEZI OG, Jewel et DosPuntos, Antoine Granger prend en main la carrière d’Usky et participe à la promotion de Porte Dorée (Saison 1) en 2018, projet qui collecte aujourd’hui plus de trois millions de streams et qui vaut à l’artiste un contrat de distribution chez Believe et un contrat d’édition chez Universal Music Publishing France.
Désormais, il se fixe le défis ambitieux de se faire une place dans l’industrie musicale outre-Atlantique : « Sur le long terme, l’idée serait de créer mon propre label et de le signer en maison de disque ou de le créer directement en maison de disque comme Nipsey Hussle a pu le faire avec All Money In et Atlantic Records. La différence, c’est que Nipsey était un artiste. Un exemple plus proche de ma situation serait celui de Neil Dominique, qui gère la carrière de Bryson Tayler et Ryan et qui a conclu une joint-venture avec Interscope. J’aimerai être au-delà d’un manager ou d’un directeur artistique, quelqu’un sur qui les artistes peuvent s’appuyer et compter… » Le décalage entre la France et les Etats-Unis se fait ressentir dans plusieurs domaines, tant dans la manière d’aborder la création que dans celle d’entrer en affaires : « Il y a une énorme différence. En France, les maisons de disques contrôlent tout ; aux Etats-Unis ils sont beaucoup plus spontanés. La maison de disques sert juste d’aide. Par exemple quand Tory Lanez envoie une mixtape toute faite à la maison de disques, elle va simplement s’occuper de la mettre en ligne sur YouTube et de la distribuer sur les plateformes. Les américains passent aussi beaucoup plus de temps en studio… Après les tournées, après être sorti en club, etc. Le rap, c’est un mode de vie là-bas, il faut y être pour vraiment le ressentir. En France, on le vit aussi d’une certaine manière mais avec des codes différents. Ils sont à la fois plus centrés sur le business que les affinités et à la fois très pointilleux sur la musique, notamment sur le mix et le mastering. »