Habituée aux invités politiques et aux hauts dirigeants de sociétés du CAC 40, l’association Les mardis de l’ESSEC a surpris en invitant Fianso à son rendez-vous mensuel. Succédant au PDG de l’Oréal Nicolas Hiéronimus et à l’ancien premier ministre Edouard Philippe, le rappeur a assuré le spectacle. Devant un amphithéâtre plein à craquer au sein des locaux de la deuxième école de commerce de France, il a répondu deux heures durant aux questions d’Inès Rabhi et d’Ossama Ramadan. Deux étudiants membres respectivement des Mardis et d’E&B, l’association rap de l’école, qui a rendu la conférence possible et s’occupe également de l’organisation du Cergy Street Festival, un festival dédié aux musiques urbaines. Sans filtre, l’artiste est revenu sur son ascension, des cités de Blanc-Mesnil aux sommets de l’industrie musicale. Jouant de sa gouaille et de son franc-parler, il a su en quelques réponses se mettre dans la poche les 500 spectateurs de l’évènement. Après cette partie sur son parcours, il a répondu aux questions des étudiants sur divers sujets de société : la représentation de la banlieue dans le rap, l’ascension sociale et ses conséquences psychologiques, ou encore les dégâts de la célébrité chez les artistes… Voici cinq leçons de music business par Fianso à l’ESSEC.
Leçon 1 : « Beaucoup me connaissent sans avoir entendu un de mes sons. »
Fianso : « Aujourd’hui, surtout dans les générations un peu plus âgées, beaucoup me connaissent sans avoir entendu un seul de mes sons. Que ce soit par le cinéma, la série les Sauvages, ou même le théâtre. »
« Quand tu maîtrise tout le cheminement de l’industrie, du moment où tu rencontres l’artiste à celui où il soulève son disque d’or, et qu’en plus tu as un réseau, rien n’est interdit. Tu pourrais vendre une canette comme artiste, et par simple effet de levier obtenir une avance pour financer son projet. »
En 2018, Fianso fait ses débuts au théâtre en interprétant le rôle de Gatsby le Magnifique au Festival d’Avignon. L’année suivante, il est de retour sur les planches pour interpréter Achille dans une pièce de Wajdi Mouawad produite par France Culture. Dans le même temps, il exerce ses talents d’acteur sur le grand écran avec Frères Ennemis et sur le petit écran avec Les Sauvages. Lors de son passage à l’ESSEC, il regroupe ses carrières d’acteur et de rappeur, et affirme être devenu une entité artistique. La marque Fianso déborde également dans le domaine de l’entrepreneuriat, notamment sur son label Affranchis Music. Derrière les succès d’Heuss L’enfoiré, Soolking ou encore Sifax, Fianso dispose désormais d’une compétence métier de producteur qu’il est en mesure de valoriser pour développer de nouveaux artistes dans des conditions optimales.
Leçon 2 : « Les majors peuvent investir à perte sur un artiste. »
Fianso : « Pour faire une comparaison avec le poker, c’est comme quand tu essaye de battre le joueur le plus fortuné de la partie. Il faut faire tapis à chaque tour, sinon le statut quo sera de mise. Avec mon label Affranchis Music, c’est la même échelle, et j’ai l’impression de mettre ma chemise en jeu à chacune de nos sorties. Il faut savoir que les majors peuvent investir à perte sur des artistes, ce qu’un label indépendant comme le mien ne peut pas se permettre. Les majors sont sous perfusion du crédit d’impôt, et ne sont plus dans l’économie réelle. Elle n’existent qu’à travers des parts de marché et des cotations en bourse. »
En 2016, le marché mondial de la musique enregistrée enregistre sa première croissance significative après 15 ans de crise. En cause, le développement des plateformes de streaming audio et notamment de leurs offres d’abonnement. Stimulées par cette nouvelle source de revenus, deux majors de l’industrie musicale sont introduites en Bourse au cours des 24 derniers mois : Warner Music Group en juin 2020, puis Universal Music Group en septembre 2021. Believe, pépite française spécialisée dans la distribution numérique, entre également en Bourse en juin 2021. Ces entreprises font désormais face à une pression accrue quant au développement de leurs parts de marché dans un contexte fortement concurrentiel, parfois au détriment de leur rentabilité à court terme. Pour autant, le retour sur investissement est encore bien souvent un facteur clé pour évaluer les performances des labels au niveau local.
Leçon 3 : « Je fais péter plus de mecs que Sony Music France ! »
Fianso : « Les tops artistes sont ceux qui vendent plus de 100 000 albums et peuvent signer un contrat au million d’euros. En France dans le rap, il y en a 25 pour parler large. Je regarde Sony Music France, qui est à l’époque en plein renouvellement, et je fais la réflexion à Daniel Lieberberg, président Europe de Sony : ‘Mais en fait, on a plus de top artistes que vous… Ma petite épicerie vous éteint !’ »
À la fin des années 2010, Sony Music Entertainment France accuse un retard considérable sur le terrain des musiques urbaines. À compter de 2018, la maison de disques amorce un certain nombre de décisions stratégiques : recrutement d’acteurs incontournables de la scène rap (Kore, Mouss Parash), remaniement de sa structure interne… Pendant ce temps, Affranchis Music connaît un succès affolant : outre les premiers albums de Soolking et de Heuss l’Enfoiré, sortis respectivement en octobre 2018 et en janvier 2019 et tous deux certifiés disque de platine, le label peut se targuer de la sortie de la compilation 93 Empire, qui finira elle aussi par être certifiée platine ! À l’issue de trois ans de développement, Sony peut se targuer d’un roster rap fort de plusieurs top artistes : Zola, Vald, Laylow, Gazo, Soso Maness…
Leçon 4 : « Les jeunes artistes sont des leaders d’opinion qui s’ignorent. »
Fianso : « Est-ce qu’un gamin qui peut remplir Bercy avec 20 000 tickets à 35 euros peut faire déplacer 20 000 personnes dans un bureau de vote? Je pense que oui. Quand tu sais qu’une élection locale comme celle de la mairie de Montreuil se joue à 300 voix, il ne faudrait pas s’étonner si des politiques tentent un rapprochement avec des rappeurs dans le futur. Là où il y a trente ans, les rappeurs étaient conscients de leur influence et luttaient pour des causes qui leur étaient chères, aujourd’hui, les jeunes artistes sont des leaders d’opinion qui s’ignorent. »
Fianso alerte son audience à l’ESSEC sur l’influence grandissante que prennent certains très jeunes rappeurs sans s’en rendre compte. Le rappeur originaire du Blanc-Mesnil déplore l’intrusion des influenceurs dans la vie politique : « Les politiques font appel à de l’influence, qu’ils considèrent comme peut-être plus forte que la leur. C’est un abaissement de la fonction politique. Là où nos élus devraient avoir un devoir d’exemplarité et tenter d’élever le débat, ils se dévaluent en contactant des influenceurs uniquement dans le but de cueillir quelques voix supplémentaires. Utiliser ces artistes et ces personnalités comme outil, je trouve ça triste au possible. »
Leçon 5 : « Les rappeurs ne sont pas les VRP de la banlieue »
Fianso : « Les rappeurs n’ont pas de devoir d’exemplarité et la banlieue n’a pas attendu les rappeurs pour avoir ces problèmes. Pointer du doigt les jeunes artistes, c’est fermer la porte à leur évolution. Je pense aussi qu’il faut que les mecs fassent leur propre cheminement. »
Interrogé sur l’impact que les rappeurs pouvaient avoir et notamment sur les valeurs qu’ils prônaient, Fianso s’est montré ferme. Pour lui, les rappeurs n’ont pas la responsabilité de l’image que la banlieue renvoie. Il explique qu’il ne montrerait plus forcément les mêmes choses que dans ses anciens clips, mais qu’il faut laisser le temps aux jeunes artistes de pouvoir mener cette réflexion. Il reste persuadé que ces jeunes artistes auront le temps de grandir et de faire évoluer leur discours. Le problème principal selon lui vient avant tout des rappeurs prétendant être les représentants de la banlieue : « Un mec qui n’a pas la culture et l’élocution nécessaire pour se rendre compte qu’il représente quelque chose quand il passe sur une chaîne nationale, il commet une grosse erreur. »